Quand l’intelligence artificielle s’invite à l’Académie de médecine

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Publié le 27/05/2022
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Oncologie, imagerie, chirurgie, robots sociaux… : aucun champ de la médecine n'échappe à la révolution numérique. Entre avancées majeures et craintes éthiques, l’Académie nationale de médecine a présenté en mai quelques recherches emblématiques de son groupe de travail sur l’intelligence artificielle.
Du traitement personnalisé des tumeurs aux logiciels conversationnels, l'IA promet des avancées multiples

Du traitement personnalisé des tumeurs aux logiciels conversationnels, l'IA promet des avancées multiples
Crédit photo : PHANIE

Chaque seconde, chaque être humain sur la planète génère 1,7 Mo de données. 30 % d’entre elles sont issues du monde la santé. De quoi alimenter les algorithmes et faire émerger des solutions médicales basées sur l’intelligence artificielle.

Depuis une dizaine d’années, ce big data vient nourrir l’intelligence artificielle (IA) appliquée à l’oncologie. « Entre 2010 et 2020, on comptait plus de 120 000 publications scientifiques sur l’IA et le cancer », détaille le Dr Alain Livartowski, oncologue et directeur des data à l’institut Curie. Une croissance exponentielle car la seule année 2021 a recensé 22 % de toutes les études réalisées sur le sujet…

Sauf qu’avec une telle quantité de publications, « nous ne sommes jamais certains de la qualité des données », précise le Dr Livartowski, invité début mai à l’Académie de médecine pour présenter, avec une quinzaine de chercheurs, les résultats du groupe de travail « intelligence artificielle et santé », créé par l'Académie de médecine et l'Académie des sciences. À l’exception de l'imagerie médicale, les données liées aux cancers restent « très éparpillées, dans des comptes rendus médicaux rédigés souvent sous forme de sigles, avec des fautes », de quoi rendre fou les algorithmes. « Ce sont des hiéroglyphes qu’il faut traduire », résume l’oncologue. 

L'ARN à la rescousse

Malgré la difficile analyse des données en oncologie, certaines applications françaises sont déjà opérationnelles. C’est le cas à l’institut Curie, où un patient de 30 ans a pu bénéficier concrètement du bénéfice de la machine, grâce à un protocole de recherche in situ. Atteint de métastases osseuses et ganglionnaires, aucune tumeur primitive n’avait pu être identifiée chez ce patient. « La seule solution pour ce cancer primitif inconnu aurait été de faire une chimiothérapie à large spectre, peu efficace et assez discutable à l’heure de la médecine prédictive », explique Alain Livartowski.

Une équipe de Curie a alors développé un outil basé sur l’IA, capable de prédire le tissu tumoral d'origine, sur la base des données de séquençage de l'ARN. Une machine, entraînée sur plus de 20 000 échantillons de 94 tissus. « L’IA a ensuite produit une représentation dans l’espace qui différencie les tissus normaux des tissus cancéreux via une ligne de transcriptome qui correspond à chaque cancer », résume le Dr Livartowski. Résultat : alors que le patient n’avait aucune lésion au rein, son transcriptome correspondait à un cancer du rein à cellules claires. Imparable. Après la mise en place d’une immunothérapie spécifique et d’un anti-VEGF, le patient est en rémission. « Oui, l’intelligence artificielle est compliquée, technique, mais on peut aujourd’hui traiter des patients qu’on ne savait pas traiter jusqu’à maintenant », s'est réjoui l’oncologue devant les académiciens. 

Aujourd’hui, l’algorithme élaboré à Curie est à disposition de tous les patients. Pour l’heure, seule une centaine d'entre eux a pu en bénéficier, loin des 7 000 Français qui souffrent de cancers primitifs inconnus. « C’est trop peu », regrette l’oncologue, qui souhaite démocratiser l'usage de l'IA en oncologie.

Robots affectifs en santé

L'IA est également capable de s’immiscer plus discrètement dans la psyché et les émotions des patients. De la première machine qui simulait une psychothérapie rogérienne en 1966 aux États-Unis jusqu'au robot capable aujourd’hui de détecter les émotions, la robotique sociale et affective est « devenue extrêmement performante », assure Laurence Devillers, professeur d’intelligence artificielle à Sorbonne Université. « En regardant la posture, le langage, les expressions du visage, les micromouvements, la machine peut interpréter énormément d'émotions », détaille-t-elle.

À l’AP-HP par exemple, des travaux ont analysé les postures des mères négligentes vis-à-vis de leur enfant. « La machine analysait le dialogue moteur, la tension conjointe, les distances entre les deux têtes par exemple, puis, grâce à de l’apprentissage machine, l’intelligence artificielle a pu prédire à 100 % quelle mère était négligente ou non », explique le Pr David Cohen, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à la Pitié-Salpêtrière.

Manipulation « douce »

Autre application : des robots conversationnels qui simulent une interaction homme/machine. Chez un enfant autiste par exemple, certains robots humanoïdes vont leur demander de leur apprendre à écrire, de leur raconter une histoire. « Le langage partagé entre l’homme et la machine suscite de l’anthropomorphisme et de l’empathie », précise Laurence Devillers.

Si elle est louable, cette démarche peut aussi susciter des interrogations éthiques. « La machine entre dans l’intimité de l’enfant, elle lui demande de faire des choses », explique Laurence Devillers, également membre de la commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique. Des suggestions indirectes qui ont, ici, un objectif de santé. « C’est une forme de paternalisme, mais surtout une manipulation douce. Le même type d’intelligence artificielle peut être utilisé pour pousser à l’achat par exemple », relève cette experte de l'IA. D’autant qu’en analysant notre langage, notre voix ou des microgestes presque invisibles, « la relation devient asymétrique, la machine sait plus de choses sur nous »

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin