Aux yeux des prescripteurs, que valent les autorisations de mise sur le marché (AMM) en termes de garantie d’efficacité et de sécurité des médicaments ? C’est la question posée par le Pr Gilles Bouvenot, médecin interniste membre de l’Académie de médecine et ancien président de la commission de la transparence de la HAS, lors d’une séance bi-académique coorganisée mi-novembre par les Académies nationales de Médecine et de Pharmacie.
Ces dernières années, les Académies de Médecine et de Pharmacie sont revenues à plusieurs reprises sur les prescriptions hors AMM. Alors que cette option « doit rester exceptionnelle et justifiée », rappelle le Pr Bouvenot, le recours aux médicaments en dehors de leurs indications officielles apparaît fréquent. Ainsi, en 2018, un rapport des deux institutions estimait que 20 % de l’ensemble des prescriptions, près de 35 % des prescriptions d’antalgiques en gériatrie et 80 % des prescriptions en service de pédiatrie hospitalo-universitaire relevaient de prescriptions hors AMM. Les Académies distinguaient toutefois les prescriptions hors AMM « totalement injustifiées, fondées sur rien », des prescriptions hors AMM « justifiées, permettant de répondre à un vide thérapeutique ou réalisées face à un niveau de preuve supérieur à certaines AMM », et des prescriptions hors AMM « discutables mais pas totalement injustifiées », résume le Pr Bouvenot.
Une altération de l’image des AMM
Mais pour le médecin interniste, cette forte prévalence des prescriptions hors AMM pose aussi de plus en plus question concernant « l’image » des AMM et des agences habilitées à les attribuer. D’autant que la crise sanitaire s’est soldée par l’émergence de nouvelles prescriptions hors AMM fortement médiatisées – à l’instar de l’utilisation d’hydroxychloroquine ou d’ivermectine dans le Covid-19.
En fait, selon le médecin, « de la sacro-sainte autorisation de mise sur le marché d’il y a 40 ans, on a évolué vers une image un peu altérée non seulement par de grandes crises, mais aussi par quelques insuffisances et faiblesses ». À commencer par une oscillation des régulateurs entre « formalisme excessif et laxisme », juge le Pr Bouvenot. Alors que pour les bisphosphonates, l’AMM initialement obtenue chez les femmes a été très difficilement étendue aux hommes, les biosimilaires peuvent au contraire être facilement autorisés dans diverses indications grâce à des « modèles d’extrapolation clinique », déplore par exemple l’académicien.
Des avis contradictoires
Autre atteinte à la crédibilité des AMM : les décisions contradictoires des divers régulateurs suite à l’analyse de données scientifiques pourtant similaires. « On a des catalogues entiers de discordance entre les avis de la FDA, soupçonnée de laxisme voire de complaisance, et ceux de l’EMA, jugés trop restrictifs par les associations de patients », souligne le Pr Bouvenot. L’académicien évoque dans cet esprit les cas du Kynamro (mipomersen) et de l’Exondys 51 (eteplirsen), tous deux autorisés par la FDA mais refusés par l’EMA, tantôt pour sécurité d’emploi non établie, tantôt pour efficacité non établie.
En outre, le Pr Bouvenot pointe la fragilité de certaines AMM, aboutissant à des retraits précoces – « particulièrement problématiques pour la crédibilité des autorisations ». Des AMM immatures qui se multiplient, notamment aux Etats-Unis, où « sur 253 AMM, 112 n’ont pas fait la preuve définitive de leur efficacité », dénonce-t-il. Et l’Europe n’est pas en reste. « Ainsi le Rubraca (rucaparib) a vu son AMM en 3e ligne dans le cancer de l’ovaire retiré peu après sa mise sur le marché, pour cause d’efficacité insuffisante par rapport à la chimiothérapie », dénonce le médecin interniste.
À l’inverse, des AMM trop tardives participent aussi à une détérioration de l’image des autorisations et des régulateurs. « Parfois, le décalage est tel avec les données de la science que des prescripteurs, en particulier hospitaliers, s’insurgent du fait que les AMM sont à la main des industriels – qui demandent leur AMM quand ils le souhaitent, et pas seulement en fonction du niveau de maturité des données », commente le Pr Bouvenot.
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