En 10 ans, aucun progrès n’a été réalisé, nous rappelle le BEH en avril dernier. En comparant des résultats de l’étude Esteban à ceux de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS), « contrairement à la diminution observée dans la plupart des autres pays, la prévalence de l’HTA est restée stable en France, avec près d’un adulte sur trois hypertendu », indiquaient les auteurs de l’article. Autre fait inquiétant : seulement 47,3 % des personnes hypertendues prenaient un médicament, contre 55,6 % dans les autres pays de même niveau socio-économique. Parmi les patients traités, seulement un sur deux a un bon contrôle de sa pression artérielle (PA), c’est-à-dire sous 140/90 mmHg, selon la dernière étude Esteban (2014-2016) qui révèle au passage que le contrôle de la PA est meilleur chez les femmes traitées (60,1 %) que chez les hommes (41,4 %).
Comment en sommes-nous arrivés là ? D’après le Dr Antoine Cremer, PH dans l’unité d’HTA au CHU de Bordeaux, cette "mauvaise" observance est sans doute encore plus importante dans la vraie vie : « Quand on mesure cette observance dans des essais thérapeutiques de patients sélectionnés avec une HTA résistante, ceux-ci ne prennent généralement pas la moitié des médicaments prescrits. En pratique de ville, la réalité est sûrement bien pire. Et de façon assez “compréhensible”, cette mauvaise observance est surtout le fait de patients souffrant de plusieurs affections et donc polymédiqués. »
Inertie thérapeutique
Alors comment expliquer une si mauvaise prise en charge de l’HTA en France ? Les torts sont multiples et partagés. Pour Valérie Olié de Santé publique France, et l’un des auteurs de cet article, le défaut de prise en charge des hypertendus pourrait être lié au manque de sensibilisation du grand public à cette maladie et à sa gravité : « Alors que 84 % des personnes disent avoir eu une mesure de leur tension dans l’année, seules 55 % avaient connaissance de leur HTA. Peut-être que des patients “n’entendent pas” ou ne comprennent pas le diagnostic quand il est posé par le praticien. Si Esteban ne permet pas de répondre à ces questions, d’autres études pourraient apporter des pistes de compréhension concernant cette détérioration de la prise en charge. »
La responsabilité viendrait aussi en partie des professionnels de santé qui feraient preuve d’une certaine inertie thérapeutique, selon le Dr Cremer : « De manière générale, la communauté médicale tend à banaliser des niveaux de PA un peu au-dessus de la valeur normale, et n’est pas assez offensive dans la mise en place d’un traitement médicamenteux. » Pour le Pr Xavier Girerd, président de la fondation de recherche sur l’HTA et cardiologue à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), « des messages répétés sur les bienfaits d’une alimentation saine et de l’activité physique ont eu un effet dommageable sur les bénéfices des médicaments antihypertenseurs. Or, on sait que la meilleure des mesures non médicamenteuses peut faire diminuer la pression systolique de 5 mmHg, contre une baisse moyenne de 10 mmHg pour une monothérapie antihypertensive ». À cela s’est ajouté le déremboursement des médicaments à base d’olmesartan, en janvier 2017. Puis le retrait en juillet dernier de certains produits à base de valsartan pour raison d’impuretés qui jettent encore un peu plus l’opprobre sur ces médicaments. Fin août, l’ANSM a d’ailleurs demandé aux médecins de ne plus initier de traitement par valsartan en raison de problèmes d’approvisionnement de ces médicaments.
Les autorités sanitaires ont aussi quant à elles leur part de responsabilité, d’après certains experts. Car force est de constater qu’on n’incite guère les généralistes à prendre en charge correctement l’HTA, souligne le Pr Xavier Girerd regrettant que « dans la ROSP, il n’y a désormais plus d’indicateur chiffré sur l’objectif tensionnel à atteindre. Et il n’y a plus de consigne concernant les choix thérapeutiques médicamenteux dans l’HTA, ce qui fait supposer que tout est “réglé” avec l’HTA… Au final, l’HTA se trouve aujourd’hui complètement oubliée. À tel point qu’il n’en fut même pas question dans le Plan prévention interministériel présenté en mars dernier ! »
Mortalité CV baissée de 25 %
Alors, face à ce constat, quelles pistes envisager pour améliorer les choses ? Elles sont nombreuses et concernent différents acteurs, dont les praticiens. Pour le Dr Cremer, en pratique, au cabinet, il est indispensable de passer suffisamment de temps avec le patient pour l’informer et l’accompagner au mieux, pour qu’il comprenne les enjeux et l’importance d’un bon contrôle tensionnel. Pour s’assurer d’une bonne observance du traitement, il faut apprécier la bonne tolérance du traitement anti-HTA. « Attention, car même une petite gêne provoquée par un médicament risque au bout du compte d’engendrer son arrêt », avertit le cardiologue. Ce spécialiste bordelais ajoute que pour contrer ces problèmes d’observance, la dénervation rénale constitue peut-être une piste de recherche intéressante. On en reparle beaucoup, surtout depuis la publication de travaux sur ce sujet, en particulier en cas d’HTA légère : « L’étude Radiance Solo a permis d’apprécier les effets de la dénervation rénale sur des patients naïfs de traitement », souligne le Dr Cremer.
Enfin, que peut-on attendre des nouvelles recommandations européennes sur la prise en charge de l’HTA (lire ci-dessous) ? Pour éviter cet écueil de mauvais contrôle de la PA chez les patients traités, les recommandations de l’ESC préconisent d’emblée la prescription d’une bithérapie. Pour le Pr Xavier Girerd, « cela confirme ce qu’avait démontré l’étude Sprint, à savoir que pour améliorer le contrôle tensionnel, il faut “augmenter d’un comprimé” la prescription chez l’hypertendu : le protocole de Sprint préconisait en effet, en cas de non contrôle de la tension sous monothérapie, de passer à une bithérapie ; aux patients sous bithérapie de passer à une trithérapie, aux patients sous trithérapie d’ajouter la spironolactone à faible dose. Par ailleurs, aux USA comme désormais en Europe, les objectifs thérapeutiques tensionnels ont été abaissés. Il a été clairement démontré que ces dispositions permettent de faire diminuer de 25 % la mortalité cardiovasculaire… Le résultat est donc sans appel, mais encore faut-il se donner les moyens pour atteindre de tels objectifs ! ». Car si demain nous adoptons ces nouvelles recommandations, nous serons au final encore plus loin du compte ! « En établissant comme objectif thérapeutique 130/80, cela signifie qu’en France, seuls 30 % des patients traités seraient correctement contrôlés ! », conclut le Pr Girerd.
3 questions au Dr Eric Drahi DRAHI, CA du Collège de la médecine générale
« Considérer tous les facteurs de risque »
Une prise en charge insuffisante de l’HTA signifie-t-elle que les généralistes travaillent mal ?
Dr Éric Drahi C’est à tort ce que l’on pourrait penser ! Rappelons tout d’abord que l’étude Esteban (2014-2016) analysée dans l’article du BEH a été conduite quand des recommandations internationales – australiennes ou britanniques – ne préconisaient pas de traitement médicamenteux pour les HTA de grade 1 sans autre facteur de risque. Il n’est pas légitime de résumer le traitement de l’hypertension à la seule prise de médicaments. Nous avons en France des recommandations sur la prise en charge de l’HTA que je qualifierais de “déraisonnables”, en partie basées sur l’étude Sprint, comprenant des biais importants et sans qualité de preuve majeure. Vis-à-vis des facteurs de risque cardiovasculaire, il serait simpliste pour un médecin de croire qu’en baissant simplement les chiffres tensionnels, l’objectif est atteint.
On se focalise trop sur la tension artérielle ?
Dr E. D. Non, il est important de contrôler la tension artérielle, mais elle n’est pas le seul facteur de risque cardiovasculaire à considérer. Les comportements à risque sur lesquels on peut intervenir sont tout aussi importants, comme la sédentarité, le tabagisme, le stress, l’alimentation, le sommeil, etc.
La spécificité du généraliste est de proposer une approche globale…
Dr E. D. Les généralistes interviennent sur l’ensemble des facteurs cardiovasculaires modifiables des patients. Il est prouvé, dans l’HTA comme dans le diabète, que ces interventions et corrections multifactorielles ont un effet majeur sur la baisse de la morbidité et mortalité. Agir sur certains facteurs CV modifiables peut avoir des bénéfices équivalents aux statines, par exemple. Mais très souvent, ces interventions plurifactorielles n’apparaissent pas dans les études épidémiologiques. Les cardiologues quant à eux ont généralement une approche différente, intervenant surtout sur deux cibles principales du risque CV : l’HTA et l’hypercholestérolémie, avec des stratégies reposant sur un traitement médicamenteux.
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