2010 SERA-T-ELLE une année de conflit tarifaire en médecine générale ? Plusieurs ingrédients constituent en tout cas un amalgame explosif pouvant conduire à une rébellion des honoraires, huit ans après la poussée de fièvre de 2001-2002 (voir encadré).
D’abord, les généralistes n’ont aucun espoir de revalorisation rapide après l’échec des négociations en vue de la nouvelle convention (la date butoir est révolue aujourd’hui) et la perspective du règlement arbitral. Si l’on met de côté les nouveaux contrats individuels sur objectifs (CAPI), dispositif controversé dont l’intérêt devra être jugé sur pièces, les généralistes risquent de subir durablement le gel tarifaire de leur acte de base en vigueur depuis déjà deux ans et demi (la hausse du C à 22 euros remonte au 1er juillet 2007). Dans un contexte tendu sur le plan financier, la hausse de la consultation à 23 euros n’est plus envisagée avant… 2011, de l’aveu du directeur de l’assurance-maladie. Si l’on ajoute le mécanisme des stabilisateurs automatiques qui repousse de six mois l’application de tout accord de revalorisation, on mesure l’étirement du calendrier… Quant à la diversification des modes de rémunération (forfaits), elle attendra au mieux la prochaine convention et reste une piste de travail sans contenu concret. Même horizon repoussé pour la réforme des consultations (CCAM clinique) censée différencier les actes suivant leur contenu. Statu quo surtout concernant la revendication d’équité tarifaire (application du CS) pour les spécialistes de médecine générale. En mars 2009, la justice a certes ouvert une brèche tarifaire en reconnaissant le droit de neuf médecins généralistes qualifiés spécialistes à coter leurs actes en CS (jugement de la cour d’appel de Grenoble) mais la CNAM s’est pourvue en cassation. Les contentieux s’éternisent tandis que le gouvernement affiche sa fermeté. Coter CS fait courir un risque au patient, celui du rejet total du remboursement, réaffirmait hier Roselyne Bachelot dans nos colonnes.
Ligne jaune.
C’est dans ce contexte de crispation que va se déployer la campagne pour les élections professionnelles chez les médecins libéraux. Le scrutin qui mesure l’audience des syndicats pourrait se dérouler au mois de juin. La campagne est propice est à une surenchère tarifaire débordant la sphère syndicale (forums, pétitions, émergence de coordinations…). Faut-il y voir un signe ? Tous les syndicats ont déjà durci leurs discours après l’échec des négociations, invitant les médecins à entrer en résistance (CSMF) ou à la mobilisation unitaire (MG). Union Généraliste a mis en ligne une pétition qui relaie le ras-le-bol (www.petition-medecin.org/). Près de 5 000 praticiens l’auraient déjà signée… Mais cette effervescence débouchera-t-elle sur un conflit ouvert ? Les avis sont partagés.
Contrairement aux coordinations, qui n’ont aucun compte à rendre et peuvent tenir des discours jusqu’au-boutistes, les syndicats doivent trouver la mesure. Ils connaissent les risques de consignes tarifaires trop explicites ou d’appels aux dépassements des tarifs légaux. Agiter l’épouvantail de la contestation tarifaire peut servir leurs revendications à condition de ne pas franchir eux-mêmes la ligne jaune. La condamnation (en première instance) de sept syndicats par le Conseil de la Concurrence dans l’affaire des consignes tarifaires lancées dans les années 2000 a refroidi les ardeurs. En avril 2008, cet organisme avait infligé 814 000 euros d’amende à sept syndicats pour « entente » sur des tarifs de consultation, suite à la plainte d’une association. La cour d’appel de Paris a « blanchi » les syndicats mais le gouvernement s’est pourvu en cassation.
Pour autant, plusieurs leaders affirment qu’une fronde tarifaire est inévitable, notamment parce que d’autres dossiers mécontentent la « base » au premier rang desquels la gestion de la campagne de vaccination H1N1 ou les premiers projets de décrets HPST « vexatoires » (obligation de déclarer ses congés, contrat santé solidarité…). Union Généraliste (UG, issue de la fusion entre Espace Généraliste et la FMF-G) semble déterminée à engager rapidement des actions de protestation tarifaire. « Nous allons décider lors de notre prochaine assemblée générale, le 24 janvier, de lancer un mot d’ordre appelant les spécialistes de médecine générale à utiliser la nomenclature spécialisée à laquelle ils ont droit », affirme le Dr Jean-Paul Hamon, coprésident d’Union Généraliste. Ainsi, les omnipraticiens qualifiés spécialistes qui reçoivent un patient dans le cadre de la coordination des soins pourraient, selon le Dr Hamon, coter « CS+MPC » soit 25 euros. Les médecins suivront-ils ? Le généraliste invoque le ras-le-bol de ses confrères. « Nous sommes baladés depuis trois ans avec le C à 23 euros et la spécialisation de la médecine générale. Il n’y a qu’une chose que les politiques comprennent : la force ». Le Dr Claude Bronner, autre coprésident d’UG, confirme la radicalisation. « Notre message est simple : application du CS en 2010 pour tous les spécialistes qualifiés en médecine générale. On va pousser les médecins coter CS de façon concertée. J’ai bientôt une AG en Alsace, on lance le mouvement aussi sec. »
Le président de MG-France…pionnier de la cotation CS.
MG-France qui vient de changer de présidentet de cap plaide pour un « mouvement unitaire d’application du CS par les spécialistes qualifiés » et fait de l’équité tarifaire son cheval de bataille. La stratégie syndicale devrait être arrêtée la semaine prochaine, lors d’un comité directeur, mais le fait que le syndicat soit désormais présidé par Claude Leicher, un des fers de lance de la cotation CS, personnellement engagé dans une procédure, est révélateur. « Le semestre sera animé, prévient le Dr Thomas Bourez, vice-président de MG-France. Il est évident qu’on ne se contentera pas de dire que les généralistes devraient être mieux payés… »
D’autres responsables tiennent un propos plus nuancé. Si le combat pour l’équité tarifaire et les revalorisations est jugé légitime, la fin ne justifie pas tous les moyens.Le SML n’entend pas lancer de mot d’ordre. « Ceux qui ont essayé se sont ramassés, commente son président, le Dr Christian Jeambrun. Les appels à modification unilatérale de la nomenclature sont démagogiques et suicidaires. Nous voulons rester un syndicat sérieux. » Ce qui n’empêche pas ce syndicat de fixer ses objectifs tarifaires : CS accessible par tous, élargissement du C2, CAPI adapté aux cliniciens, consultation à forte valeur ajoutée… À la CSMF, on juge que le divorce est consommé entre le ministère de la Santé actuel et les médecins généralistes. Du côté de la direction confédérale, beaucoup sont convaincus qu’il y aura des débordements tarifaires. « Après l’épisode HPST, la grippe est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, analyse le Dr Michel Combier, président de l’UNOF, branche généraliste de la Confédération. Les généralistes sont exaspérés. »
Mais quel positionnement adopter ? « Le C = CS, cela ne tient plus la route, commente le Dr Combier. Maintenant, il faut réclamer le C à 25 euros, seul tarif légitime… » Un slogan percutant mais qui ressemble davantage à un objectif à atteindre qu’à un appel à la zizanie tarifaire. Dans un contexte de marasme économique et de chômage élevé, lancer une guérilla des honoraires reste un exercice délicat.
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