Comment améliorer les résultats de la xénotransplantation ? C'est en analysant de façon multimodale la réponse immunitaire après greffe de reins de porcs génétiquement modifiés que l'équipe Université Paris Cité/Inserm/AP-HP dirigée par le Pr Alexandre Loupy relève le défi. Leurs résultats publiés cet été dans The Lancet ont d'ores et déjà permis d'apporter des solutions concrètes pour prévenir le rejet de l'organe greffé.
Fin 2021, les premières xénotransplantations de reins de porcs génétiquement modifiés, pour ne pas exprimer le xénoantigène alpha-1,3-gal, fortement immunogène, ont été réalisées aux États-Unis chez des receveurs humains. « Ce qui pouvait auparavant s'apparenter à de la science-fiction est désormais devenu une réalité grâce aux biotechnologies qui ont permis de prévenir le rejet hyperaigu », salue le Pr Loupy, néphrologue à l'hôpital Necker et expert mondial du rejet, dans un communiqué.
Une collaboration de longue date
L'équipe à l'Institut de transplantation multi-organes et de médecine régénératrice PITOR de Paris a eu accès à ces biopsies. « Notre équipe collaborait depuis une dizaine d'années avec celle du Dr Robert Montgomery à l'Institut NYU Langone Health, explique au « Quotidien » le Dr Valentin Goutaudier, néphrologue transplanteur et chercheur au Paris Transplant Group. Après la première xénotransplantation, nous les avons contactés pour leur proposer un phénotypage de leurs échantillons à l'aide des outils de précision dont nous disposons dans nos recherches ».
Immunologie, microscopie moléculaire, transcriptomique, des technologies de pointe ont été utilisées pour caractériser la réponse immunitaire, ce qui n'avait pas été réalisé jusque-là. « Cela est pourtant primordial pour augmenter les chances de succès de la xénogreffe », souligne le Pr Loupy.
Les biotechnologies ont permis d'identifier et de localiser précisément les cellules immunitaires dans les xénotransplants. « Le caractère novateur de notre approche réside dans son caractère multimodal, c'est-à-dire une analyse conjointe de données complexes avec des logiciels de bio-ingénierie, pathologie digitale et bio-informatique », ajoute le Dr Valentin Goutaudier, co-premier auteur de l'étude.
Rejet sans signe apparent
Alors que l'équipe américaine n'avait observé que très peu de cellules inflammatoires et des dépôts de C4d minimes, les chercheurs français ont pu mettre en évidence une forme très particulière de rejet aigu, dite médiée par les anticorps, avec des signes précoces quasi invisibles avec la microscopie standard. Les biopsies analysées ont été réalisées 54 heures après la greffe chez ces patients en état de mort encéphalique, le protocole de l'étude ne prévoyant pas d'aller au-delà.
« Il est possible d'avoir un rejet sans signe apparent de dysfonction du greffon, c'est-à-dire sans détérioration de la fonction rénale et à excrétion urinaire conservée, précise le Dr Goutaudier. Les signes observés sont d'ordre moléculaire ».
Le rejet partage à la fois des caractéristiques moléculaires d'une réponse immune intra -espèce et inter-espèce : « intra-espèce car les gènes exprimés par les cellules de l'immunité sont les mêmes que contre un greffon humain » et « inter-espèce car il s'agit de cellules de l'immunité innée - macrophages, monocytes, NK - qui sont présentes dans les deux espèces », précise la Dr Alessia Giarraputo, chercheuse et co-première autrice de l’étude.
Immunosuppression adaptée
La localisation de ces cellules était inhabituelle, principalement dans les glomérules porcins, « alors qu'elles sont classiquement réparties dans toute la circulation des greffons en transplantation humaine », indique la Dr Giarraputo.
Ces observations se traduisent déjà en pratique. « L'équipe américaine n'a pas attendu la publication des résultats pour revoir le protocole, explique le Dr Goutaudier. Le modèle porcin a été modifié pour éviter l'infiltration des xénogreffons par les cellules de l'immunité innée. Quant au rejet médié par les anticorps bien connu en transplantation humaine, l'immunosuppression a été adaptée avec l'ajout d'un traitement d'induction et des échanges plasmatiques avant ou juste après la greffe. Jusque-là, ce dernier reposait sur les corticoïdes et un antimétabolite, le mycophénolate mofétil ». Les Instituts nationaux de la santé américains (NIH) poursuivent les essais cliniques (voir encadré) ainsi que la collaboration avec l'équipe du Pr Loupy.
A. Loupy et al, The Lancet, août 2023. doi.org/10.1016/S0140-6736(23)01349-1
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