L’éducation thérapeutique est entrée dans le code de santé publique depuis la loi du 21 juillet 2009 dite loi HPST (1) et les programmes structurés d’ETP sont autorisés depuis début 2011 en France. C’est la reconnaissance du fait que les maladies chroniques nécessitent une démarche de soins spécifique, centrée sur le patient, à la fois éloignée et complémentaire du modèle biomédical habituel. Dans cette démarche, le rôle du médecin traitant est fondamental.
DÉFINITION DE L’ETP
Selon la HAS (2) et l’OMS (3), l’ETP vise à « aider les patients à acquérir et maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique ». L’ETP aide « les patients et leur famille à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie ». La relation étroite entre ETP et les soins courants est bien stipulée par la loi : « L’éducation thérapeutique s’inscrit dans le parcours de soins du patient » : elle est n’est pas réalisée par des éducateurs mais par les soignants eux-mêmes. « Elle a pour objectif de rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie ».
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L’ETP
=› C’est une démarche centrée sur le patient : elle prend en compte ses besoins, ses projets. Cela implique une recherche active du point de vue du patient : la façon dont il vit avec sa maladie, ses valeurs, les difficultés qu’il rencontre au quotidien dans sa vie familiale, sociale, professionnelle, ou dans la gestion de ses traitements, ou ses rapports avec les professionnels de santé. Cette démarche est appelée « diagnostic éducatif » ou bilan partagé.
=› C’est une activité pluridisciplinaire, car la prise en charge au long cours d’une malade chronique fait en général intervenir plusieurs professionnels, d’où l’enjeu de faire travailler les soignants, non pas en parallèle ou séparés comme c’est malheureusement souvent le cas, mais de façon coordonnée autour du patient.
=› L’ETP est coordonnée dans le temps. Elle devrait être proposée selon la HAS proche du diagnostic initial (ETP initiale) puis lorsque le besoin d’en fait sentir : par exemple si une complication survient, lors d’un nouveau traitement ou lors de besoins psychosociaux particuliers ( ETP de renforcement ou de reprise).
=› L’ETP nécessite des compétences supplémentaires de la part des soignants. À côté de leur métier de base, il est nécessaire que les soignants acquièrent de nouveaux savoirs, définis par l’OMS : ce sont des compétences relationnelles, pédagogiques et d’animation, méthodologiques et d’organisation. D’où une formation indispensable des membres des équipes d’ETP.
=› L’ETP est intégrée aux soins et doit être évaluée. L’évaluation porte sur ce que le patient a appris lors de son parcours éducatif : c’est l’évaluation formative qui repose en grande partie sur l’auto-évaluation par le patient lui-même et sur la coopération entre les professionnels.
=› Les recommandations de la HAS déclinent ces principes fondamentaux en quatre étapes :
1- Élaborer un diagnostic éducatif
2- Définir un programme personnalisé avec des objectifs
3- Réaliser les séances individuelles ou collectives ou en alternance
4- Évaluer les compétences acquises, le programme et sa coordination.
Le diagnostic éducatif et les compétences à acquérir
Le diagnostic éducatif est un moment privilégié où le patient a le temps de s’exprimer. C’est un moment d’écoute, de partage. En théorie, il est réalisé dans un endroit calme et dédié en respectant la confidentialité. Ce peut être un entretien libre, ou un entretien semi directif à l’aide d’un questionnaire. Ce moment très important est en réalité difficile à réaliser, car il est très consommateur de temps.
En pratique libérale courante dans les cabinets médicaux, sa réalisation selon les principes de la HAS est impossible et d’autres méthodes de détection des besoins doivent être recherchées. Le diagnostic éducatif permet de définir les compétences dont le patient aura besoin et la façon dont il pourra les atteindre à l’aide d’objectifs à réaliser progressivement. Ces objectifs négociés vont faire la part entre les besoins exprimés par le patient et les messages de santé ou de sécurité que le soignant estime important pour le patient.
Les compétences ont été définies par la HAS : il s’agit de compétences d’auto soins et d’adaptation. Le tableau 1 donne des exemples de compétences dans l’arthrose. Toutes ne sont pas nécessaires pour un patient donné, mais dépendent du bilan partagé qui a été réalisé avec lui.
L’ETP est différente de l’information
Acquérir des capacités d’auto soins et d’adaptation ne peut passer par la seule information, même si elle est indispensable. Les messages éducatifs qui paraissent simples aux soignants peuvent, dans le cas particulier d’un patient donné, s’avérer difficile à mettre en œuvre. Par exemple, il semble logique de prendre un traitement de fond pour éviter les destructions articulaires de la polyarthrite rhumatoïde ou de nouvelles fractures dans le cas d’une ostéoporose sévère.
