Longtemps négligée, l’influence du sexe et du genre sur la santé commence à être considérée. Mais, après des essais cliniques centrés sur le corps masculin, la pleine prise en compte des interactions complexes qui entrent en jeu dans la santé des femmes et des hommes réclame des efforts de recherche.
Sous-diagnostics de certaines pathologies, méconnaissance des variations de facteurs génétiques, hormonaux ou métaboliques entre les sexes, persistance des inégalités sociales et culturelles de santé… La non-prise en compte de l’influence du sexe (déterminants biologiques) et du genre (déterminants sociaux, culturels et économiques) en santé n’est pas sans conséquences. Et si la recherche en médecine progresse sur ces thématiques depuis quelques années, elle reste incomplète.
Pendant longtemps, « le corps masculin a été la norme de la recherche », rappelle la neurobiologiste Catherine Vidal, membre du comité d’éthique de l'Inserm et autrice du rapport « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », remis au ministère de la Santé en 2020 par le Haut Conseil à l’égalité (HCE). « Combler le manque de données prend du temps, poursuit-elle. La prise en compte du genre et du sexe permet pourtant de mieux comprendre certaines pathologies, de formuler de nouvelles hypothèses de recherche et d’élaborer des stratégies de prévention et de traitement ».
La prise de conscience est intervenue grâce aux mouvements féministes qui sont passés progressivement de revendications sur la santé sexuelle et reproductive dans les années1970 à la mise au jour des inégalités, visibles notamment dans le manque de représentation des femmes dans les essais cliniques.
L’ inclusion progressive des femmes dans les essais
Le scandale de la thalidomide a joué un rôle important en démontrant les tragiques conséquences à ne pas tester les molécules sur les femmes enceintes. Ce sédatif antinauséeux prescrit pendant la grossesse dans années 1950-1960 a eu des effets tératogènes sur le développement fœtal, entraînant de graves malformations. L’agence américaine des médicaments (FDA) a recommandé en 1977 d’exclure les femmes en âge de procréer des essais cliniques avant de réviser ses directives face aux critiques dénonçant la sous-représentation des femmes dans la recherches sur les maladies cardiovasculaires. En 1993, une loi est finalement adoptée aux États-Unis pour exiger le recrutement de sujets féminins dans tous les essais.
Des inégalités d’inclusion persistent pour des pathologies comme l’insuffisance cardiaque, certains cancers, la douleur ou le VIH
Catherine Vidal, membre du comité d’éthique de l’Inserm
Ce texte législatif a impulsé une transformation du paysage de la recherche internationale. La participation des femmes est passée de 35 % en 1995 à 58 % en 2018, selon le registre international des essais cliniques (Organisation mondiale de la santé/National Institutes of Health). « Il n’y a plus aujourd’hui de sous-représentation des femmes dans les essais, observe Catherine Vidal. Même si persistent des inégalités d’inclusion pour quelques pathologies comme l’insuffisance cardiaque, certains cancers, la douleur ou le VIH ».
Désormais, le défi n’est ainsi plus d’inclure mais de mener des analyses spécifiques selon le sexe. Et les Instituts nationaux de la santé américains (NIH) déplorent encore « le manque systémique de représentation féminine (ainsi que l’omission des populations transgenres et intersexuées) à toutes les étapes du processus de recherche », ce qui affecte la qualité des soins et l’efficacité des traitements. Depuis 2016, les recherches financées doivent aborder « rigoureusement le sexe en tant que facteur de santé et de maladie », mais aussi considérer « le genre comme une variable sociale et structurelle » influençant la santé, lit-on.
Reste aussi l’idée que certaines maladies sont « féminines » ou « masculines », entraînant des retards de diagnostic et de prise en charge encore fréquents. C’est le cas des troubles du spectre autistique, sous-diagnostiqués chez les filles, ou à l’inverse de l’ostéoporose, quasiment ignorée chez les hommes.
Une reconnaissance encore partielle
Des progrès ont été faits dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires (lire page 12), mais des domaines restent à investir. « L’endométriose a longtemps été négligée et sous-diagnostiquée en raison d’un biais minimisant la parole des femmes. C’est le combat de collectifs de patientes qui l’a sortie de l’ombre dans les années 2000. Mais il a fallu attendre 2019 pour qu’un plan d’action national soit mis en place », souligne Catherine Vidal.
L’émergence de la parité dans les équipes de recherche (voir encadré) participe à « une prise de conscience des lacunes », relève Helena Shomar, chercheuse post-doctorale à l’Institut Pasteur spécialisée en biologie de synthèse et engagée dans les interactions entre la science et la société (parité, accès du grand public à la science).
Des questions essentielles de recherche, sortent enfin de l’ombre. C’est le cas des menstruations, sur lesquelles se penche la chercheuse à l’Institut Pasteur Camille Berthelot, qui en étudie les mécanismes moléculaires. En comparant les génomes de différentes espèces, elle cherche à identifier, à l’aide de techniques de pointe en génétique et biologie moléculaire, les gènes impliqués et à comprendre les pathologies potentiellement associées.
Pour accélérer le lancement de travaux de recherche, Catherine Vidal recommandait dans le rapport du HCE un effort massif de formation des médecins et chercheurs à ces enjeux, ainsi que la création d’une institution dédiée à l’image de l’Office de recherche sur la santé des femmes (Office of Research on Women’s Health – ORWH), lancé en 1990 par les Instituts nationaux de la santé américains (NIH), ou de l’Institut de recherche sur le genre à l’hôpital de la Charité de Berlin. Ces initiatives seraient porteuses de bénéfices autant pour la santé des femmes que celles des hommes.
La parité progresse parmi les scientifiques
Alors que les femmes ne représentent en 2020 en France que 29 % des chercheurs (41 % dans le public et 22 % dans le privé), le domaine de la santé se distingue par sa parité. Les femmes comptent 54,5 % des effectifs de chercheurs de l’Inserm, 53,3 % de ceux de l’Institut Pasteur et 60,7 % des laboratoires de l’industrie pharmaceutique. Cette parité est un enjeu de performance et de créativité des équipes de recherche, comme le souligne un rapport de l'Unesco sur la science. C’est aussi un atout pour l’émergence de sujets de recherche innovants. « Des jeunes chercheuses prometteuses commencent à mener des travaux sur des questions essentielles liées au sexe et au genre », observe Helena Shomar, chercheuse en biologie de synthèse à l’Institut Pasteur.