Quel bilan dressez-vous du PLFSS 2023 avant le recours au 49-3 ?
Quelle perte de temps ! On nous dit que l’on a obtenu gain de cause. Mais que cela signifie-t-il en pratique alors que ces articles n’avaient pas lieu d’être ! L’administration a, et c’est notre souci, rédigé son texte sans aucune concertation. Certes l’intention de certains articles n’était pas critiquable. Mais la rédaction s’est révélée contre-productive. Si l’on s’était mis, avant la fin de septembre autour d’une table au début de l’été, le texte aurait été meilleur.
Pour expliquer cette situation, faut-il recourir à l’État profond, concept auquel a recours Emmanuel Macron ?
En tout cas, la séquence électorale compliquée que l’on a connue au printemps et au début de l’été, explique pourquoi les équipes ministérielles n’étaient pas complètes au moment de la finalisation du PLFSS. Certains articles n’ont pas été suffisamment relus. Il a fallu au final déployer une énergie folle pour y injecter un peu de bon sens. J’ai découvert ce PLFSS 48 heures avant qu’il ne soit discuté au Conseil des ministres. Et j’en suis tombé de ma chaise. Prenons la partie chiffres. On peut se livrer à des équations mathématiques complexes. Au final, le budget tel qu’il a été voté est confiscatoire pour la croissance. Je ne retrouve pas le chiffre de 2,4 % de croissance promis par le président de la République.
L’hôpital n’a pas été sommé de réaliser des économies à la différence des autres années. L’industrie pharma a-t-elle été mise à contribution pour pallier le manque à gagner ?
C’est un débat qui n’a pas lieu d’être. Nous n’avons pas à choisir entre l’hôpital et le médicament. Les deux sont indispensables. Pendant longtemps, on a mis en œuvre une gestion comptable des dépenses de santé. Les besoins en soins, en médicaments relevaient d’une enveloppe définie uniquement en fonction de critères économiques et non de santé publique. Certes le citoyen peut se féliciter d’une gestion serrée des deniers publics. Pour autant, je constate un grand écart entre la demande de médicaments remboursés dont la croissance annuelle est de l’ordre de 7 à 8 % par an et le budget qui lui est alloué, de l’ordre de quasi-zéro cette année. Le fossé se creuse. Nous allons dans le mur. L’hôpital a été soumis à cette même politique les années précédentes. Il y a échappé cette année. Tant mieux ! Comment demain allons-nous avoir accès aux innovations de rupture tout en maintenant la mise à disposition des traitements du quotidien ? Est-il nécessaire de rappeler que pendant la première vague de la pandémie, nous avons frôlé la catastrophe à la suite des difficultés d’approvisionnement en matière de curare par exemple. Ce ne sont pas des médicaments coûteux. Mais à force d’étrangler les PME qui les produisent, elles disparaissent l’une après l’autre.
La relocalisation des industries de santé a pourtant été un objectif prioritaire défendu par le président de la République.
Normalement chaque administration dispose de sa feuille de route. Les cabinets ministériels ont pour mission d’arbitrer entre différents objectifs, celui de réduire le déficit défendu par la direction de la Sécurité sociale au ministère de la Santé et de la Prévention et celle de l’Industrie à Bercy qui y défend le principe de la relocalisation. Il y a eu cette année pour le dire poliment un déficit de coordination.
Après certains reculs du gouvernement, que reste-t-il d’inacceptable dans ce PLFSS ?
