[Pour son dernier numéro de l’année, Le Généraliste s’est intéressé aux défis de l’environnement auxquels sont confrontés les médecins. Du 23 au 31 décembre, nous publions les articles de ce numéro bilan.]
Les alertes concernant l’impact de l’environnement sur la santé se sont multipliées. Selon vous, l’environnement est-il vraiment devenu plus « toxique » ou la question est-elle seulement davantage considérée ?
Roger Genet : La population est certes plus sensibilisée à ces sujets, mais indéniablement les facteurs de risques liés aux expositions environnementales augmentent aussi avec des polluants qui s’accumulent dans l’air, les sols, l’eau, etc.
Les politiques publiques visent à diminuer ces expositions, mais avec un succès relatif… Aujourd’hui, par exemple, les critères de l’OMS en matière de qualité de l’air dans les grandes agglomérations ne sont pas respectés. Les choses sont complexes et si la situation s’améliore, voire se normalise pour certains polluants, les risques s’accroissent pour d’autres.
Quelles sont les trois « menaces » environnementales pour la santé humaine les plus préoccupantes pour l’avenir ?
R. G. Si l’on considère les risques avérés, très clairement la pollution atmosphérique est l’un des facteurs à maitriser le plus rapidement possible. Selon les dernières estimations, elle serait responsable de plus de 120 décès par an pour 100 000 habitants au niveau mondial et 48 000 décès prématurés par an en France, avec un risque accru de pathologies respiratoires et cardiovasculaires notamment. De plus, elle contribue à modifier l’exposome (ensemble des expositions auxquelles est exposé un individu tout au long de sa vie), avec l’apparition de modifications épigénétiques transmissibles aux générations suivantes.
Également liées au réchauffement climatique, les menaces biologiques, avec la résurgence ou l’émergence de pathologies infectieuses bactériennes ou virales, telles la dengue ou zika, promettent aussi d’être une problématique majeure des 20 prochaines années. Ce notamment du fait de l’introduction des vecteurs dans des régions jusque-là indemnes, mais aussi de l’absence de traitement adapté ou de la montée des résistances aux traitements existants.
Des menaces pèsent aussi sur l’eau destinée à la consommation humaine. Le risque est à la fois qualitatif – avec des enjeux en termes de pollution et de capacité à épurer totalement les résidus de produits chimiques, pesticides ou médicamenteux – mais aussi quantitatif, avec un risque de raréfaction de la ressource, là encore du fait du réchauffement climatique.
L’affaire des « bébés sans bras » a un peu donné l’impression que la science était dépourvue face aux problèmes environnementaux. Faut-il revoir nos modèles en matière de recherche ?
R. G. Plus qu’une question de modèle, le problème est avant tout financier. La prise en compte des enjeux de l’impact de l’environnement sur la santé date seulement de ces 20 dernières années. La recherche dans ce domaine reste donc pour le moment minoritaire et beaucoup moins structurée que la recherche biomédicale classique, avec à la clé des moyens moins importants et une communauté scientifique plus réduite. La santé environnementale n’est pas suffisamment affichée comme une priorité en matière de recherche aujourd’hui en France. Il y a un basculement à faire. Cela demande des efforts aux organismes de recherche et aux financeurs publics pour flécher des budgets, spécifiquement sur la santé environnementale.
Sur les agénésies transverses des membres supérieurs, l’expertise scientifique a conclu à l’existence d’un seul cluster de cas à Guidel, compte tenu de diagnostics erronés. Elle a surtout mis en évidence le besoin de renforcer les systèmes de surveillance actuels et notamment le recueil et la qualité des informations contenues dans les registres. Cette crise, qui est avant tout une crise de confiance plus que sanitaire, a aussi souligné à quel point les préoccupations environnementales sont dans toutes les têtes. Face à un évènement de ce type, le grand public évoque d’abord des causes environnementales, par exemple les lignes haute tension ou les pesticides, alors qu’en termes d’incidence ce ne sont pas les premiers facteurs de risque.
Près de 200 avis de l'Anses tous les ans
L’Anses est un établissement public sous tutelle de cinq ministères (Santé, Agriculture, Environnement, Travail et économie) dont la principale mission est d’assurer la protection sanitaire des populations. Elle évalue les risques face à toutes les expositions rencontrées dans la vie quotidienne, que ce soit des expositions à des facteurs de risque chimiques, biologiques et infectieux, ou physiques comme les champs magnétiques ou les ondes.
Son action s’articule autour de trois grands axes : l’alimentation, la santé environnementale et la santé au travail ; ces 3 volets étant très intégrés les uns aux autres.
Saisie le plus souvent par les pouvoirs publics, elle intervient pour évaluer des risques face à des situations d’incertitude. Ses expertises visent à donner une base scientifique et des repères pour éclairer la décision publique.
