Courant avril 2024, l’Agence européenne du médicament (EMA) se rangeait aux côtés de l’avis de la Food and Drug Administration (FDA) pour qualifier l’absence de surrisque suicidaire lors de la prise d’analogues du GLP-1 (ou agonistes des récepteurs du GLP-1, arGLP-1), grâce à une étude d’envergure parue dans Nature en janvier de la même année. Un nouveau papier, publié le 20 août dans le Jama Network Open, remet une pièce dans la machine à controverse.
Les chercheurs explorent les cas rapportés d’idéations suicidaires chez les patients sous arGLP-1 au sein de la base de données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui centralise les suspicions d’effets secondaires médicamenteux à travers le monde. Ils ont réalisé une analyse de disproportionnalité, un outil permettant de générer des signaux de pharmacovigilance et de poser une hypothèse de corrélation entre un évènement indésirable et un médicament.
Les résultats mettent en évidence un signal de disproportionnalité pour le sémaglutide, mais pas le liraglutide. Plus précisément, une personne prenant du sémaglutide était, sur la base de ces données, 1,45 fois plus susceptible de rapporter des idéations suicidaires que tout autre type d’effet indésirable comparé à tous les autres médicaments. Le signal est particulièrement prononcé pour les patients qui ont rapporté prendre un antidépresseur ou des benzodiazépines, avec un signalement d’idéations suicidaires respectivement 4,45 et 4,07 fois plus élevé.
Pas de causalité établie, un besoin de clarification
Plusieurs experts se sont exprimés dans le Science media centre sur la qualité de l’étude et les conclusions que l’on pouvait en tirer. « Les chercheurs n’ont pu qu’accéder aux données sur les patients sous sémaglutide rapportant une suicidalité, sans savoir combien de personnes prenant ce traitement n’ont pas ces effets. De fait, ils ne peuvent définir la probabilité de l’évènement indésirable », pondère le Dr Nerys Astbury, chercheur en nutrition et obésité à l’Université d’Oxford. Les auteurs de l’étude reconnaissent eux-mêmes ces limites. Sans pouvoir calculer l’incidence des idéations suicidaires dans le cadre de la prise de sémaglutide, ils indiquent que cet effet secondaire est certainement rare, suffisamment pour ne pas remettre en cause la balance bénéfice-risque de ce médicament. Ce qu’ils pointent est surtout le besoin d’une « clarification urgente » afin de lever le doute sur ce sujet alors que le mésusage et l’abus de sémaglutide sont répandus.
Même si elle ne permet pas de statuer, l’étude reste pertinente. Pour Kevin McConway, professeur émérite de statistiques appliqués à l’Open University, l’usage de la base de données de l’OMS pour une analyse de disproportionnalité est « un excellent et rapide moyen d’être vigilant face à de possibles effets indésirables de médicaments sur le marché ». Le Dr Riccardo De Giorgi, chargé de cours cliniques en psychiatrie à l’Université d’Oxford a qualifié l’étude d’« importante et robuste ». Il explique que par rapport à d’autres travaux existants aux conclusions discordantes, l’avantage indéniable de celle-ci est qu’elle comprend des patients qui prennent des arGLP-1 potentiellement hors indication. « À cette date, nous n’avons pas de cause biologique plausible qui expliquerait ces associations potentielles [entre le sémaglutide et la suicidalité NDLR], qu’elles soient positives, négatives ou absentes. Un appel à la prudence et à de plus amples investigations chez ces groupes de patients (…) est probablement justifié ».
Et le Dr Astbury de conclure : « Alors que les résultats évoqués sont observationnels et ne peuvent inférer de lien de causalité, ils envoient un message clair : il y a encore bien à apprendre sur les nouvelles classes de traitement de l’obésité que sont les analogues du GLP-1 ».
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