« Rétablir dans leurs droits les professionnels non-vaccinés » : le plaidoyer du Pr Hirsch pour la réintégration des soignants

Publié le 13/07/2022

« Rien n’atteste de l’efficacité de la mise à pied prolongée de professionnels dont la présence fait défaut dans des établissements ». Alors que les députés d'opposition font pression sur le gouvernement pour que les soignants suspendus soient réintégrés et que le ministre de la Santé vient de saisir la HAS et le CCNE sur cette question, le directeur de l'Espace éthique d'Île-de-France juge cette ouverture opportune. Ce serait aussi, estime le Pr Emmanuel Hirsch, un signe positif pour la reprise du dialogue et l'occasion de convoquer une convention citoyenne sur l'obligation de vaccination.

Crédit photo : DR

CONTRIBUTION - Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés ? L’abrogation par le Parlement de cette mesure de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 concernerait près de 12 000 intervenants dans les champs de la santé et du médico-social. Cette éventualité a été évoquée hier [mardi 12 juillet, N.D.L.R] à l’Assemblée nationale.

Si la justification de cette abrogation tient au souci d’apaisement et de « réparation » attendu dans bien des champs de la vie sociale et des modalités de gouvernance de la pandémie, une question doit toutefois être posée : n’affaiblirait-elle pas l’autorité publique dans ses choix décisionnels en cas de rebond de la pandémie imposant à nouveau des mesures d’urgence contraignantes ?

Pour une analyse objective des circonstances

Du 20 juillet 2020 au 25 janvier 2022, Santé publique France dénombrait 102 837 cas de Covid-19 chez les professionnels exerçant en établissement de santé (dont 23 167 infirmiers et 19 635 aides-soignants), ainsi que 19 décès (aucun n’étant intervenu depuis décembre 2020). Santé publique France reportait 6 505 signalements d’infections à SARS-CoV-2 nosocomiales entre mars et janvier 2022.

Cela doit nous inciter à des approches prudentes lorsque l’enjeu supérieur est la protection de la santé des personnes dans le contexte des pratiques soignantes à l’hôpital ou dans des établissements médico-sociaux comme le sont les Ehpad.

Rappelons que la vaccination préventive du SARS-CoV-2 s’est imposée dès juillet 2020 dans les controverses publiques comme un marqueur de l’adhésion ou non « aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique » (« Déclaration universelle des droits de l’homme », Assemblée générale des Nations unies, 10 décembre 1948, art. 29-2).

Cette exigence de santé publique constitue certainement l’expression la plus évidente des tensions éthiques et de gouvernance révélées et accentuées par les impacts d’une crise qui imposait des décisions d’intérêt général dans un contexte d’incertitude.

Le défi était de donner à comprendre, et tout autant à être assuré, que l’obligation vaccinale ne procédait pas d’une obstination politique disproportionnée au regard d’une analyse objective des circonstances, mais de la conviction qu’il s’agissait là du recours obligé à une riposte collective que les avancées inattendues des biotechnologies appliquées à la conception des vaccins rendaient tangibles.

Le privilège des pays qui disposent du système sanitaire et des ressources financières conditionnant la soutenabilité d’une stratégie vaccinale, est d’avoir pu s’autoriser une contestation de la vaccination motivée par une certaine conception de la liberté individuelle. D’autres nations dans le monde regrettent de n’avoir pas pu bénéficier d’une obligation universelle à accéder à la vaccination (y compris pour leurs soignants), faute de disposer de doses accessibles dans de bonnes conditions en dépit des besoins…

La position prônée le 29 juin 2021 par l’Institut Pasteur devait-elle conduire l’État à imposer la vaccination obligatoire en termes d’efficacité ? : « Les personnes non vaccinées contribuent à la transmission de façon disproportionnée : une personne non vaccinée a 12 fois plus de risque de transmettre le SARS-CoV-2 qu’une personne vaccinée. […] » Notre gouvernement n’a pas choisi l’obligation vaccinale pour tous, lui préférant la forte incitation du passe vaccinal.

Il conviendrait de savoir si cette stratégie était la plus pertinente, alors que certains y ont interprété une incertitude sur l’efficacité du vaccin et donc une position de prudence.

Six mois après la position de l’Institut Pasteur, le 25 janvier 2022, le président du Conseil scientifique Covid-19 affirmait ainsi sur France Info que, si le vaccin a « une action formidable pour lutter contre les formes sévères », les scientifiques observaient néanmoins « une action limitée dans le temps et limitée sur la transmission ».

Veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination

Revenons sur les conditions de mise en œuvre de l’obligation vaccinale. Elle s’est imposée aux professionnels, étudiants ou bénévoles intervenant dans le secteur de la santé ou du médico-social, les sapeurs-pompiers et personnes assurant la prise en charge des victimes, aux personnels naviguant et militaires affectés aux missions de sécurité civile, et aux prestataires de services et distributeurs de matériels.

D’emblée, nombre de professionnels de santé ont difficilement admis cette préconisation au sein de leur communauté. Théoriquement, ils étaient pourtant plus que d’autres en mesure d’en saisir les enjeux, ne serait-ce que pour se protéger et protéger autrui, ou par souci d’exemplarité. De surcroît, ils acceptaient déjà quatre vaccins obligatoires.

Depuis le début de la crise sanitaire n’avaient-ils pas démontré leur esprit d’engagement, y compris lorsqu’ils ne disposaient pas des moyens de protection indispensables, pour être de la sorte menacés d’exclusion de l’hôpital ou de l’Ehpad, de perte d’emploi et de relégation sociale s’ils ne se soumettaient pas à l’injonction vaccinale ? Était-il dès lors inconcevable d’envisager les conditions d’un pacte de confiance alternatif à des procédures systématiques de vaccination, appliquées sans esprit critique, qui voulant imposer un comportement exemplaire et responsable s’avéraient pour certains professionnels plus proches de la soumission et d’une intrusion dans la sphère privée que d’un consentement libre, éclairé et exprès ?

Dans un remarquable document adopté le 27 janvier 2021, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

« […] Demande [donc] instamment aux États membres et à l’Union européenne : de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. » (« Vaccins contre la Covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques », Conseil de l’Europe, Résolution 2 361 (2021), 7.3.1, 7.3.2, 27 janvier 2021). Qu’a-t-on fait de cette préconisation ?

Le président de la République a provoqué une vive controverse le 4 janvier 2022 en exprimant son « envie » présidentielle – « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie»

Les nouveaux équilibres entre l’exécutif et l’Assemblée nationale sont désormais susceptibles d’atténuer la portée de ces propos contestables. Dès lors, l’abrogation prendrait la signification non pas d’un renoncement au devoir pour chacun d’assumer ses obligations, mais de l’exigence d’un dialogue renouvelé sur d’autres bases que les outrances (parfois réciproques) afin de mieux donner à comprendre ce que sont les responsabilités engagées et à en saisir plus justement leur bien-fondé.

Rien n’atteste de l’efficacité de la mise à pied prolongée

Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés est une éventualité envisageable aujourd’hui. Elle relève d’une capacité de faire confiance à l’écoute, à la concertation ainsi qu’à l’esprit de responsabilité. Elle ne consiste pas à relativiser l’impératif de l’obligation vaccinale des professionnels au titre de règle de bonne pratique, de même que toute autre mesure de protections avérée.

Au-delà d’une abrogation, cette démarche politique devrait être accompagnée de l’initiative d’une convention citoyenne portant sur l’obligation vaccinale et plus largement sur les mesures contraignantes en situation de crise sanitaire. Car il nous faut être en capacité d’anticiper le futur dans le cadre d’une concertation. Il est évident que des mesures contraignantes, appliquées sans esprit de discernement et en suscitant des discriminations ne seront plus acceptables. En témoigne la difficulté des instances publiques à imposer des mesures de prudence probablement justifiées actuellement (ne serait-ce comme le port du masque dans les transports). Elles ont épuisé une capacité d’adhésion de la société à la rigueur de dispositifs non concertés et aux justifications parfois discutables.

Cette abrogation de l’interdiction d’exercer pourrait contribuer à restaurer un esprit de confiance, y compris de la part des personnes en situation de vulnérabilité qui exigent à juste titre d’être préservées de tout risque nosocomial. De ce point de vue rien n’atteste de l’efficacité de la mise à pied prolongée de professionnels dont la présence fait défaut dans des établissements. Au point d’inciter parfois des soignants à poursuivre leur activité alors qu’ils sont infectés par le SARS-CoV-2… Il leur est seulement préconisé de prévenir par les moyens en vigueur les risques de transmission.

Dès lors en quoi pérenniser une mesure d’interdiction d’exercice motivée par le risque de contaminer un tiers est-elle exemplaire si elle contraint à des adaptations de nature à mettre en cause les strictes règles de sécurité sanitaire ?

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay

Source : lequotidiendumedecin.fr