Fondateur et organisateur historique du congrès Cham (Convention on Health Analysis and Management), le Pr Guy Vallancien a réuni cette année pour son jubilé une palanquée d’experts, médecins, geeks et économistes aux avis divergents sur un sujet qui lui tient à cœur : l’intelligence artificielle dans la santé.
L’IA, opportunité à apprivoiser d’urgence ou menace ? La question ne porte pas tant sur l’intérêt – évident pour le plus grand nombre – d’utiliser l’IA dans la santé que sur les limites à poser. « Comme dans le poème L’Apprenti sorcier de Goethe, où le jeune magicien enchante un balai pour faire le travail à sa place et en perd le contrôle, il faut s’assurer avec l’IA qu’on a toujours les moyens d’arrêter le cours des choses », théorise en préambule le philosophe et informaticien Jean-Gabriel Ganascia.
Pour les congressistes les plus aventureux, ce principe de précaution ne doit pas entraver la volonté du monde scientifique et médical d’aller de l’avant. « L’IA permet une liberté de recherche extraordinaire, appuie Maya Noël, directrice générale de France digitale, collectif de start-up et d’investisseurs. Le numérique représente une forme de libération de la charge mentale et de l’isolement. » Seul médecin à être à la tête d’un CHU (celui de Strasbourg), le Pr Samir Henni va plus loin : « Se passer de l’IA n’est plus une option car, à l’instar du développement durable, c’est un critère d’attractivité pour les jeunes générations ».
Un attrait contre-productif ?
Dans la recherche, les sciences biomédicales, la radiologie et l’oncologie, l’IA est déjà très présente : elle aide les équipes à l’optimisation de la prise en charge et du suivi du patient, à l’amélioration du diagnostic et même à la prédiction de l’état de santé. Mais, pour certains congressistes, l’attrait puissant des algorithmes peut être contre-productif. Président de la Fédération nationale de l’automobile et invité en qualité de « docteur pour les voitures », comme il se présente, Robert Bassols met en garde contre l’effet « miroir aux alouettes » de l’IA, déjà très présente dans son secteur. « Pour deux tiers des pannes, explique-t-il, il suffit en réalité d’écouter le client, de voir comment tourne le véhicule. Mais les jeunes mécaniciens interrogent d’abord la machine et passent à côté de la panne… Attention à ne pas faire trop confiance à l’IA. » Le même risque peut-il gagner l’exercice médical ?
« Comme un super stétho »
L’appropriation de l’IA – jusqu’où avoir confiance ? – réclame de former davantage les jeunes pousses à son utilisation. Quitte à bousculer sans attendre les habitudes des futurs médecins, plaide Guillaume Bailly, ancien président de l’Isni et interne en médecine cardiovasculaire à Paris : « L’IA, c’est comme un super stétho, illustre-t-il. Si vous ne le placez pas au bon endroit, vous n’entendrez pas le cœur. Or, la formation à l’IA n’est absolument pas présente dans nos études. Aujourd’hui, la recherche nous dépasse. En tant que médecin, nous sommes largués. »
Il est nécessaire de conserver un temps d’évangélisation et d’adaptation
Dr Élie Zerbib, chef de clinique en chirurgie gynécologique à Paris
Plus tempéré mais tout aussi réaliste, le Dr Élie Zerbib, chef de clinique en chirurgie gynécologique à Paris et cofondateur d’AZmed, entreprise spécialisée dans les solutions d’IA pour le diagnostic médical, milite pour une approche plus douce. Selon lui, forcer la profession risque de la braquer. « Il est nécessaire de conserver un temps d’évangélisation et d’adaptation pour accepter l’intervention de l’IA dans le champ des professionnels de santé », professe-t-il.
Une question de priorités
Comment savoir si l’engouement ressenti dans les travées du prospectif congrès Cham infusera vraiment dans les différents pans du monde de la santé ? Et à quel rythme ? Car dans la « vraie vie » des hôpitaux et des cabinets médicaux, la priorité est sans doute ailleurs. Sans être réfractaire à l’IA, c’est en substance le message que fait passer Nicolas Revel à l’assistance. Le patron de l’AP-HP, premier CHU d’Europe, assume « à 1 000 % » le fait de ne pas être dans le coup. Mais pour lui, résoudre les irritants du quotidien, réduire la paperasse, limiter l’absentéisme, le manque de cohésion d’équipe ou l’absence de dialogue doit l’emporter sur la recherche de performance et de nouveauté. « L’IA arrive de partout et ce n’est que le début, je le sais ! lance-t-il. Mais l’intelligence artificielle ne changera pas le fait qu’on a besoin, nous tous, de vivre ensemble. » Y compris pour mieux travailler en cohésion.
Président de Hackers without borders, Karim Lamouri, expert dans le domaine de l'informatique et de la cybersécurité, défend la même ligne humaniste. « Nous avons déjà du mal à fonctionner correctement sans IA, commençons par le commencement, ironise-t-il. Moi, je donnerais ma vie à un humain, pas à une machine. Ce qui va nous sauver, c’est nous comprendre, entre humains. Car une machine ne fera jamais rien d’autre que feindre l’empathie. Et puis… l’immortalité, et après ? »
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