Cancer du sein : une étude d'optimisation chez les femmes âgées fait date à l'Asco

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Publié le 24/06/2022
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Les résultats très attendus d'Aster 70s, la plus vaste étude menée pour personnaliser le traitement du cancer du sein après 70 ans, ont été présentés à l'Asco. Cet essai de phase 3 promu par Unicancer pose la question de la désescalade thérapeutique dans cette population âgée. L'investigateur principal, le Dr Étienne Brain de l'Institut Curie a reçu le prix de l'excellence scientifique en oncogériatrie lors du congrès.
Les traitements comme la chimiothérapie sont souvent surprescrits et doivent être adaptés

Les traitements comme la chimiothérapie sont souvent surprescrits et doivent être adaptés
Crédit photo : Phanie

La chimiothérapie est-elle vraiment nécessaire dans le cancer du sein ? C'est à cette question qu'a voulu répondre le Dr Étienne Brain, oncogériatre à l'Institut Curie, avec le groupe Gerico en lançant l'essai clinique Aster 70s dans les tumeurs agressives chez près de 2 000 femmes de plus de 70 ans. Les résultats de ce travail inédit mené durant quatre ans ont été présentés au congrès de l'American Society of Clinical Oncology (Asco) début juin.

Les bénéfices de la chimiothérapie en plus de l'hormonothérapie restaient controversés chez les femmes âgées. Cet essai de supériorité a comparé l'efficacité sur la survie globale de la chimiothérapie associée à l'hormonothérapie par rapport à l'hormonothérapie seule chez des femmes de plus de 70 ans ayant une tumeur hormonodépendante HER2 négative agressive (grade génomique élevé).

« C'est la première fois que l'on dispose d'une étude d'une telle ampleur au sein d'une population qui est habituellement exclue des essais cliniques », souligne le Dr Brain. Alors que près de la moitié des cancers surviennent chez des personnes de 65-70 ans, l'incidence après cet âge va continuer à augmenter dans les années à venir, posant des enjeux en termes de santé publique. « Nos résultats interrogent sur la désescalade thérapeutique chez certaines de nos patientes âgées et sur le biais considérable de nos attitudes recourant par défaut, sans démonstrations, aux mêmes standards que chez nos patientes plus jeunes », explique-t-il.

Une étude au design rigoureux

Ainsi, 1 969 patientes issues de 61 centres français et 12 belges ont été incluses, sans imposer de critères d'éligibilité restrictifs. Toutes présentaient un cancer hormonodépendant (récepteur aux œstrogènes positifs, ER+) et HER2 négatif, primitif ou avec rechute locale. Les patientes présentant une tumeur agressive (de haut grade génomique) - soit 1 089 patientes - ont été randomisées entre les deux groupes, chimiothérapie + hormonothérapie ou hormonothérapie seule. Le suivi médian est de 5,8 ans et l'âge médian de 75 ans. La cohorte de patientes avec un cancer peu agressif était suivie en parallèle sans recevoir de chimiothérapie selon les recommandations actuelles.

Les résultats d'Aster 70s révèlent l'absence de différence significative en termes de survie globale entre les deux groupes randomisés : la survie globale à quatre ans est de 89,4 % dans le groupe hormonothérapie seule et de 90,6 % dans le groupe chimiothérapie + hormonothérapie (p = 0,08, analyse en intention de traiter).

Cependant, en analyse per protocole, il semble exister pour certaines patientes une tendance en faveur de la chimiothérapie pour un bénéfice marginal (< 2 %) : la survie globale à quatre ans est respectivement de 89,3 % et de 91,0 % (p = 0,03). Ces résultats s'expliquent par le suivi réel puisqu'environ 20 % des patientes n'ont pas adhéré à la chimiothérapie, un taux comparable à celui constaté dans d'autres essais randomisés.

Aller encore plus loin dans la personnalisation

« La masse d'informations recueillies dans Aster 70s va permettre d'étudier les ajustements et les adaptations nécessaires de ces traitements souvent surprescrits comme la chimiothérapie », explique l'oncogériatre. Aster 70s pourrait permettre d'identifier certaines patientes, pour lesquelles, même marginal, le bénéfice de la chimiothérapie serait suffisant pour en discuter l'indication.

« Les données de qualité de vie, sur l'autonomie, l'indépendance, la survenue d'effets secondaires, l'acceptabilité des soins nous seront très précieuses pour faire avancer nos recommandations, intégrant certes, innovation en oncologie, mais avec un recentrage sur la qualité de vie et tous les autres paramètres de santé qui comptent chez chacun mais encore plus chez un sujet âgé », souligne le Dr Brain.

Lors du congrès, le Dr Brain a reçu le B. J. Kennedy Geriatric Oncology Award du nom de l'ancien président de l'Asco, ce prix récompensant un médecin pour ses contributions à la recherche sur les cancers des sujets âgés. Pour le spécialiste de l'Institut Curie, le développement d'une recherche clinique spécifique pour cette population âgée « doit se faire avec persistance, en comptant sur la créativité des nouvelles générations d'oncologues et de gériatres, et en stimulant les collaborations internationales pour innover ensemble, pour le plus grand bénéfice de nos patients âgés qui sont déjà nos patients les plus fréquents ».

Pour le Pr Steven Le Gouill, directeur de l'ensemble hospitalier de l'Institut Curie, l'étude Aster 70s constitue « un véritable tournant pour la recherche clinique en oncogériatrie et pour l'accès à l'innovation des patientes et patients âgés ».

Dr I. D.

Source : Le Quotidien du médecin