Tous les ans, l’Anses émet près de 200 avis scientifiques, mais aussi plus de 4 000 décisions concernant la mise sur le marché ou le retrait de produits réglementés (médicaments vétérinaires, produits phytosanitaires et biocides).
Vos avis vous semblent-ils suffisamment pris en compte par les autorités ?
R. G. Nos avis sont toujours pris en compte, bien que parfois avec une temporalité retardée car il y a d’autres aspects économiques, sociétaux, etc. qui peuvent être pris en considération par les gestionnaires de risques et décideurs. Par exemple, pour les cabines de bronzage nous avons été très affirmatifs quant au sur-risque de cancer et recommandé leur suppression. Cela a été entendu par le ministère de la Santé, mais il y a encore des aspects d’accompagnement social, de reconversion professionnelle, à trancher pour que cette mesure puisse être prise avec le minimum d’impact négatif.
Parmi tous les avis de l’an dernier, lesquels vous semblent les plus « contributifs » ?
R. G. Certains de nos avis répondent à des impératifs de gestionde crise et sont immédiatement utilisés par les pouvoirs publics. Pour l’incendie de l’usine Lubrizol, nous avons produit six avis en six semaines pour évaluer les risques liés aux contaminations éventuelles de l’alimentation, de l’eau ou de l’environnement.
Dans un autre domaine, notre avis publié en juillet dernier sur la pollution atmosphérique et les particules de l’air ambiant a permis d’étudier différents scénarios d’évolution du parc automobile en France, en montrant que ce seul levier ne serait pas suffisant pour atteindre une bonne qualité de l’air dans les agglomérations.
Citons aussi l’avis sur le bisphénol B. L’Anses a eu un rôle pionnier sur le bisphénol A, amenant la France à l’interdire en avance sur la réglementation européenne. Cette année, nous nous sommes penchés sur le bisphénol B, substitut possible du bisphénol A, et montré qu’il avait les mêmes propriétés de perturbation endocrinienne. Nous avons proposé son classement au niveau européen afin de prévenir des usages néfastes pour la santé.
Quelles seront pour vous les principaux défis pour 2020 ?
R. G. Le challenge des mois et années à venir va être de mieux prendre en compte la notion d’exposome dans nos expertises sanitaires : l’agrégation des facteurs de risque, la question des mélanges, des effets cocktail, des polyexpositions, considérant à la fois les risques physiques, chimiques, biologiques, mais aussi d’autres facteurs comme les contraintes organisationnelles en milieu professionnel. Et ce tout au long de la vie. Au-delà de l’analyse à un instant T de chaque facteur de risque pris isolément, il s’agit d’intégrer l’ensemble des expositions.
Le deuxième défi, c’est de pouvoir anticiper les risques de demain. L’objectif des agences sanitaires, qui ont été créées après la crise de la vache folle en 1996, c’est d’être capable d’alerter les pouvoirs publics avant qu’une crise équivalente ne survienne, ce qui n’a pas été possible à l’époque.
À ce titre, tous les réseaux de vigilance coordonnés par l’Anses sont précieux, puisqu’ils permettent de faire émerger des signaux faibles qui aident à détecter des crises avant qu’elles arrivent. Il est essentiel que les médecins généralistes, et le corps médical au sens large s’implique pour faire remonter les signaux sur le portail national de signalement du ministère de la Santé qui est la base de notre système de vigilance.
Comment les généralistes peuvent-ils s’emparer de ces questions ? Quels conseils de « prévention environnementale » peuvent-ils donner à leurs patients ?
R. G. Ils en donnent déjà beaucoup, et sont les premiers conseillers des familles. Mais toute la difficulté est de faire la part des choses entre des informations validées sur une base scientifique et celles qui ne le sont pas. Il faut se méfier des faux bons conseils. Par exemple, une expertise récente de l’Agence montre que les masques antipollution n’ont pas démontré leur utilité en situation réelle et semblent même encourager des comportements plus à risque ! D’où l’importance de se former et de s’informer en s’appuyant sur des données fiables.
Par ailleurs, les généralistes doivent penser à orienter leur patient vers les consultations de pathologies professionnelles et environnementales des CHU en cas de suspicion d’exposition. Dans l’esprit des médecins, ces consultations sont souvent cantonnées à la reconnaissance des maladies professionnelles alors que leur rôle est en fait bien plus large.
Signaler, s’informer, orienter
>En dehors de la pharmacovigilance humaine gérée par l’ANSM, l’Anses coordonne l’ensemble des dispositifs de vigilance sanitaire (Nutrivigilance, Toxicovigilance, Phytopharmacovigilance, Pharmacovigilance vétérinaire).
Les déclarations de signalement correspondantes peuvent se faire via la page « signaler un évènement sanitaire » de l’Agence
Le portail des signalements du ministère de la santé peut également être utilisé
> En cas de suspicion d’exposition professionnelle mais aussi environnementale non professionnelle, les patients peuvent être orientés vers les consultations de pathologie professionnelle et environnementale des CHU
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