L’exposition à la pollution de l’air extérieur durant la grossesse est un facteur de risque périnatal connu pour la femme et l’enfant, et un risque de santé pour l’enfant. De nouveaux travaux apportent un éclairage sur les mécanismes moléculaires qui pourraient y participer. L’équipe Inserm/Université Grenoble Alpes menée par Johanna Lepeule, chercheuse Inserm, avait publié précédemment des travaux (cohorte Eden) qui mettaient en évidence les effets de l’exposition à la pollution atmosphérique au cours de la grossesse sur la méthylation de l’ADN placentaire.
Les auteurs publient aujourd’hui dans la revue The Lancet Planetary Health une nouvelle étude* qui valide les résultats de la précédente et apporte des précisions supplémentaires. L’exposition à la pollution de l’air durant la grossesse serait donc associée à des modifications épigénétiques dans des régions de l’ADN impliquées dans le développement du fœtus mais aussi spécifiques au sexe du fœtus avec des périodes de vulnérabilité différentes. Les régions associées au neurodéveloppement, au métabolisme et à l’immunité seraient concernées. Selon les auteurs, ces résultats suggèrent que l’exposition à la pollution de l’air « pourrait être à l'origine des effets néfastes observés sur la santé pendant la période néonatale et la période de l'enfance ».
Les fœtus mâles plus vulnérables lors du premier trimestre de la grossesse
La présente étude, prospective et multicentrique, a inclus 1 539 femmes des cohortes Eden, Pelagie et Sepages. Elle a étudié les effets de l’exposition à trois polluants aériens : le dioxyde d’azote et les particules fines PM2,5 et PM10. « Ces trois polluants sont un proxy du cocktail auquel nous sommes exposés, ils sont des marqueurs des polluants issus du trafic routier, du chauffage urbain, des industries, et de l’agriculture, et sont régulés et surveillés », détaille Johanna Lepeule, chercheuse Inserm et auteure senior. « La difficulté était d’établir un modèle d’exposition qui puisse couvrir les trois cohortes », poursuit-elle pour le Quotidien. L’exposition médiane de la population d’étude durant toute la grossesse était de 19,7 μg/m³ pour le dioxyde d’azote, 18,1 μg/m³ pour les PM10 et 12,1 μg/m³ pour les PM2,5.
Les auteurs ont ainsi identifié : quatre sites de méthylation et 28 régions de l’ADN impactés par l’exposition pour toute la population d’étude ; 469 sites et 87 régions pour les fœtus mâles ; et 150 sites et 66 régions pour les fœtus femelles. Les auteurs ont pu valider 35 % des sites de méthylation et 30 % des sites découverts étaient associés à des indicateurs de développement, tels que le poids à la naissance, le périmètre crânien ou encore la durée de la grossesse. Dans les 28 régions communes identifiées, quatre gènes étaient dits imprimés (ce sont des gènes soumis à empreinte parentale), neuf associés au neurodéveloppement, sept au système immunitaire et cinq au métabolisme.
Chez les fœtus mâles, les modifications avaient lieu dans des régions associées au système nerveux et à l’intellect, et chez les femelles au stress oxydatif. Les modifications épigénétiques différaient y compris dans le temps selon le sexe. En effet, les auteurs ont constaté que le 3e trimestre était une période de vulnérabilité pour les fœtus femelles (134 des 150 sites), et que le 1er trimestre l’était pour les fœtus mâles (237 des 469 sites), ainsi que toute la durée de la grossesse en moyenne (281 des 469 sites).
Des conséquences à éclaircir
Les modifications des niveaux de méthylation durant la grossesse sont-elles associées à des risques de santé pour l’enfant à naître ? « Nous ne savons pas encore ce qui se passe après et si ces modifications sont délétères ou favorables ; ni s’il existe des phénomènes adaptatifs ou de réparation de ces modifications/altérations », explique la chercheuse. Ainsi, les prochains travaux de l’équipe s’intéresseront aux conséquences de ces modifications épigénétiques sur la santé de l’enfant et ses implications de santé publique. « Ces observations viennent appuyer les études de plus en plus nombreuses à associer l’exposition à la pollution de l’air pendant la grossesse à une atteinte du neurodéveloppement et/ou une réduction des capacités cognitives, avec une plus grande vulnérabilité des enfants de sexe masculin », précise Lucile Broséus, chercheuse Inserm et première autrice de la publication, dans un communiqué de l’Inserm. Concernant les fœtus femelles, les modifications « pourraient être associées à des défauts de développement susceptibles d’augmenter les risques de développer des maladies chroniques métaboliques (hypertension, diabète, obésité…) plus tard dans la vie, mais aussi à la survenue de fausses couches ou de prééclampsies chez la mère ».
*Ces travaux ont été financés par l’Agence nationale de la recherche, la Fondation pour la recherche médicale, la Fondation de France et le Plan cancer.
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