Dr Céline Vallot, Institut Curie (Paris)

Cancers du sein triple négatifs : majorer l'efficacité des chimiothérapies via les marqueurs épigénétiques

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Publié le 31/05/2022

Un récent travail français publié dans Nature Genetics (1) apporte pour la première fois la preuve formelle que moduler certains verrous épigénétiques permet d’améliorer la sensibilité des cancers du sein triple négatifs à la chimiothérapie, et ainsi de diminuer les récidives. Explications de la Dr Céline Vallot, directrice de recherche CNRS (département de recherche translationnelle), Institut Curie (Paris).

Crédit photo : DR

Les cellules tumorales ont des génomes riches en mutations type BRCA1, TP53… Elles portent aussi souvent des altérations épigénétiques (modifications réversibles des histones ou de l'ADN, venant moduler l'expression des gènes) [2]. « Le marqueur épigénétique H3K27me3, objet central de notre travail, est un de ces verrous épigénétiques, précise la Dr Céline Vallot, directrice de recherche au CNRS. Il agit en réprimant l’expression du gène sur lequel il se trouve ». En effet, ce marqueur bien particulier participe à la définition de l’identité des cellules dans les tumeurs, mais aussi au cours de l’évolution des cellules embryonnaires et de leur différentiation. Depuis quelques années déjà, son rôle primordial lors de l'embryogenèse a été identifié (3) : il module la répression de l'expression d’un des deux chromosomes X chez les femelles (cellules XX versus XY chez le mâle). Aujourd'hui, notre travail montre qu'il est aussi impliqué dans la relative chimio-insensibilité de certaines tumeurs.

Un marqueur associé à la chimiosensibilité

« Il existe des marqueurs génétiques pouvant expliquer en partie pourquoi certaines tumeurs du sein triple négatives sont relativement résistantes aux chimiothérapies et récidivent sans cesse, ajoute la Dr Valot. Néanmoins, dans la plupart des cas, ces phénomènes restaient incompris ». Ce travail, novateur, a permis d'identifier que le marqueur épigénomique H3K27me3 était une des clefs déterminant la capacité des cellules à tolérer la chimiothérapie.

« En soumettant des modèles murins à une chimiothérapie traditionnelle, nous avons montré que la capacité d’échappement à la chimiothérapie est au moins en partie le fruit de la perte du marqueur épigénétique H3K27me3 », révèle la Dr Vallot. Les modèles murins sous chimiothérapie n'évoluent pas du tout de la même façon, en fonction de la présence ou non d’agents bloquant la perte de H3K27me3. En effet, bloquer la perte de H3K27me3 vient significativement majorer la réponse à la chimiothérapie, tant en termes de réponses tumorales complètes que de récidives à moyen ou long terme. « Nous tenons donc là une nouvelle piste pour améliorer le pronostic des patientes. Pour autant, les implications cliniques de ce travail ne sont pas pour demain », reconnaît la Dr Vallot. Il reste aujourd'hui bien du chemin à faire avant de trouver d’éventuels agents capables d'agir sur ces verrous épigénétiques avec un ratio bénéfice/risque intéressant. Néanmoins, une pierre angulaire a d'ores et déjà été posée.

Agir sur le maintien de H3K27me3

« Nous avons réussi sur modèle murin à bloquer le déverrouillage, avec à la clé un bénéfice en réponses et récidives. Mais l'affaire s'avère plus délicate à l’échelle humaine », précise la Dr Vallot. En effet, le marqueur H3K27me3 module l'expression d'une enzyme primordiale, impliquée dans un certain déverrouillage de l'ADN (avec à la clé plus de bioplasticité) et dans plusieurs autres voies métaboliques cellulaires très sensibles. La cibler de manière spécifique, seulement dans les cellules tumorales, reste un défi. « Nous travaillons donc sur diverses pistes. Aujourd'hui, nous sommes à la recherche de moyens de moduler ou bloquer plus spécifiquement la perte de H3K27me3 sous chimiothérapie », conclut la Dr Vallot.

(1) Marsolier J et al. H3K27me3 conditions chemotolerance in triple-negative breast cancer. Nat Genet 2022;54:459-68.
(2) Selmin OI et al. Epigenetic Regulation and Dietary Control of Triple Negative Breast Cancer. Front Nutr 2020. https://doi.org/10.3389/fnut.2020.00159
(3) Inoue A et al. Maternal H3K27me3 controls DNA methylation-independent imprinting. Nature 2017. 547/ 419–424

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr