La plasticité au cœur de la réadaptation

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Publié le 22/04/2022

La plasticité des systèmes est un concept structurant de la rééducation. Sa connaissance est fondamentale pour tout praticien en Médecine physique et de réadaptation (MPR), quel que soit son domaine, pour savoir orienter et planifier l’ensemble du projet de rééducation. Tous les systèmes sont pourvus d’une certaine plasticité, mais trois d’entre eux concernent particulièrement la MPR : les muscles, l’os et le cerveau.

Grâce à la neuroplasticité, le cortex moteur peut se réorganiser sous l’influence de l’entraînement musculaire

Grâce à la neuroplasticité, le cortex moteur peut se réorganiser sous l’influence de l’entraînement musculaire
Crédit photo : phanie

La plasticité se définit par la capacité d’un système à modifier son organisation et son fonctionnement, selon les contraintes internes ou environnementales qui lui sont imposées. Tous les systèmes du cerveau au cœur, y compris musculosquelettiques, sont pourvus d’une certaine plasticité. Les systèmes musculaires, osseux et cérébraux, largement intriqués, font l’unité de la MPR et leur plasticité est fortement impliquée dans les programmes de rééducation. 

Des muscles dépendants de l'activité physique

Curieusement, il existe beaucoup d’incertitudes sur la plasticité musculaire. Les études animales ne sont pas transposables à l’homme. Quant aux données chez l’homme, elles varient beaucoup en fonction de l’état (atrophié ou non) et du type de muscle, de l’intervention et de sa durée, ainsi que des facteurs génétiques et de l’âge. La plasticité musculaire repose sur la modification de la proportion de deux types de fibres, lentes ou rapides, avec passage des unes aux autres via les changements d’expression des chaînes lourdes de la myosine.

On sait que la diminution de l’activité physique entraîne très rapidement une atrophie et une perte de force musculaire, plus marquée en cas d’immobilisation par plâtre que lors du repos au lit. Sa récupération est très lente, passant de 4 jours après 10 jours d’immobilisation, à 30 ou 40 jours après 50 jours d’immobilisation. Elle est moins bonne chez les sujets âgés. La perte de force résulte à la fois de l’altération musculaire contractile, mais aussi des troubles nerveux.

Inversement, l’augmentation de l’activité physique accroît la force musculaire. Un effort intense favorise les fibres à chaîne rapide et les capacités oxydatives du muscle, alors que les exercices d’endurance agissent sur les fibres à chaîne lente et le nombre de mitochondries et de capillaires. Il existe une relation force/longueur. Ainsi, un entraînement réalisé avec toujours la même longueur de muscle augmente les capacités uniquement à cette longueur. Il en est de même pour la vitesse.

« La plasticité musculaire résulte d’effets spécifiques induits par l’activité physique, mais aussi d’une modulation nerveuse et cérébrale qui rend compte de l’adaptation neuromotrice, avec une amélioration de la coordination parallèle au renforcement musculaire. Elle s’accompagne de modifications des connexions entre motoneurones et moelle épinière, ainsi que d’un changement de la représentation corticale », explique la Pr Isabelle Bonan (Rennes). 

Un remodelage osseux permanent

L’adaptation osseuse dépend des contraintes biomécaniques, mais aussi de l’âge. On sait que le remodelage osseux sous l’influence des contraintes mécaniques est permanent, la qualité de l’os étant meilleure après un effort intense de courte durée qu’en endurance. Mais cette adaptation osseuse est locale et ne concerne que les os mis en charge.

Ce remodelage varie très fortement avec l’âge. L’os en croissance s’adapte facilement aux contraintes mécaniques, et le niveau d’activité physique expliquerait 15 à 20 % de la masse osseuse pendant l’enfance et l’adolescence. Par contre, à un âge avancé, l’activité physique a peu d’influence et constitue uniquement un frein à la perte osseuse. L’action conjointe de l’activité musculaire sur l’os et les muscles est essentielle à la plasticité de la fonction locomotrice. 

Cerveau et boucle sensori-motrice

« La neuroplasticité intervient tout au long de la vie, avec des adaptations structurelles, fonctionnelles et organisationnelles, qui permettent au cortex moteur de se réorganiser sous l’influence de l’entraînement musculaire », rappelle le Pr Arnaud Dupeyron (Nîmes).

Les premières études chez le singe ont montré que la carte motrice cérébrale se modifiait sous l’effet d’un entraînement à une tache motrice différenciée. Chez l’homme, un entraînement ciblé sur la main droite pendant cinq jours améliore la dextérité motrice, mais aussi sa représentation corticale, de façon dépendante de l’intensité de la rééducation et de la répétition du mouvement. Des phénomènes identiques ont été constatés après une amputation des mains : l’absence d’utilisation fait disparaître la représentation corticale motrice de la main, qui se reconstruit progressivement après greffe des mains.

Mais parfois, une perturbation de la boucle sensori-motrice peut entraîner une plasticité « mal adaptative », comme dans les douleurs du membre fantôme ou le syndrome douloureux régional complexe (anciennement appelé algoneurodystrophie), survenant après un traumatisme.

Tout l’enjeu en rééducation est de stimuler les zones motrices ou prémotrices ipsilésionnelles, tout en freinant l’hémisphère contro-lésionnel. Ce qui peut être fait classiquement en surutilisant la zone paralysée, voire en stimulant directement le cerveau. Les techniques de neurofeedback, basées sur l’électroencéphalogramme ou l’IRM, sont prometteuses. « Mais le recours à l’imagerie mentale seule est moins efficace et doit être couplé à la rééducation motrice », insiste la Pr Isabelle Bonan. 

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin