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Guillaume Monod : "On ne trouve rien dans la littérature psychiatrique sur la question des radicaux"

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Publié le 13/12/2018
Monod

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Dans votre ouvrage, vous n'hésitez pas à parler religion avec vos patients incarcérés, est-ce bien raisonnable ?

La première règle est de ne jamais se positionner dans un rapport de force, de jugement mais écouter le patient. Ensuite, je n’hésite pas à évoquer la religion, la mettre sur la table. Cela ne veut pas dire parler de théologie ou des croyances individuelles. C'est en tout cas le point commun partagé, cette dimension religieuse quels que soient ensuite les motivations et les profils psychologiques.

Mais de quel droit peut-on évoquer la religion dans un lieu laïc, ce n'est pas une pathologie décrite dans le DSM ?

Non, mais c'est dans le corpus de la psychiatrie. Les délires religieux ont été décrits au XIXe siècle. Freud a pensé autour de la névrose en lien avec la religion. Mais surtout évoquer la religion, ce n’est pas aborder la théologie. Lorsque je demande les raisons de s’engager dans Daesch, la question de la religion est implicite. Mais la croyance n’est pas abordée frontalement. Enfin, c’est une population particulière qui est confrontée à la machine judiciaire dans une perspective inquisitoriale. Mon rôle est différent. Je suis d’abord psychiatre, guidé par l’idée de trouver un trouble psychique, une souffrance psychique sous-jacente. Le problème n’est donc pas de savoir s’ils sont croyants ou non-croyants, mais plutôt ce que l’on peut trouver derrière le symptôme qui s'habille des vêtements du religieux.

Que trouve-t-on dans la littérature psychiatrique sur cette question des radicaux ?

Quasiment rien, hormis le lien avec les délires mystiques, le syndrome de Jérusalem. Pour autant, je n'ai pas rencontré un seul patient qui aurait présenté une bouffée délirante aiguë. Simplement, ils présentent des structures de pensées particulières qui ne sont pas pathologiques. Et se nourrissent de thèmes omniprésents dans l’espace public. En fait, l’engagement dans le djihad révèle un symptôme qui n’a rien à voir avec le religieux. Dans la pratique, les recruteurs de Daesh avant de parler de religion repèrent les failles psychologiques. Un jeune homme fragile avec des difficultés existentielles, un deuil, une addiction, un questionnement personnel sur le sens de la vie représente le profil type du candidat qui peut se radicaliser. Demeure l’épreuve de la réalité et du passage à l’acte.

Un thème est toutefois partagé par les candidats au djihad mais aussi par d’autres croyants, celui de la souillure.

Certains pour expliquer des attentats avancent la responsabilité de l’islam, alors que d'autres rétorquent que l’islam est d’abord une religion de paix. En vérité, c’est surtout le rapport à l’islam et l’importance accordée ou non au takfirisme, d’accuser un musulman de ne pas être un bon musulman, un kouffar par exemple qui doit être le principal critère. Comment peut-on en arriver là ? Tout simplement parce que le plus grand ennemi n’est pas l’autre, l’étranger mais le traître ou dans la religion l’hérétique. Pour Daesh, les traîtres en puissance sont ceux au sein de la communauté musulmane qui ne partagent pas cette lecture paranoïaque de la religion et incarnent la souillure, un concept qui n’a rien à voir avec l’hygiène mais avec la religion. Avec le takfirisme, le meurtre d’un kouffar devient licite. C’est ici un choix théologique. C’est d’autant plus fort que l’islam, sunnite ou chiite, a réuni des ijmas, l’équivalent des conciles chez les catholiques qui depuis 2002 condamnent le takfirisme. La question de la souillure génératrice du désordre social n’est pas liée au monothéisme. Elle est retrouvée par exemple dans le mythe d’Antigone.

Vous rétorquez le monothéisme. Pourtant, dans votre ouvrage, vous établissez un parallèle avec les fondamentalistes protestants.

Ils sont beaucoup plus proches de Daesh qu’on ne pourrait le croire. Pour les pasteurs américains évangélistes, la vie est sacrée, on n’a pas le droit de tuer. Mais les médecins américains qui pratiquent l’avortement réalisent une transgression absolue. On a donc le droit de les tuer au nom de la vie sacrée. Le paradoxe est total. On retrouve là la question de la souillure et du mal. La notion de souillure est liée à la structure psychique des individus. Pour éviter la souillure, certains se retirent du monde. D’autres optent pour l’attaque.

Tout cela relève du mythe.

Certains candidats au djihad n’ont aucune idée claire sur la religion ou les enjeux politiques. En revanche ils sont plutôt dans le domaine des contes et légendes des temps anciens du prophète. Et souhaitent s’insérer dans une nouvelle famille que donne la fraternité d’armes, un sentiment très puissant. Ces liens fantasmatiques sont nourris par l’idée de devenir un héros.

Il y aurait un continuum entre Harry Potter et Daesh.

Peut-être. Daesh a réussi à recruter des candidats en provenance du monde entier, y compris des Péruviens, des Laotiens, des Japonais à la manière des films hollywoodiens qui exercent leur emprise dans tous les pays et font appel au ressort de l’âme humaine comme le narcissisme, l’esprit d’aventure et trouver un sens à sa vie. « Cela doit être vrai, puisque des gens du monde entier viennent », m’a rapporté un jeune homme incarcéré en provenance des zones de guerre.

D’où l’idée développée dans votre livre, il faut trouver autre chose pour déradicaliser ces jeunes.

C’est mon troisième point. Je ne suis pas très sûr de savoir définir la radicalisation, encore moins la déradicalisation. Mais en tout état de cause, cela ne relève pas de mon travail de psychiatre qui est de prendre en charge la souffrance psychique et de les aider à passer à autre chose, à les réorienter. J’aide certains à se dire : « J’ai eu tort, non pas de A à Z mais de A à Y. » C’est le Z qu’il faut changer en leur demandant de réfléchir sur l’objectif de leur engagement et de les sortir de la spirale de la violence.

Vous citez l’exemple d’un jeune Français sorti des addictions grâce à la religion. Serait-elle plus efficace que la psychiatrie ?

Elle n’est pas plus efficace. Elle agit simplement sur un autre ressort. Tous les patients confrontés à un problème d’addiction ne sont pas pris en charge de la même manière. Ce qui efficace pour l’un ne le sera pas pour l’autre comme pour la dépression. Il n’y a pas de profil type du djihadiste.

Vous défendez-là une attitude modeste du psychiatre loin du volontarisme affiché du politique.

Il faut être modeste et réaliste. Dans les années quatre-vingt, on n’a pas infligé aux membres d’Action Directe incarcérés des cures de désidéologisation. Ils ont été en prison parce qu’ils avaient tué et non parce qu’ils appartenaient à un mouvement d’ultra-gauche. Nous avons en fait un problème avec la laïcité qui n’est pas toujours bien comprise. On peut rappeler que le mot laïcité ne figure pas dans la loi de 1905. L’Etat n’interdit pas le discours religieux dans l’espace public, par contre il lui délimite une place. Il n’interdit pas à un médecin de parler de religion dans le colloque singulier avec son patient. On ne peut évacuer tout débat autour de la spiritualité, de la transcendance.

Ce n’est pas le rôle de la psychiatrie d’initier un débat autour de la transcendance.

Certes. Mais revenons en arrière. Un ministère récent de l’Intérieur avait étiqueté tous les djihadistes comme des malades psychiatriques. Nous avions vécu la même séquence quelques années auparavant avec les délinquants sexuels. L’attitude de mes confrères est plutôt de refuser de participer à ce type de polémique. En ce qui me concerne, je reconnais qu’une faible minorité présente des troubles psychiatriques. Pour autant, nous devons avoir des arguments, des observations pour étayer nos arguments de refus de prise en charge. Enfin, comme nous l’avons déjà dit, comme psychiatres, nous devons nous occuper de leur éventuelle souffrance psychique en refusant toute psychiatrisation de la société.  

 


Source : lequotidiendumedecin.fr