En premier c’est l’enveloppe telle qu’elle a été fixée. Son montant va être inférieur de trois milliards d'euros en dessous de la consommation de médicaments « réelle » que nous devrions constater en 2023. Ce qui ne permettra pas d’accueillir toutes les innovations dans l’Hexagone et de sécuriser les approvisionnements des médicaments du quotidien. Il y a quelques années le médicament représentait 14 à 15 % des dépenses de l’Ondam. En 2023, ce pourcentage devrait descendre à moins de 10 %. À un moment, il sera difficile de soigner sans médicaments... Nos concitoyens ont une image tronquée d’une industrie pharma réalisant des profits phénoménaux. La réalité est différente. Au sein du Leem, 50 % des entreprises réalisent moins de dix millions de chiffre d’affaires, 70 % moins de 50 millions de chiffre d’affaires. Au total 250 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire génèrent 100 000 emplois. C’est cela que l’on est en train de casser. Faut-il ensuite feindre de s’étonner que le pays se désindustrialise ? Il y a là un changement entre la politique très volontariste du premier quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de politique du médicament et ce texte du PLFSS 2023. Comment s’étonner que l’innovation ne soit plus réalisée en France ? Ce processus est très insidieux. Peu à peu, les Français s’apercevront que des innovations thérapeutiques disponibles dans les pays voisins ne le sont pas en France. La production de certaines spécialités aura été arrêtée. Trimestre après trimestre, la situation est appelée à se dégrader. Et un jour, le grand public se réveillera en découvrant le problème.
Après chaque CSIS, l’industrie pharma a l’impression d’avoir été entendue au sommet de l’État. Survient l’automne avec le PLFSS et c’est la douche écossaise…
L’an dernier, le climat était beaucoup plus apaisé ; et le PLFSS davantage en cohérence avec le CSIS. Le Leem avait alors souligné que l’enjeu de l’avenir serait la place réservée aux innovations et aux modèles associés de financement. Nous avions déjà noté la croissance exponentielle de la clause de sauvegarde. Elle s’élevait il y a deux ans à 200 millions. En 2022, elle devrait grimper à 1,5 milliard. Pour 2023, la barre des deux milliards devrait être largement franchie. À combien s’élèvera la facture en 2024 ? Aujourd’hui la clause s’est transformée en taxe. C’est un impôt que ne dit pas son nom. En effet, comme le budget voté est très largement inférieur à la demande réelle de l’année précédente, la taxe s’appliquera, c’est une certitude dès la vente du premier comprimé le 1er janvier 2023. Enfin, avec ce PLFSS, on donne un coup de frein à l’attractivité. Aujourd’hui, tous les adhérents du Leem sont unis contre ce texte. Aujourd’hui, cela sera compliqué de présenter un projet d’investissement en France à un siège international.
Que vous répondent vos interlocuteurs au sein de l’administration ?
L’ensemble des acteurs reconnaissent que le système de régulation économique du médicament est à bout de souffle. Il y a dix ans, chacun envisageait de financer l’innovation grâce à la perte de brevets des produits matures et leur substitution par des génériques et des biosimilaires. Aujourd’hui, nous sommes à la limite de l’exercice. Il n’y a plus de marge de manœuvre autour de la baisse de prix et de moyens pour financer l’innovation. Le système doit être réinventé. Au lieu d’intervenir sur la réglementation, c’est le financement même du médicament qui doit être réinventé. Quel budget serait-on prêt à lui consacrer ? Où trouver les marges d’efficience qui ne se réduisent pas à la seule baisse des prix ? Il faut revoir le parcours de soins, la pertinence des prescriptions. Que va-t-il se passer en 2023 ? Avec les baisses de prix et la clause de sauvegarde, 10 % du chiffre d’affaires devrait être ponctionné alors que les coûts de production explosent et grimperont de 30 %. Prenons l’exemple des ampoules de chlorure de sodium utilisées dans tous les hôpitaux de l’Hexagone. Le bénéfice par ampoule est de l’ordre de 1 à 2 centimes. Comment procède-t-on en période d’inflation alors que le prix ne peut être augmenté ? Quelle sera demain la réaction du producteur français ? Il arrêtera sa production. Et on ira s’approvisionner en Inde ou en Chine. Pour autant, le tableau n’est peut-être pas si sombre. Je crois au dialogue et à la pédagogie. On peut noter la volonté exprimée par tous nos interlocuteurs de se mettre autour de la table et de réfléchir dans la durée. Reconnaissons-le, le nouveau modèle du financement du médicament n’a encore été édifié dans aucun pays. Des expériences ont été menées ici et là. Il y a là une opportunité unique pour la France. Saura-t-on la saisir ?
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