Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage

Publié le 23/09/2022
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VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - Problèmes d'accès aux soins, engorgement des urgences… La faute à qui ? Mais aux médecins généralistes bien sûr, accusés d'être à l'origine de la plupart des dysfonctionnements d'un système de santé au bord de l'asphyxie. Des boucs émissaires idéals pour faire oublier les erreurs et les errances de la politique de santé de ces trois dernières décennies…

Crédit photo : DR

Août 2022. Avec plusieurs confrères partout en France nous nous étonnons du calme relatif dans nos cabinets. Un étonnement rempli de satisfaction car nous avons le temps de prendre le temps pour nos patients. À bien y réfléchir, ce mois d’août n’est pas calme. Il est juste « normalement » rempli. Sans avoir besoin de réussir à trouver des créneaux sur des agendas déjà pleins afin de recevoir en consultation des patients en urgence. Sans rallonger plus que de raison nos amplitudes horaires de travail. Nous avons donc été surpris par l’anormalité d’une situation pourtant totalement normale.

Septembre 2022. Le rythme effréné a repris. Notre résilience est de prendre pour acquis que notre normalité désormais, c’est celle de la gestion permanente du « toujours plus » : de patients, de consultations, d’heures de travail…

Et, à en croire les déclarations de notre ministre, il faudrait même que nous sortions de notre « paresse » actuelle (pourtant chère à la députée Sandrine Rousseau) pour travailler encore plus. Car, « il est inacceptable qu'on ne puisse pas avoir accès à un médecin généraliste le soir, au moins jusqu'à minuit, et le week-end ». Voilà donc les coupables tout désignés du problème d’accès au soin et d’engorgement des urgences : ces fainéants de généralistes. Ceux qui, dans certains recoins de notre beau pays, se retrouvent à trois par secteur de garde. Ceux qui devraient donc, si les gardes redevenaient obligatoires, assurer une garde un soir sur trois et un week-end sur trois. Ceux qui devraient, bien entendu, assurer ces gardes en plus de leur temps de travail hebdomadaire.

Quel beau contre-feu allumé pour tenter de faire oublier que nous payons les frais des mauvaises décisions des politiques de santé de ces 30 dernières années. Sans doute aussi pour tenter d’oublier que l’hôpital va mal, qu’un des gros problèmes des urgences est de trouver des lits d’hospitalisation d’aval, ou que la tarification à l’activité a pu autrefois transformer bien malgré eux les services des urgences en poule aux œufs d’or pour les budgets exsangues des hôpitaux, les poussant à accueillir le plus de patients possible.

Peu à peu, l’idée germe dans la tête de nos concitoyens que les généralistes ont une lourde charge de travail, certes, mais qu’il s’agit de leur vocation et qu’ils doivent être disponibles. Cela va devenir normal, sous les applaudissements des pouvoirs publics.

Peut-on tout exiger du pilote ?

Viendrait-il à l’idée de quiconque de penser à exiger d’un pilote de ligne de faire des journées de travail plus longues ? Tout le monde s’accorderait à dire qu’il ne faudrait pas prendre la vie de la centaine de passagers transportés par chaque avion à la légère et que la sécurité devrait primer sur tout le reste. Alors pourquoi un tel raisonnement n’a pas cours quand on parle de généralistes qui doivent gérer la santé et la vie de plus d’un millier de patients en moyenne ? Pourquoi trouver normal de demander à ces mêmes généralistes de travailler encore plus qu’ils ne le font ?

Et de lire ici ou là des témoignages de confrères tentés de retirer leur plaque et de se reconvertir, voire tout simplement d’aller occuper un des nombreux postes vacants de médecin hospitalier. Ou encore de finalement prendre une retraite qu’ils avaient maintes et maintes fois repoussée.

Les déclarations de notre ministre se succèdent et finissent (déjà) par se ressembler. La dernière en date indique le futur remboursement intégral de consultations de prévention à trois âges de la vie. Agir sur la prévention est une excellente idée tant la prévention est le parent pauvre de notre système de santé actuel. Mais, qui va assurer cette consultation de prévention ? Je suppose qu’il s’agira des généralistes. Donc, en résumé, alors que la pénurie est intensément et durablement installée, rendant l’accès de la population à un médecin traitant de plus en plus difficile, l’une des premières décisions prises est… d’inciter la population à consulter encore plus des généralistes déjà débordés.

Il y a quelques années, un haut responsable de l’enseignement supérieur disait, au détour d’une réunion de négociation, « entre nous, avec l’intelligence artificielle, vous ne pensez pas que la médecine générale est amenée à terme à disparaître ? »

Entre la démographie médicale et les récentes déclarations assorties des mesures risquant d’être contre-productives, nous allons sans doute aller vers cette disparition. Et fort est à parier que l’on dira que tout est de la faute des généralistes qui n’ont pas voulu s’adapter. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage.

Exergue : Qui va assurer cette nouvelle consultation de prévention ? Je suppose qu'il s'agira des généralistes, déjà débordés...

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin