Le corps possède la capacité de mémoriser la douleur dès le plus jeune âge. En effet, en même temps que les acquisitions motrices, les bébés et les jeunes enfants acquièrent un certain nombre de compétences cognitives comme la capacité à reconnaître leurs parents et les voix de personnes différentes, à remarquer et ressentir toute modification dans leur lieu de vie. La mise en mémoire de leurs expériences douloureuses s’effectue parallèlement (2). Ainsi, cette aptitude de mémorisation doit être mise à profit dans l’optimisation du traitement de la douleur.
DÉFINITION DE LA DOULEUR
L'Association Internationale pour l'Etude de la Douleur (IASP) définit la douleur comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en terme d’un tel dommage». De cette manière la douleur n’est pas limitée à la perception d’une sensation, mais est également régie par une composante émotionnelle.
Il s’agit donc d’un phénomène subjectif qui varie en fonction de la personnalité du sujet, de sa culture et de son vécu, du contexte. Il est fonction des apprentissages antérieurs et des évènements actuels.
En effet, en grandissant les enfants deviennent capables de décrire de façon explicite, avec des mots, ce qu’ils savent et ce dont ils se rappellent. Ceci grâce, entre autres, à l’acquisition d’une plus grande connaissance de leur environnement social et physique, à une meilleure capacité à s’exprimer par des mots, à des ressources cognitives plus matures. Ces progrès de leur développement influencent la manière avec laquelle se construisent les souvenirs. La mémorisation de la douleur est ainsi dépendante d’une sorte de la mémoire autobiographique dont les constituants dépendent de multiples facteurs dont l’émotion (2).
LE PHÉNOMÈNE DE MÉMORISATION
-› Ce phénomène est défini autour de la mémoire de la douleur (3) composée de :
- la mémoire périphérique qui correspond à une sensibilisation périphérique du système nerveux. Les altérations sont locales et ont lieu dans et autour de la lésion ou du stimulus nociceptif initial (4).
- la mémoire centrale produite au niveau de la corne postérieure de la moelle, du tronc cérébral et du cerveau. Il en existe 2 types. La première est la mémoire explicite, ou mémoire consciente, qui permet de décrire de manière précise (durée, localisation, intensité) certains faits douloureux uniques. La mémoire explicite est verbale et s’explore grâce aux échelles visuelles analogiques (EVA) permettant une adaptation des traitements antalgiques. La seconde est la mémoire implicite ou mémoire inconsciente, non verbale, dont les éléments constitutifs ne sont pas perçus par le sujet. L’exemple le plus connu est celui du membre fantôme (ou algohallucinose des amputés).
-› Ces processus de sensibilisation périphérique et de sensibilisation centrale sont responsables d’une sensation de douleur amplifiée (allodynie, hyperalgésie, douleur projetée,…) dont la localisation déborde au niveau du tissu alentour du phénomène douloureux initial. L’état du système nerveux se trouve ainsi modifié durablement au fil des stimuli nociceptifs. C’est la neuroplasticité.
-› L’expérience de la douleur d’un individu dans les heures et dans les jours qui suivent une lésion aiguë pourrait en grande partie déterminer ses réactions durant des mois ou des années (4).
Chez les personnes atteintes de troubles de la mémoire ((Alzheimer par exemple) ou cérébrolésées, la mémoire implicite de la douleur peut être conservée, contrairement à la mémoire explicite (5).
Notons que le stress augmente également la mémorisation de la douleur. Et dans certaines circonstances, cela favoriserait la chronicisation de la douleur (5).
Ainsi, la mémorisation d’évènements douloureux est régie par les caractéristiques individuelles de chaque être humain comme l’anxiété, l’âge, le tempérament, etc. (2).
LES IMPACTS SUR LE TRAITEMENT
-› La découverte de ce mécanisme de mémorisation a favorisé la mise en place du traitement préventif antalgique : une analgésie administrée avant un stimulus douloureux lors d’un geste iatrogène par exemple, en empêchant ou en réduisant la mémoire de la douleur dans le système nerveux, empêcherait ou réduirait la douleur et les besoins en antalgiques ultérieurs (6).
-› Le stress et l’anxiété jouant un rôle déterminant dans le ressenti de la douleur, il est nécessaire de mettre en place en préventif mais aussi en curatif des interventions comportementales psychologiques.
-› La douleur provoquée par un stimulus peut être amplifiée selon le vécu et le conditionnement de la personne. Dans certains cas, cela peut entraîner une réponse douloureuse disproportionnée. La thérapeutique est alors basée sur le remplacement des apprentissages anciens par des apprentissages nouveaux afin de réduire l’impact des gestes douloureux (5). Cette prise en charge doit être basée sur le vécu de la personne, ses émotions, sa perception de la douleur, l’éventuelle pathologie associée (6). L’écoute de la personne et de son ressenti de la douleur est impératif.
-› Mais attention, la douleur aiguë peut modifier la mise en mémoire de toute information et entraîner une inefficacité voire un effet délétère des analgésiques (opioïdes, antimigraineux,…) (6, 7).
-› Conséquence primordiale de la mémorisation de la douleur : les enfants doivent être préparés aux expériences douloureuses pour éliminer l’impact psychologique négatif de la douleur (6). Ainsi la possibilité d’un stockage d’informations en rapport avec des expériences douloureuses implique la réalisation d’une prévention des douleurs dès la prime enfance (7, 2). Des douleurs ressenties dans l’enfance peuvent engendrer à l’âge adulte des difficultés invalidantes dans la vie de tous les jours (évitement du dentiste, phobie des consultations médicales, etc….) (2).
-› « La peur de la douleur est parfois pire que la douleur elle-même » (6) mais aussi que « la mémoire de la douleur peut-être plus dommageable que son expérience initiale » (4).
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique