iNTRODUCTION
En l’absence de signe d’alarme (amaigrissement, glaires ou sang dans les selles, anémie, asthénie, fièvre, forte douleur abdominale, perte d’appétit, etc.), il est possible de traiter une constipation chronique sans nécessité de conduire des investigations particulièrement poussées, et après s’être assuré d’un apport alimentaire suffisant en fibres et de l’absence de prise de médicaments susceptibles d’entretenir une constipation.
La première des précautions lors de l’interrogatoire du patient est de comprendre ce qu’il entend par le terme « constipation ». En effet, les idées reçues sont courantes sur la fréquence des selles considérée comme « normale », de même que la confusion avec des troubles de l’évacuation. Il est souvent utile de rappeler ce qu’est un transit normal, allant de trois selles quotidiennes à trois hebdomadaires.
L’examen clinique doit comprendre un examen périnéal (inspection et exploration dynamique – contraction du périnée, efforts de poussées…) et un toucher rectal. L’évaluation du mécanisme de la constipation, mais aussi l’efficacité des laxatifs, reposent sur l’interrogatoire (en questionnant l’existence éventuelle de pathologies chroniques) abordant la fréquence, l’aspect et le volume des selles, au moyen de l’échelle de Bristol et d’un calendrier des selles permettant d’objectiver la situation.
Dans un certain nombre de cas, non négligeable, une constipation peut apparaître ou être aggravée dans les suites d’un évènement traumatisant (une séparation, un décès, un abus sexuel). Une prise en charge psychothérapeutique, des séances de thérapies cognitivo-comportementales, d’hypnose, de relaxation, etc., peuvent alors s’avérer bénéfiques.
DÉFINITION
La définition retenue par la classification de Rome IV (2) repose sur l’association d’au moins deux des symptômes suivants, présents depuis au moins trois mois :
• selles peu fréquentes (moins de trois selles spontanées par semaine),
• selles dures, efforts de poussées, sensation d’évacuation incomplète, sensation de blocage ano-rectal, manœuvres digitales ou autres pour faciliter l’exonération (pour au moins 25 % des défécations),
• selles grumeleuses ou dures pour au moins 25 % des tentatives de défécation,
• selles molles ou liquides rares en l’absence de laxatifs.
Si les douleurs abdominales sont fréquentes, on peut retenir le diagnostic de syndrome de l’intestin irritable avec constipation (cf. Mise au point dans la FMC du Généraliste n° 2918).
EN CHIFFRES
• Une constipation est dite chronique lorsqu’elle dure plus de six mois.
• 10 à 20 % de la population adulte est concernée par la constipation chronique.
• Les femmes sont plus touchées que les hommes (deux à trois femmes pour un homme, au moins avant l’âge de 75 ans).
• Jusqu’à 70 % des personnes âgées vivant en institution souffrent de constipation.
• Plus d’un patient sur deux n’est pas satisfait de sa prise en charge par laxatifs (1).
PHYSIOPATHOLOGIE
Tout d’abord, une constipation peut révéler une pathologie grave, comme un cancer colorectal, une maladie métabolique ou neurologique (tableau 1). Une constipation peut être aussi induite par des médicaments, en particulier les psychotropes (antidépresseurs) et les antalgiques (morphine, codéine, tramadol, fentanyl, etc.) (tableau 2). Il est recommandé d’arrêter, dans la mesure du possible, les médicaments pouvant occasionner une constipation secondaire (3).
→ Différencier la constipation de transit de la dyschésie. L’élément fondamental de la prise en charge est de définir la physiopathologie de la constipation, entre la constipation de transit ou fonctionnelle (à mettre sur le compte le plus souvent d’un ralentissement du transit colique, avec des selles dures) et la constipation terminale (ou distale, ou dyschésie), liée à une difficulté d’évacuation des selles qui peuvent être de consistance normale. Cette dernière peut être favorisée par des anomalies anatomiques (prolapsus rectal, rectocèle…) ou fonctionnelles (asynchronisme abdomino-pelvien) qui obligent le patient à fournir des efforts de poussée importants, voire à recourir à des manœuvres digitales d’extraction des selles. Le patient a la sensation d’une évacuation incomplète.
Les deux mécanismes peuvent bien entendu coexister.
La constipation s’accompagne, dans une majeure partie des cas, de ballonnements, de douleurs ou d’inconfort abdominaux, de nausées, de flatulences, de problèmes hémorroïdaires ou de fissure anale. En fonction de l’importance de ces symptômes associés, le diagnostic de syndrome de l’intestin irritable peut être posé.
→ Facteurs favorisants. La grossesse et l’alitement sont des situations à risque de constipation. Un âge avancé également, du fait du cumul de facteurs de risque comme l’alitement, la perte de sensation de besoin, une colopathie fonctionnelle, la prise de médicaments susceptibles de provoquer ou d’aggraver une constipation. Les personnes de plus de 55 ans auraient cinq fois plus de risques de souffrir de constipation que les adultes plus jeunes (4).
Une diarrhée, une incontinence fécale peuvent paradoxalement être liées à une constipation ; la constitution d’un fécalome entraînant des fuites par regorgement (« incontinence à rectum plein »).
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
Un bilan sanguin (numération formule sanguine, dosage TSH, ionogramme sanguin), plutôt orienté par le contexte clinique que par la constipation elle-même, peut être réalisé au cas par cas, afin d’éliminer une pathologie systémique sous-jacente. Dans l’objectif d’éliminer une cause organique plus que pour déterminer les mécanismes de la constipation, une coloscopie est indiquée en cas de constipation après l’âge de 50 ans, des antécédents personnels ou familiaux de polypes ou de cancer colorectal, ou en cas de modification récente et durable du transit intestinal, et en présence de signes d’alarme (rectorragies, altération de l’état général, douleurs inhabituelles, etc.).
→ Explorations plus spécifiques En cas de constipation réfractaire aux laxatifs, de première et de seconde ligne, il est possible de recourir à certaines investigations paracliniques afin d’étudier le mécanisme physiopathologique (manométrie anorectale, test d’expulsion d’un ballonnet, mesure du temps de transit colique aux marqueurs radio-opaques, imagerie dynamique périnéale) (3).
Précisément, le test d’expulsion au ballonnet permet, en principe, d’éliminer le diagnostic d’asynchronisme abdomino-périnéal. La manométrie anorectale évalue pour sa part les fonctions sphinctériennes, les réflexes recto-anaux et la sensibilité rectale. Elle permet de confirmer le diagnostic de trouble de l’évacuation et d’identifier un mécanisme physiopathologique (dyssynergie recto-anale, mégarectum fonctionnel, hypertonie anale, maladie de Hirschsprung).
Quant au temps de transit colique, il est censé distinguer la constipation distale avec un problème d’évacuation (dyschésie) de celle de transit (côlon paresseux ou inerte) mais il peut être augmenté en cas de constipation distale. Les explorations des troubles de la statique pelvienne (défécographie, colpocysto-défécographie, déféco-IRM, échographie pelvienne dynamique) sont utiles en cas de suspicion de trouble de la statique pelvienne lors de l’examen clinique. Ces explorations permettent en effet de préciser la nature d’une colpocèle postérieure, une rectocèle, un prolapsus rectal intra-anal, une descente périnéale, avant une éventuelle prise en charge chirurgicale.
PRISE EN CHARGE
→ Quels conseils hygiéno-diététiques ? L’application de mesures simples permet d’améliorer au moins partiellement près de la moitié des malades. Modifier son alimentation peut soulager une constipation occasionnelle ou chronique, avec en premier lieu un apport quotidien en fibres entre 20 et 40 g (5-6), par supplémentation diététique ou pharmaceutique de manière progressive sur deux semaines.
Aucune publication n’a démontré l’intérêt de l’exercice physique pour améliorer une constipation. Il n’y a pas non plus d’éléments en faveur d’une augmentation des apports hydriques journaliers pour traiter une constipation chronique, sauf en cas de déshydratation chez les personnes âgées. Cependant, les eaux riches en minéraux, surtout en magnésium, ont un effet laxatif significatif.
→ Traitement médicamenteux : comment se repérer entre les différents laxatifs ? Après avoir vérifié que les apports en fibres se situent dans les normes, un traitement quotidien par laxatif est le plus souvent suffisant. Alors que les laxatifs osmotiques (lactulose, polyéthylène glycol (PEG)) et les laxatifs de lest (mucilages : psyllium ou ispaghul) hydratent les selles, les laxatifs lubrifiants (émollients tels que l'huile de paraffine) facilitent le glissement et le ramollissement des selles.
Les laxatifs osmotiques sont recommandés en 1re intention pour leur efficacité et leur bonne tolérance (2), avec une efficacité supérieure du PEG. Néanmoins, les laxatifs de lest peuvent également être proposés en 1re ligne thérapeutique, voire être associés aux laxatifs osmotiques. En cas d’échec, les laxatifs lubrifiants peuvent être prescrits, avant de proposer les laxatifs stimulants ou irritants : dérivés de l’anthraquinone (plante séné) ou précurseurs du diphénylméthane (bisacodyl et picosulfate de sodium). Ils possèdent une action sécrétoire par la muqueuse colique mais occasionnent souvent des douleurs abdominales et de la diarrhée (7). Ils augmentent le nombre de selles (8).
Dans la constipation de transit, parmi les laxatifs prokinétiques qui agissent sur la motricité intestinale, le prucalopride succinate (agoniste sélectif du récepteur sérotoninergique 5-HT4) est efficace dans au mieux 30 % environ des constipations résistantes aux traitements laxatifs usuels. Il est relativement cher et non remboursé par la Sécurité sociale. Une insuffisance rénale (clairance rénale ≤ 30 ml), un âge supérieur à 65 ans et une insuffisance hépatique sévère requièrent quelques précautions d’usage. L’efficacité de la pyridostigmine, parasympathicomimétique indirect par son effet inhibiteur de l’acétylcholinestérase, repose sur des études de faibles effectifs. Le linaclotide n’est pas disponible en France.
Lorsque la constipation chronique est d’origine anorectale (constipation d’évacuation), les laxatifs par voie rectale (suppositoires, lavements), voire une rééducation de la poussée par biofeedback en cas de dyssynergie abdomino-périnéale, sont plutôt indiqués.
→ Autres approches thérapeutiques. Les irrigations transanales (système Peristeen) peuvent être utiles en 2e intention chez les patients neurologiques, mais aussi en l’absence de pathologie neurologique (en dépit d’un niveau de preuve insuffisant), notamment pour les constipations réfractaires, résistantes aux traitements usuels. Si les deux tiers des patients sont satisfaits, la majorité délaisse néanmoins le système avec le temps (9).
La toxine botulique peut présenter un intérêt dans la constipation distale car elle réduit le tonus anal de repos et favorise la relaxation sphinctérienne en poussée (en cas de dyssynergie abdomino-périnéale et surtout d’hypertonie anale). Elle est pratiquée (hors AMM) dans certains centres.
→ Solutions chirurgicales. La correction chirurgicale des troubles de la statique rectale peut être envisagée si l’anomalie anatomique (prolapsus du rectum, rectocèle) est à l’origine des symptômes.
La caecostomie avec irrigations coliques antérogrades est une alternative possible en cas de constipation sévère de transit, avec près de 60 % de succès (10). Enfin, de manière exceptionnelle et dans le cadre d’un centre expert, en cas d’inertie colique, la colectomie totale (avec anastomose iléo-rectale) peut être discutée et préférée aux résections coliques segmentaires ou à la coloproctectomie totale.
À RETENIR
Les règles hygiéno-diététiques et les laxatifs de 1re intention (laxatifs osmotiques et de lest) doivent être utilisés dans tous les cas.
Les laxatifs irritants, lubrifiants et prokinétiques sont à proposer en 2e intention.
Associer les différentes classes de laxatifs est possible.
Les suppositoires, lavements et la rééducation périnéale par biofeedback sont indiqués dans la dyschésie.
L’intérêt des probiotiques dans la constipation chronique est insuffisamment documenté.
Les multiples symptômes associés à la constipation (douleurs rectales et abdominales, ballonnements…) sont souvent en cause dans l’échec thérapeutique (11).
En cas d’échecs thérapeutiques, le patient doit être adressé dans un centre expert, après la réalisation d’une évaluation clinique et paraclinique approfondie, y compris psychologique.
POUR EN SAVOIR PLUS
Prise en charge de la CONSTIPATION 2016.Société nationale françaisede colo-proctologie
https://www.snfcp.org/wp-content/uploads/2017/Recommandations/Constipat…
Bibliographie
1. Johanson J. F. et al. APT 2007 Chronic constipation: a survey of the patient perspective Volume 25, Issue 5 March 2007, p 599-608.
2. Simren M. Et al. Update on Rome IV Criteria for Colorectal Disorders: Implications for Clinical Practice. Curr Gastroenterol Rep. 2017; 19(4): 15.
3. Recommandations pour la Pratique Clinique Prise en charge de la CONSTIPATION 2016 Travail mené par la SNFCP https://www.cregg.org/wordpress/wp-content/uploads/2017/04/images-commi…
4. Jean Lapuelle, FMC-HGE. POST’U 2015. Préparation colique personnalisée
5. Constipation chronique : traitements et règles hygiéno-diététiques, ce qui est prouvé. POST’U 2014. Pr Thierry Piche (FMC-HGE) www.fmcgastro.org
6. Costil V, Jouët P, pour la SNFGE et le CREGG. Fichediététique sur la constipation https://www.snfge.org/sites/default/files/recommandations/dietetique_su…
7. Mion F. Conseil de pratique SNFGE/GNFG (Février 2018) https://www.snfge.org/sites/default/files/SNFGE/Bibliotheque_scientifiq….
8. Kienzle-Horn S, et al. Efficacy and safety of bisacodyl in the acute treatment of constipation: a double-blind, randomized, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther 2006 May 15;23(10):1479-88.
9. Etherson K.J. et al. Transanal Irrigation for Refractory Chronic Idiopathic Constipation: Patients Perceive a Safe and Effective Therapy. Gastroenterol Res Pract. 2017; 2017: 3826087.
10. Ricard J, Quénéhervé L, Lefevre C, Le Rhun M, Chabrun E, Duchalais-
Dassonneville E, Meurette G, Touchefeu Y, Bruley des Varannes S, Zerbib F, Coron E. Anterograde colonic irrigations by percutaneous endoscopic caecostomy in refractory colorectal functional disorders. Int J Colorectal Dis. 2019 Jan;34(1):169-175. doi: 10.1007/s00384-018-3183-7. Epub 2018 Nov 7. PMID: 30406317.
11. Johanson J.F , KralsteinJ . Chronic constipation: a survey of the patient perspective. Aliment Pharmacol Ther 2007;25:599.
Liens d'intérêts
Le Pr François Mion déclare avoir des liens d’intérêts avec les laboratoires MSD, Laborie, Schwa-Medico, Alfasigma, Medtronic, Mayoly Spindler.
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique