Comment améliorer les résultats de la xénotransplantation ? C'est en analysant de façon multimodale la réponse immunitaire après greffe de reins de porcs génétiquement modifiés que l'équipe Université Paris Cité/Inserm/AP-HP dirigée par le Pr Alexandre Loupy relève le défi. Leurs résultats publiés ce 18 août dans « The Lancet » ont d'ores et déjà permis d'apporter des solutions concrètes pour prévenir le rejet de l'organe greffé.
Fin 2021, les premières xénotransplantations de reins de porcs génétiquement modifiés, pour ne pas exprimer le xénoantigène alpha-1,3-gal, fortement immunogène, ont été réalisées aux États-Unis chez des receveurs humains. « Ce qui pouvait auparavant s'apparenter à de la science-fiction est désormais devenu une réalité grâce aux biotechnologies qui ont permis de prévenir le rejet hyperaigu », salue le Pr Loupy dans un communiqué.
Une collaboration franco-américaine de longue date
L'équipe de recherche « Approches multidimensionnelles en transplantation d'organe » à l'Institut de transplantation multi-organes et de médecine régénératrice PITOR de Paris a eu accès aux biopsies de ces xénogreffes.
« Notre équipe collaborait depuis une dizaine d'années avec celle du Dr Robert Montgomery à l'Institut NYU Langone Health, explique au « Quotidien » le Dr Valentin Goutaudier, néphrologue transplanteur et chercheur au Paris Transplant Group. Après la première xénotransplantation, nous les avons contactés pour leur proposer un phénotypage de leurs échantillons à l'aide des outils de précision dont nous disposons dans nos recherches. Nous étions assez surpris qu'ils n'aient pas retrouvé de signes de rejet ».
Des signes très précoces
Immunologie, microscopie moléculaire, transcriptomique, des technologies de pointe ont été utilisées pour caractériser la réponse immunitaire, ce qui n'avait pas été réalisé jusque-là. « Cela est pourtant primordial pour augmenter les chances de succès de la xénogreffe », souligne le Pr Loupy, néphrologue à l'hôpital Necker et expert mondial du rejet. Les biotechnologies ont permis d'identifier et de localiser précisément les cellules immunitaires dans les xénotransplants. « Le caractère novateur de notre approche réside dans son caractère multimodal, c'est-à-dire une analyse conjointe de données complexes avec des logiciels de bio-ingénierie, pathologie digitale et bio-informatique », ajoute le Dr Goutaudier, co-premier auteur de l'étude.
Alors que l'équipe américaine n'avait observé que très peu de cellules inflammatoires et des dépôts de C4d minimes, les chercheurs français ont pu mettre en évidence une forme très particulière de rejet aigu, dite médiée par les anticorps, avec des signes précoces quasi invisibles avec la microscopie standard. Les biopsies ont été réalisées 54 heures après la greffe chez ces patients en état de mort encéphalique, le protocole de l'étude ne prévoyant pas d'aller au-delà.
« Il est possible d'avoir un rejet sans signe apparent de dysfonction du greffon, c'est-à-dire sans détérioration de la fonction rénale et à excrétion urinaire conservée, précise le Dr Goutaudier. Les signes observés sont d'ordre moléculaire, mais si l'expérience avait duré plus de 54 heures, le processus aurait évolué ».
Le rejet partage à la fois des caractéristiques moléculaires d'une réponse immune intra -espèce et inter-espèce : « intra-espèce car les gènes exprimés par les cellules de l'immunité sont les mêmes que contre un greffon humain » et « inter-espèce car il s'agit de cellules de l'immunité innée - macrophages, monocytes, NK - qui sont présentes dans les deux espèces », précise la Dr Alessia Giarraputo, chercheuse et co-première autrice de l’étude.
La localisation de ces cellules était inhabituelle, principalement dans les glomérules porcins, « alors qu'elles sont classiquement réparties dans toute la circulation des greffons en transplantation humaine », indique la Dr Giarraputo.
Des applications directes
Ces observations se traduisent déjà en pratique. « L'équipe américaine n'a pas attendu la publication des résultats pour revoir le protocole, explique le Dr Goutaudier. Le modèle porcin a été modifié pour éviter l'infiltration des xénogreffons par les cellules de l'immunité innée. Quant au rejet médié par les anticorps bien connu en transplantation humaine, l'immunosuppression a été adaptée avec l'ajout d'un traitement d'induction et des échanges plasmatiques avant ou juste après la greffe. Jusque-là, ce dernier reposait sur les corticoïdes et un antimétabolite, le mycophénolate mofétil ».
Ces découvertes, qualifiées de majeures selon les Instituts nationaux de la santé américains (NIH), vont permettre de rapprocher la xénotransplantation de la pratique clinique. La collaboration mise en place avec l'équipe du Pr Loupy est l'un des éléments clés pour le développement de la xénotransplantation par les NIH, qui continuent les essais cliniques. Fin juillet, l'équipe du Dr Robert Montgomery a annoncé dans « Nature Medicine » avoir transplanté des cœurs de porcs génétiquement modifiés à deux personnes en état de mort encéphalique, après la première mondiale réalisée en janvier 2022 par une équipe de Baltimore.
Un rein de porc en fonction plus d'un mois après sa transplantation chez l'homme
Un rein d'un porc génétiquement modifié continue de fonctionner 32 jours après sa transplantation sur un homme en état de mort cérébrale et placé sous respirateur artificiel : c'est ce qu'a annoncé ce 16 août l'Institut NYU Langone Health. Soit « la plus longue période durant laquelle un rein de porc génétiquement modifié a fonctionné chez un humain », s'est félicité l'hôpital dans un communiqué, indiquant prévoir de continuer les analyses durant un mois supplémentaire.
La transplantation a eu lieu le 14 juillet sur un homme de 57 ans, Maurice Miller, qui a fait don de son corps à la science. Outre le rein d'un porc génétiquement modifié pour éviter un rejet immédiat, les médecins ont transplanté le thymus du porc, avec l'espoir que cette glande, importante dans la réponse immunitaire, aide les cellules du receveur à identifier celles du porc comme étant les siennes, a expliqué lors d'une conférence de presse le Dr Adam Griesemer, impliqué dans l'opération. L'analyse du rôle joué par le thymus sera réalisée à la fin des deux mois.
Quoi qu’il en soit, depuis plus d'un mois, « les biopsies et tests du rein ne montrent aucun signe de rejet », a déclaré le Dr Robert Montgomery, directeur de l'Institut de transplantation de NYU Langone. « Le rein de porc remplace toutes les fonctions importantes assurées par un rein humain ». Cette étape pourrait permettre d'envisager un futur essai clinique sur un humain vivant, considère-t-il, rappelant que seulement un tiers des 88 000 Américains en attente d'une greffe de rein, y accèdent réellement.
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