Vient-on de franchir un cap critique en matière d’antibiorésistance ? Le récent article publié dans le « Lancet Infectious Diseases » suscite en tout cas l’inquiétude des infectiologues et des microbiologistes.
Un mécanisme de résistance stable et transmissible
Ainsi, les auteurs, dans cette publication sino-britannique, rapportent avoir identifié un nouveau gène conférant une résistance stable - et potentiellement transmissible - à certains antibiotiques de derniers recours comme les polymyxines (colistine et polymyxine B). Baptisé MCR-1, ce gène a été mis en évidence en Chine sur des colibacilles type Escherichia coli prélevés lors d’un contrôle de routine dans un élevage de porcs, ainsi que sur16 échantillons prélevés sur des patients hospitalisés pour infections dans le sud de la Chine.
Ce gène a été localisé non pas sur les chromosomes mais sur des plasmides (portions d’ADN mobiles) qui ont la particularité de pouvoir être facilement copiées et transférées entre bactéries. « Cela suggère un potentiel de propagation important, y compris entre les différentes populations bactériennes alors que, jusqu'à présent, la résistance à la colistine résultait de mutations chromosomiques rendant ce type de résistances instables et incapables de se propager à d'autres bactéries », soulignent les auteurs de l’article. Les chercheurs ont d’ailleurs montré de façon expérimentale que le gène MCR-1 pouvait se propager dans d'autres espèces bactériennes pathogènes épidémiques telles que Klebsiella pneumoniæ ou Pseudomonas æruginosa.
Un antibiotique de dernier recours menacé
Ce type de mécanisme de résistance, avec intervention de plasmides, avait déjà été décrit pour d’autres classes d’antibiotiques, mais « nos résultats sont extrêmement préoccupants car les polymyxines constituaient jusque-là la dernière classe d'antibiotiques pour laquelle la résistance était incapable de se propager entre bactéries », analysent les signataires de l’article.
Commercialisées depuis la fin des années 1950, les polymixines sont restées pendant longtemps sur le banc de touche du fait de leur toxicité rénale. L’augmentation des résistances à d’autres classes les a fait sortir de leur réserve et depuis quelques années ces antibiotiques sont à nouveau utilisés en dernier recours chez des patients porteurs de bactéries multirésistantes. Or « maintenant qu'il a été démontré que la résistance peut se transférer d'une bactérie à une autre, une autre ligne de défense contre l'infection est en passe de tomber », alerte le Pr Nigel Brown de la Société britannique de microbiologie.
La " médecine moderne" en sursis ?
Même si le phénomène reste pour le moment circonscrit à l’Asie et que la transmission inter-bactéries n’a été démontrée qu’expérimentalement, la plupart des spécialistes craignent l’extension du processus et appellent à réagir.
Les infectiologues européens ne font pas exception à la règle. Pour la Société européenne de microbiologie clinique et de pathologie infectieuse (Escmid), « les conclusions de nos collègues sont de très mauvaises nouvelles et présagent d’une ère où aucun antibiotique ne sera plus disponible pour traiter certains de nos patients ».
La crainte est surtout que l’émergence de ces résistances vienne, à terme, porter un coup d’arrêt à la « médecine moderne ». Les traitements des cancers, les transplantations, les soins intensifs ou, encore, la chirurgie avec implantation de corps étranger, etc., sont, en effet, très dépendants de la prévention des complications infectieuses. « Si la pan-résistance devenait courante nous pourrions avoir à réévaluer notre stratégie dans ces domaines », alerte l’Escmid.
L’usage vétérinaire des antibiotiques pointé du doigt
L'utilisation massive des antibiotiques chez l’animal est ainsi pointée du doigt. « Il semble maintenant crédible que l'utilisation fréquente de la colistine dans l'élevage en Chine et dans d'autres pays asiatiques puisse être à l’origine d’une catastrophe », jugent les infectiologues européens. Un diagnostic partagé par les auteurs de l'étude du Lancet qui estiment que la résistance à la colistine s'est probablement produite d'abord chez l'animal et réclament, en conséquence, une « réévaluation rapide » de l'utilisation de cet antibiotique dans les élevages. En France, la colistine est peu utilisée chez l’animal et un effort a déjà été fait pour limiter l’usage vétérinaire des antibiotiques avec le plan Ecoantibio 2017. n
*Yi-Yun Liu et al. http://dx.doi.org/10.1016/S1473-3099 (15)00424-7.
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