« Comment assurer la continuité des soins pour éviter d'engorger les urgences ? » : à Saint-Denis, le CNR santé fait phosphorer élus, médecins et habitants

Par
Publié le 22/11/2022
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Twitter

Il est 20 heures lundi soir au centre hospitalier Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Au sous-sol, dans une salle prévue pour le personnel, une trentaine de citoyens, soignants et élus ont répondu présents pour la quatrième réunion de concertation départementale organisée par l'ARS Île-de-France, dans le cadre du CNR santé. Prévention, médecin traitant et permanence des soins.. pour chacune de ces thèmes abordés ce soir-là, l'ARS a présenté un état des lieux chiffré. Puis chacun a pris librement la parole. « On n'est pas là pour faire des constats, cadre en début de la séance Gorka Noir, président du conseil territorial de santé départemental et directeur de la clinique Elsan de Stains, mais faire des propositions pour définir le système de santé dans les années à venir ».

En matière de prévention, les chiffres dévoilés par l'ARS sont « très mauvais », résume rapidement le Dr Thierry Gombeaud, gastroentérologue et président de la CPTS regroupant les Lilas, Romainville et Bagnolet. L'état de santé de la population est très défavorable par rapport à la moyenne francilienne avec « une mortalité générale et prématurée plus élevée tant chez les hommes et les femmes ».

Obésité et surpoids

Le tableau diffusé par l'agence régionale est sombre en matière de prévalence du surpoids et d'obésité (supérieure à la moyenne régionale chez les 15-25 ans), de taux de maladies respiratoires chroniques hors mucoviscidose (également supérieure à la moyenne régionale) ou encore de taux de mortalité cardiovasculaire. Ce n'est guère mieux dans le domaine des dépistages de trois cancers (sein, cancer colorectal ou col de l'utérus). L'écart avec la région et la France est élevé.

Dans ce contexte, quelles sont les priorités d'intervention en regard des déterminants santé, selon les participants ? Sur cette question, les propositions convergent : développer des opérations d'« aller vers » en priorité pour les jeunes et les personnes âgées, avec l'aide des médiateurs en santé, s'appuyer sur l'équipe de premiers recours (médecins, infirmiers) pour les actions de dépistage collectif ou encore former les étudiants de médecine en prévention.

Vice-présidente de la CPTS de Saint-Denis, la Dr Leïla Jannel, estime qu'il faut s'appuyer sur « les choses qui marchent ». « La prévention, c'est le travail des infirmiers en pratique avancée. Ce métier n'est pas très bien connu. Il faut le faire savoir notamment auprès des infirmiers eux-mêmes », a dit la généraliste. Dans la salle, une rhumatologue de Montreuil intervient. Elle mentionne des initiatives de sa ville en faveur de l'accompagnement des malades par la mise en place des « ambassadeurs de la santé » ou encore des « conseillers en environnement » de l'air intérieur.

Délégation de tâches, coordination pour libérer le temps médical

Ce soir-là, c'est surtout la séquence consacrée au recours aux médecins traitants et à la permanence des soins qui a soulevé de riches échanges. Sans surprise, par rapport au reste de la région ou au niveau national, la Seine-Saint-Denis est largement sous dotée. L'ARS chiffre à 17,7 % de patients de plus de 17 ans sans médecin traitant, contre 15,4 % pour la région et 11,4 % en population générale. Au total, le département dénombre 710 médecins généralistes et 1 052 spécialistes pour 1,6 million d'habitants. « En termes d'installation, on a eu 80 en médecine générale », note le représentant de l'agence. Le département manque d'infirmiers libéraux, d'orthophonistes et de sages-femmes, ainsi que de kinésithérapeutes et de chirurgiens-dentistes, de manière encore plus marquée.

Seul point positif présenté par l'ARS : une bonne dynamique dans le maillage des CPTS dans le département. « On n'est pas très inquiet sur la couverture, ajoute l'agence. Dans les territoires dépourvus dans le nord-ouest du département, nous avons repéré des porteurs de projet ». La question de savoir comment attirer de nouveaux médecins en Seine-Saint-Denis demeure. Présent à la réunion, le Dr Mathias Wargon, chef des urgences du CH Delafontaine, n'est pas à court d'idées. Il suggère « qu'une partie des tâches dévolues aux médecins soit déléguée aux IPA, aux infirmiers, aux pharmaciens. Cela permet de dégager du temps médical et surtout aux infirmiers d'évoluer dans la profession, le tout en leur payant correctement pour les actes et en autonomie ».

Une proposition qui a irrité fortement la Dr Jannel. « Proposer que d'autres fassent ce que nous faisons ne me semble pas une bonne solution. Les infirmiers sont aussi en pénurie dans le département. Comment peuvent-ils assurer de nouvelles missions ? ». À ses côtés, le Dr Gombeaud acquiesce. « L'utilisation du personnel paramédical pour augmenter la patientèle ne marche pas, estime-t-il. Le problème est d'améliorer les consultations et non pas d'augmenter leur nombre ». Quoi qu'il en soit, les participants insistent sur une meilleure coordination entre les soignants sur le territoire et le soutien des collectivités notamment sur le plan immobilier pour attirer les soignants.

Réguler les maisons médicales de garde

Pour faire face au manque de médecins dans le département, le recours aux maisons médicales de garde (MMG) en soirée et aux urgences est en augmentation : 50 502 consultations estimées en 2022 pour les MMG contre 41 329 et plus de 600 000 passages aux services d'urgences en 2022 contre environ 500 000 en 2019 (2020 étant l'année Covid où les urgences étaient très sollicitées). « Comment assurer la continuité des soins pour éviter que les patients engorgent les urgences ? » lance, en fin de soirée, le représentant de l'ARS.

Beaucoup ont évoqué « le problème d'éducation des patients » à l'utilisation des services d'urgences. En tout cas, deux solutions fortes émergées de la réunion. Il s'agit d'abord de réguler l'accès aux maisons médicales de garde (MMG) par le service d'accès aux soins (SAS), via le 15. « Il faut à un moment obliger les patients à aller vers les maisons médicales de garde », tempête le Dr Wargon. Plusieurs intervenants comme le Dr Gombeaud ont, en revanche, tiré à boulets rouges sur les centres de soins non programmés « qui font n'importe quoi ». Ils plaident en faveur d'un « encadrement » fort de ces centres, assimilés à une « médecine Mac Do ».


Source : lequotidiendumedecin.fr