Contrôle des règles de cumul d'activités des praticiens hospitaliers : APH craint un « fichage » des médecins par les directeurs

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Publié le 06/06/2023
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Crédit photo : Burger/Phanie

Non c’est non ! Pour la deuxième fois consécutive, le Conseil supérieur des personnels Médicaux (CSPM) a rejeté un projet de « fichage des praticiens hospitaliers par les directeurs », dénonce l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), dans un communiqué. En cause, un projet de décret du ministère de la Santé « relatif à la consultation par les établissements publics de santé des données issues de la déclaration à l’embauche » (article L. 1221-10 du code du travail).

Censé « contrôler l’application des règles de cumul d’activités dans les établissements publics de santé », celui-ci pourrait « permettre aux directeurs d’hôpitaux et à des personnes désignées par leur soin d’avoir accès aux données issues de l’obligation prévue par l’article L. 1221-10 du code du travail en matière de déclaration à l’embauche », s’inquiète APH qui exprime des « doutes sur sa conformité vis-à-vis de la loi ».

Le rôle du CNG ?

L’intersyndicale précise qu’elle n’est pas opposée à ce contrôle sur le principe, mais refuse qu’il soit confié aux directeurs d'établissements, « alors que la loi à laquelle il se rapporte affecte ce rôle à l'autorité de nomination : le centre national de gestion (CNG) », l’autorité investie du pouvoir de nomination des praticiens hospitaliers. D’autant plus que les directions hospitalières ont déjà la possibilité de consulter le CNG pour savoir si « le praticien travaille déjà sur un autre établissement de santé et à quelle quotité ».

Contacté par « Le Quotidien », le Dr Yves Rebufat, président exécutif d'Avenir Hospitalier, membre d’APH, estime que le projet de décret n’est « pas conforme à l’ordonnance initiale qui prévoyait que cela soit l’autorité de nomination qui puisse consulter le fichier. Or, pour les PH, c’est le CNG et pas non pas le directeur d’établissement. Cela pose donc un problème juridique ».

Le président d’Avenir hospitalier comprend parfaitement que le ministère veuille contrôler les activités hors établissement, mais il craint « des dérives, une espèce de suspicion permanente sur l’ensemble des PH alors que les brebis galeuses ne sont pas très nombreuses ». Selon lui, le projet de décret « cible clairement sans le dire l’intérim médical et le cumul d’emplois salariés illégaux ». Ce qui n’a pas empêché les directeurs d’établissements de « recruter durant des années sur de l’intérim des gens qui étaient PH, tout en sachant pertinemment qu’ils étaient PH ».

Ouvrir la boîte de Pandore ?

D’autre part, les directeurs hospitaliers disposent déjà d’outils pour contrôler le cumul d’activités dans les établissements, rappelle le Dr Rebufat. Lors de la signature d’un contrat d’intérim, « le Conseil de l’Ordre doit normalement être informé par les praticiens. C’est une obligation déontologique et réglementaire, même si tous les praticiens ne le font pas », regrette l'anesthésiste - réanimateur nantais.

Par ailleurs, le fichier de déclaration à l’embauche est alimenté « pour des déclarations d’emploi de salarié », poursuit le Dr Rebufat. En clair : « Si, moi, PH, je vais faire des piges dans la clinique d’à côté en libéral, cela n’apparaîtra pas dans le fichier ».

Si le projet de décret était mené à bout, « seules les données en rapport avec le salariat seraient consultables », confirme le Dr Jean-François Cibien, le président d’APH. Selon lui, « si un praticien remplace un collègue ou s’il touche des émoluments d’un laboratoire, cela n’apparaît pas dans les données, d’où l’intérêt de passer par l’Ordre et non les directeurs d’établissement pour consulter ces données ».

Comme le Dr Rebufat, le président d’APH craint également que ce décret « ouvre la boîte de Pandore ». Il suffira en effet « de tomber sur un directeur malveillant et cette loi pourrait être mal utilisée, et surtout mal vécue par les praticiens qui sont déjà en souffrance ».

Pour résumer, « avant de créer de nouvelles lois, appliquons déjà les lois existantes », poursuit l’urgentiste du CH d’Agen, qui rappelle qu’une majorité de directions n’ont pas mis en place de dispositif de décompte « fiable, objectif et accessible » du temps de travail. À l’image du CHU de Strasbourg, récemment condamné.


Source : lequotidiendumedecin.fr