Pourtant, certains patients ont des difficultés à adhérer un nouveau traitement ou le suivre au long cours (4). On sait que l’adhésion aux thérapeutiques non médicamenteuses est mauvaise (activité physique, auto gymnastique) et les stratégies de motivation des patients ne sont pas évidentes (5).
L’information est insuffisante car une faible part des messages est mémorisée et les brochures ne sont pas toujours lues. Intégrer des modifications de mode de vie ou de comportement requiert de la part de certains patients un processus complexe dont les soignants doivent être conscients. Ce processus est variable selon les patients car il fait appel à des références de santé, des habitudes, des choix de vie, des croyances, des conditions psychologiques et sociales d’où l’inclusion de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge globale du patient.
ETP ET PATHOLOGIES RHUMATOLOGIQUES
L’ETP fait partie des recommandations professionnelles de prise en charge des maladies rhumatologiques. Elle est explicitement recommandée dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de l’arthrose de la hanche et du genou, de l’arthrose digitale et la goutte. Des éléments d’ETP appartiennent également à la prise en charge de la fibromyalgie, des lombalgies, de l’ostéoporose, prévention du risque cardiovasculaire des rhumatismes inflammatoires chroniques.
L’arthrose
Dans le traitement de l’arthrose de la hanche et du genou, la recommandation non pharmacologique n° 1 de l’OARSI (6) précise que « tout patient atteint d’arthrose de la hanche et du genou doit bénéficier d’un accès à l’information et une éducation concernant les objectifs du traitement et l’importance des modifications du mode de vie, de l’exercice physique, de l’adaptation des activités, de la perte de poids et d’autres mesures pour décharge la ou les articulations endommagées. L’accent initial doit être mis sur les moyens et les traitements pouvant être mis en œuvre par le patient lui-même, plutôt que des traitements passifs délivrés par des professionnels de la santé. Ensuite, les efforts devront surtout viser à encourager l’adhésion du patient aux traitements non pharmacologiques. » De même, dans l’arthrose digitale, « l’éducation concernant la protection articulaire (comment éviter les facteurs mécaniques délétères) en même temps qu’un programme d’exercices sont recommandés ».
Dans l’arthrose les objectifs thérapeutiques et pédagogiques principaux sont :
- l’adhésion au traitement, la gestion des antalgiques et des AINS ;
- l’activité physique et l’auto gymnastique ( adhésion et persistance) ;
- la perte de poids si nécessaire.
L’ostéoporose
L’enjeu majeur du traitement de l’ostéoporose est l’adhésion au traitement puisque, comme dans nombre de maladies asymptomatiques, l’observance chute dès les premiers mois de traitement et la persistance est mauvaise. L’observance est estimée à entre 50 et 70%.
Certains patients sont actuellement réticents à prendre les traitements à cause des effets indésirables réels de certains médicaments mais également en raison d’informations nombreuses et parfois erronées des médias ou Internet. Or une observance de plus de 80 % est nécessaire pour une efficacité du traitement et la prévention des fractures.
Une méta-analyse montre que seules des interventions comprenant une véritable démarche éducative sont efficaces sur l’adhésion et la persistance au traitement (4).
Dans l’ostéoporose les objectifs thérapeutiques et pédagogiques principaux sont :
- l’adhésion au traitement et les gestions des effets indésirables ;
- la réalisation d’une auto gymnastique et d’une activité physique ;
- l’adaptation du mode de vie alimentaire pour augmenter la ration calcique ;
- la prévention des chutes, particulièrement chez les patients chuteurs qui nécessitent une prise en charge multimodale.
Les rhumatismes inflammatoires
Concernant les rhumatismes inflammatoires, la HAS recommande l’ETP pour la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde avec une efficacité sur l’amélioration de la qualité de vie tout en constatant que les bénéfices observés sur la douleur, les capacités fonctionnelles et le « faire face » sont de faible pertinence clinique. Pour la polyarthrite débutante, "l’information du patient concernant sa maladie, son traitement, et son évolution est importante et également recommandée."
La polyarthrite rhumatoïde du fait des douleurs et déformations, du handicap et de la fatigue a des conséquences majeures sur le plan émotionnel, familial, social et professionnel. Les biothérapies ont transformé le traitement de la polyarthrite et des spondylo-arthropathies. Elles nécessitent de la part des patients des compétences nouvelles pour gérer les auto-injections et prévenir des complications en particuliers infectieuses.
