La révolution anthropologique s’est-elle transformée en feu de paille ? En quelques années, le regard s’est transformé. La pilule cristallise ce retournement. Selon Alexandra Roux (1), le mythe de la pilule comme révolution aurait « été forgé par des médecins pro-pilule et les mouvements féministes des années soixante-dix, qui tentaient alors de lutter contre le fléau de l’avortement clandestin », peut-on lire en quatrième de couverture de son livre. L’incompréhension domine de part et d’autre. Pour la docteure E, gynécologue et ancienne militante du Mlac, les critiques contre la pilule dépassent l’entendement. Le temps aurait effacé des mémoires des nouvelles féministes le monde ancien, ses représentations, ses fondamentaux expliqués par l’anthropologie. « Le socle dur de la domination masculine semble si archaïque et si profondément ancré que rien ne pourrait l’ébranler. Ce n’est pas là une certitude, car il apparaît bien que le lieu même de la domination est le pouvoir féminin de fécondité. C’est pourquoi l’accès à la contraception et à la maîtrise par les femmes de leur fécondité est l’élément moteur d’une évolution progressive vers l’égalité de statut », écrivait Françoise Héritier (2). Même Annie Ernaux paraît relever d’un autre temps lorsqu’elle écrivait dans Les années : « On sentait bien qu’avec la pilule, la vie serait bouleversée, tellement libre de son corps que c’en était effrayant, aussi libre qu'un homme. »
Rupture générationnelle
Pour autant, Alexandra Roux réfute toute vision manichéiste. La sociologue décrit le phénomène comme une rupture générationnelle. Surtout, il y aurait là une autre exception culturelle française illustrée par un concept « le pilulocentrisme » à la française. Longtemps, les critiques nombreuses dans l’univers anglo-saxon se sont heurtées à un véritable mur de silence, voire de déni dans l’Hexagone. Alexandra Roux évoque dans son livre l’année 1969 qui aurait marqué un véritable tournant. En août de cette année, les médecins anglais sont accusés par le British Medical Journal de complaisance envers les effets secondaires de la pilule. Deux mois plus tard, aux États-Unis, un livre écrit par une militante et journaliste, The Doctors' Case Against The Pill crée l’évènement. Et sera à l’origine d’audiences publiques au Sénat. À la suite des interventions, les laboratoires pharmaceutiques seront contraints de signaler les éventuels effets secondaires dans les notices. Mais le débat ne débarque pas encore en France. Le mur se fissure toutefois à la fin des années soixante-dix avec la publication des premiers ouvrages critiques signés notamment par le Pr Jacques Salat-Baroux. La riposte s’organise avec comme argument principal « être violemment contre la pilule, c’est être antiféministe ». Plus tard, la France résistera de nombreuses années à la controverse autour des effets cardio-vasculaires des pilules de troisième et quatrième générations qui agite de nombreux pays européens. Dès 1995, la crise des pilules à la suite d’un surrisque entraîne une réduction des prescriptions au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves. Il faudra attendre le dépôt d’une plainte d’une jeune femme victime d’un AVC à l’origine d’une prise de conscience. Alexandra Roux explique cet attachement français à la pilule par un déficit de culture en santé publique et des mouvements de consommateurs moins puissants. Surtout, les féministes françaises dans leur grande majorité, à la différence des autres mouvements européens, se révéleront peu critiques sur la pilule. Des voix alternatives émergent toutefois dès les années soixante-dix, même si elles sont marginales. Et dénoncent un pouvoir médical paternaliste. Dès 1973, signale Alexandra Roux, un supplément du Torchon brûle condamne les contraceptifs oraux. Ces attaques s’inscrivent dans le sillage du mouvement radical self-help créé aux États-Unis. Notre corps, nous-mêmes, selon le titre de la traduction française, rédigé par le collectif de Boston en a été le manifeste. L’objectif est de se libérer du lien avec l’institution médicale. Ces mouvements demeurent périphériques. Mais bénéficient aujourd’hui dans l’Hexagone d’un regain d’intérêt. Lucile Quéré en livre une description (3). « Les ateliers durent en moyenne entre deux et quatre heures et sont généralement animés par une ou deux militantes féministes qui peuvent être profanes ou professionnelles de santé. Ils se divisent la plupart du temps en deux étapes. Une première partie est consacrée à la transmission de connaissances sur l’anatomie, le plaisir sexuel et la reproduction et au partage d’expériences, médicales, sexuelles et procréatives. […] Un second temps est dédié à la pratique d’auto-observation du sexe outillée d’un miroir et d’un spéculum. Cette pratique corporelle est construite comme un moyen de contrer la production sociale et médicale de l’ignorance des femmes de leur propre corps. » Pour autant, conclut l’auteure, ces pratiques nouvelles ne signent pas un divorce définitif avec les soignants.
La première méthode de contraception en France
De même, si le recours à la pilule décline dans les nouvelles générations, elle demeure toujours la première méthode de contraception en France. Se dessinent en creux de nouvelles pratiques, de nouvelles exigences. Au-delà du choc culturel et de l’effet de sidération pour les gynécologues, s’invente au fil du temps un mode nouveau de contractualisation entre médecins et consultantes. Et si les gynécologues jouaient ici le rôle de pionnier.e.s pour les autres spécialités ?
(1) Pilule : défaire l’évidence, Alexandra Roux, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 246 p, 2022, 13 euros.
(2) Cité dans Françoise Héritier, la biographie, Gérald Gaillard, éditions Odile Jacob, 2023, 238 pages, 22,90 euros.
(3) Sociétés contemporaines, 2022 n°126, p. 99. Editions SciencePo, Les Presses.
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