Délai d’initiation des antirétroviraux, caractéristiques de la réponse immunitaire, bilans d’études de cohortes de personnes à risque ou vivant avec le VIH : le Quotidien fait un tour d’horizon des études de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales – maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) présentées à la conférence Aids 2024, qui s’est tenue du 22 au 26 juillet à Munich, et les perspectives de recherche qui en découlent.
Contrôler les réservoirs du VIH
Pour la Pr Michaela Muller-Trutwin, chercheuse à l’Institut Pasteur et présidente de l’action coordonnée en recherche fondamentale sur le VIH à l’ANRS, « nous n’arriverons jamais à éliminer 100 % du virus, mais nous pouvons agir sur les réservoirs viraux ». L’étude pVisconti à laquelle elle a participé décrit l’impact du délai entre l’infection et le début du traitement antirétroviral (ART) sur le contrôle des réservoirs viraux du virus de l’immunodéficience simienne (VIS). Avec des macaques traités pendant deux ans, l’étude se rapproche au plus près de ce qui se déroule dans l’infection chez l’humain. Les résultats démontrent une réduction du réservoir viral, surtout dans les ganglions lymphatiques. Cela induit une augmentation significative des animaux contrôleurs du virus après l’arrêt de l’ART lorsqu’il est commencé à 28 jours plutôt qu’à 6 mois.
« Commencer le traitement en phase aiguë protège la phase de maturation des lymphocytes T CD8 normalement inhibée par le virus », explique la Pr Muller-Trutwin, désignant la restauration du phénotype de maturation de ces cellules comme une perspective thérapeutique intéressante. La chercheuse s’intéresse aussi au rôle des lymphocytes T cytotoxiques (ou Natural Killer NK). À ce titre, les essais cliniques Rhiviera1 et 2 vont explorer respectivement le rôle des anticorps neutralisant à large spectre en cas d’ART en phase aiguë et les facteurs génétiques impactant la réponse innée des cellules NK.
Comportements dans la prise de la PrEP
Plusieurs études de l’ANRS portent sur les comportements des personnes prenant la PrEP. Chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), on observe des changements de comportements : la majorité se protège par la PrEP, quelques autres avec des préservatifs. Ceux qui se protègent mal ou pas du tout sont une minorité, explique Bruno Spire, directeur de recherche en santé publique à l'Inserm et président d'honneur de l'association Aides. « On a remarqué qu’il s’agissait d’une différence de perception du risque : les hommes qui pratiquent le chemsex ou ceux qui ont un très grand nombre de partenaires utilisent davantage la PrEP car ils perçoivent le risque auquel ils sont exposés. Pourtant, ceux qui ne se pensent pas à risque le sont tout de même et doivent en prendre conscience. »
Joseph Larmarange, démographe de santé publique à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et investigateur principal de la cohorte Princesse, a quant à lui présenté une partie des résultats de cette dernière. Ils portent notamment sur la perception de la PrEP par les travailleuses du sexe (TDS). En effet, la PrEP orale touche surtout les HSH éduqués dans une bonne situation sociale et économique. « Nous n’arrivons pas à faire rentrer les populations les plus précaires dans les schémas de PrEP », se désole le chercheur. Le besoin existe mais le format actuel du traitement n’est pas compatible avec leurs besoins. « Ce sont des personnes pour qui le suivi médical n’est pas garanti, qui sont souvent perdues de vue après le premier bilan et la première injection de PrEP à longue action. Le cabotégravir pose un problème de résistance croisée avec le dolutégravir dans ces populations. » Joseph Larmarange considère le lénacapavir comme une option intéressante : à date il ne semble pas y avoir de résistances croisées.
D’après Bruno Spire, « le cabotégravir montre qu’on peut attirer d’autres populations que les HSH vers la PrEP. Mais les laboratoires ont tendance à démontrer l’intérêt individuel d’un médicament, mais pas son impact en santé publique. » De plus, le chercheur estime que les autorités de santé n’ont pas l’habitude d’évaluer les produits en prévention.
Ne pas oublier les autres IST
« Les nouvelles vis-à-vis du VIH sont très bonnes mais les IST sont en train d’exploser et vont devenir un sujet majeur. La présentation de l’étude Doxyvac a été importante pour attirer l’attention sur ce problème », alerte le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE. Il enjoint à une prise en charge plus globale de la santé sexuelle, pas uniquement du VIH.
Dans la cohorte Doxyvac, les chercheurs de l’ANRS-MIE ont exploré le risque d’antibiorésistance à la doxycycline en prophyaxie post-exposition (Doxy-PEP). Si celle-ci protège bien contre la syphilis et la chlamydia, l’analyse a montré que Neisseria gonorrhoeae développe une résistance aux tétracyclines. Pour Bruno Spire, cela reflète la nécessité de réfléchir à la balance bénéfice risque d’une prise systématique et d’envisager de différencier les personnes peu exposées des personnes à risque d’IST. « Le débat n’est pas encore tranché dans le domaine ».
Les nouvelles vis-à-vis du VIH sont très bonnes mais les IST sont en train d’exploser et vont devenir un sujet important
Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE
Et ensuite ?
Les perspectives de recherche sont nombreuses à l’échelle globale. L’ANRS-MIE se concentre sur des domaines particuliers : amélioration de la réponse immunitaire, santé mentale des PVVIH, suivi et observance des patients sous PrEP. La Pr Muller-Trutwin dévoile un point longuement discuté au cours de la conférence : le risque pour les personnes sous ART de développer des maladies non infectieuses telles que les maladies cardiovasculaires. « Il est nécessaire de mieux comprendre comment ces maladies sont induites. » La chercheuse se pose par exemple la question d’une potentielle inflammation résiduelle du virus persistant.
À propos des maladies non infectieuses, le Pr Yazdanpanah s’exprime aussi : « le vieillissement des PVVIH et les soucis d’hypertension, de diabète, de cancer qui en découlent sont un réel sujet sur lequel nous devons travailler. » C’est d’ailleurs un problème en Afrique où la prise en charge médicale de ces maladies n’est pas bonne. Et le Pr Yazdanpanah de renchérir « Nous avons demandé de mettre en place une cohorte autour du vieillissement de ces patients. En France nous avons aussi demandé qu’il y ait des études portant sur d’autres aspects de la vie des PVVIH, comme le VIH chez les femmes cis auxquelles le dépistage est peu proposé, notamment les femmes migrantes. C’est une des forces de l’ANRS-MIE que de suivre ce type de cohortes ».
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