-› Pour les rhumatismes inflammatoires chroniques, les objectifs thérapeutiques et pédagogiques principaux sont :
- Connaître la maladie et les traitements dans la vie courante.
- Connaître les signes d’alerte et la conduite à tenir en cas d’effet indésirable des traitements.
- Faire face à la douleur, à la fatigue et aux conséquences psychologiques, affectives, sociales et professionnelles.
- Maintenir une activité physique, acquérir les gestes respectant les règles de protection articulaire, faire face au handicap dans la vie courante.
- Impliquer l’entourage dans la gestion de la maladie.
Dans la lombalgie
L’enjeu majeur est d’éviter le passage à la chronicité des patients présentant des lombalgies aiguës récidivantes ou subaiguës. Les interventions éducatives brèves sont indiquées pour encourager le retour au travail et réduire le handicap, en privilégiant les messages positifs. Le réentraînement à l’effort pour les patients atteints de lombalgie chronique selon le modèle biopsychosocial est la méthode qui s’apparente le plus à l’ETP. Elle a des preuves d’efficacité sur la capacité fonctionnelle, la reprise du travail et l’absentéisme (7).
RÔLE DU MÉDECIN TRAITANT.
Selon la HAS (2), comme tout professionnel de santé, impliqué dans la prise en charge usuelle d’un patient ayant une maladie chronique, le médecin traitant :
- Informe le patient de la possibilité de bénéficier d’une ETP
- Réalise lui-même l’ETP s’il est formé (seul ou en équipe)
- À la fin du programme, aide le patient à maintenir ses compétences et soutenir sa motivation et celle de ses proches.
-› Le médecin présente l’ETP en consultation à un patient (2) selon les modalités suivantes :
- expliquer les buts de l’ETP et ses bénéfices en lui fournissant des exemples et les éventuelles contraintes en termes de temps nécessaire, de disponibilité ;
- lui permettre de poser des questions sur l’ETP,
- le renseigner quant à l’accès à des séances d’ETP dans son environnement proche,
- lui laisser un temps de réflexion pour prendre la décision de s’engager,
- faire le lien avec les professionnels de santé qui mettent en œuvre l’ETP.
-› La réalisation par le médecin traitant est possible mais seulement s’il est formé. La façon la plus habituelle actuellement est de participer à des programmes déjà existants à l’hôpital ou en réseau. Mais il est tout à fait possible de créer des programmes d’ETP, dans les maisons de santé par exemple.
-› Dans tous les cas, adopter une posture éducative et d’empathie vis-à-vis de son patient ne prend pas plus de temps qu’une consultation habituelle et permet de détecter des besoins éducatifs qui seront précisés en adressant le patient dans des programmes structurés. Elle permet aussi de suivre les compétences acquises par le patient, si le médecin traitant a été bien informé du contenu de l’ETP.
-› Cependant les autorisations de programmes ne concernant malheureusement pas toutes les pathologies rhumatologiques. En effet, sont autorisées essentiellement les pathologies en ALD et les maladies rares. Les autorisations de programmes sont peu fréquentes dans l’ostéoporose et rares dans l’arthrose malgré le fait que les compétences à acquérir par les patients fassent partie du traitement. C’est pourquoi, la participation active des médecins traitants à la démarche éducative en consultation est très importante dans ces pathologies fréquentes. Par exemple, dans la gonarthrose, l’étude Artist a montré que 3 consultations, chacune centrée sur un aspect éducatif simple et ciblé, ont des résultats positifs à court terme sur la douleur, l’exercice physique et sur la réduction pondérale (8).
À RETENIR
- L’ETP S’INSCRIT DANS LE PARCOURS DE SOINS DU PATIENT SELON LE CODE DE SANTÉ PUBLIQUE
- SELON LES RECOMMANDATIONS DE LA HAS, L’ETP EST DIFFÉRENTE DE L’INFORMATION ET SE RÉALISE EN PLUSIEURS ÉTAPES.
- L’ETP EST RÉALISÉE PAR LES PROFESSIONNELS FORMÉS DANS LES PROGRAMMES AUTORISÉS PAR LES ARS
- L’ETP FAIT PARTIE DES RECOMMANDATIONS PROFESSIONNELLES DU TRAITEMENT DES MALADIES RHUMATOLOGIQUES ET A UNE EFFICACITÉ VARIABLE SELON LES PATHOLOGIES.
- L’ETP IMPLIQUE TOUS LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ AVEC UN RÔLE INDISPENSABLE DU MÉDECIN ET RHUMATOLOGUE TRAITANT.
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique