Pour la première fois se tiennent, depuis ce jeudi 9 mars et pendant deux jours, des Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires. Piloté par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), « c’est le premier évènement politique d’ampleur dans le domaine des luttes contre les dérives sectaires depuis plus de 20 ans », a souligné Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté.
Deux jours d’autant plus importants que le dernier rapport de la Miviludes a montré que le phénomène sectaire en France était en constante augmentation et la crise sanitaire a notamment servi de foyer à de nouveaux phénomènes.
« Combattre les dérives sectaires avec la plus grande énergie est un devoir de l’État et c’est un enjeu d’ordre public, de santé publique et de cohésion sociale », a mis en avant Sonia Backès.
Un enjeu de santé publique car comme le révélaient les chiffres de la Miviludes pour 2021, le domaine de la santé représentait 25 % des signalements. Et « le contexte de ces dernières années a favorisé une orientation inquiétante des pratiques sectaires vers le domaine de la santé, du bien-être et de l’alimentation », a précisé la secrétaire d’État. « Les pseudo-thérapeutes sont toujours plus nombreux. Ils exploitent les peurs et les fragilités non dans le but de soigner mais pour s’enrichir sur le dos de leurs victimes », rappelle-t-elle.
Un contexte pour l'essor des dérives thérapeutiques
Lors d’une table ronde consacrée justement aux « marchands de bonheur, de bien-être et de soin », les intervenants ont rappelé que dans le domaine de la santé, ces dérives sectaires pouvaient émerger des pratiques de soins non conventionnelles en santé (PNCS).
Ambroise Pascal, chef du bureau des produits et prestations de santé et des services à la personne à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a redonné les résultats des enquêtes menées par son service ces dernières années sur les pratiques non conventionnelles.
Sur 1 200 professionnels contrôlés, il y a eu 55 % de suites pédagogiques, 13 % d’injonctions, 2 % de procès-verbaux et des signalements dans les mêmes proportions. Sur les PNCS c’est particulièrement le secteur de la formation qui est mis en cause avec des mentions valorisantes inexactes, des clauses abusives et des pratiques commerciales trompeuses.
Les deux généralistes présents à cette table ronde, le Dr Claire Siret, présidente de la section Santé publique de l’Ordre des médecins et le Dr Pierre de Brémond d’Ars, président du Collectif NoFakeMed, ont tous les deux mis en avant un contexte qui favorise cet essor des dérives thérapeutiques qui peuvent se transformer en dérives sectaires.
« La crise sanitaire nous a montré l’impact que pouvait avoir la désinformation en santé sur le patient que nous avons en face de nous en consultation », note le Dr de Brémond d’Ars.
Le Dr Siret reconnaît aussi que la pénurie d’offres de soins qui fait que les médecins ont « moins de temps médical et de temps d’écoute » est aussi un écueil.
Limiter la confusion des genres
Les deux praticiens soulignent aussi la nécessité de lutter contre la confusion des genres qui peut exister avec les PNCS.
« Déjà il faudrait arrêter de parler de médecines complémentaires. Le terme médecine est assez confusionnel dans l’esprit des gens », avance le Dr Siret. La généraliste définit ainsi les PNCS par ce qu’elles ne sont pas, « elles ne sont pas validées scientifiquement et elles ne sont pas enseignées aux médecins ».
La nécessité de poser des cadres a aussi été réclamée. « Pour protéger les personnes les plus à risque », notamment pour le Dr de Brémond d’Ars, ou « en termes de formation pour les PNCS », ajoute le Dr Siret.
Enregistrer et classifier les PNCS
Et la ministre déléguée aux professionnels de santé Agnès Firmin Le Bodo a semble-t-il entendu le message. Présente lors de ses Assises, elle a fait plusieurs annonces concernant les PNCS.
« Ce qu’on appelle les PNCS constitue désormais un objet bien identifié par les acteurs de santé publique mais elles demeurent une catégorie floue dont on ne parvient pas à dessiner les contours », a-t-elle déclaré.
La ministre a jugé que c’était « l’absence de cadre autour des PNCS qui autorise les pratiques à bourgeonner ». « Poser le cadre c’est faire le tri entre ce qui doit être permis et ce qui représente une menace en termes de santé publique » et pour tendre à un exercice sécurisé des PNCS, a continué la ministre.
Agnès Firmin Le Bodo a donc annoncé le lancement très prochainement d’un comité d’appui pour l’encadrement des PNCS. Composé d’experts, il aura vocation à s’ouvrir aux acteurs associatifs ou à des collectifs de citoyens.
Parmi ses missions, il devra dresser une cartographique des PNCS qui permettra d’aboutir à une classification, « pour que cesse de cohabiter au sein de cette même appellation des dérives sectaires et des pratiques auxquelles ont recours des professionnels de santé en appui de l’exercice de leur art ».
Il travaillera aussi à l’amélioration des modalités de signalements, à la meilleure compréhension des réseaux de prescripteurs de ces pratiques et à l’élaboration d’une méthodologie de leur évaluation.
Sensibilisation aux dérives sectaires en formation initiale
Dans une démarche de prévention, la ministre veut aussi s’appuyer sur les acteurs du soin pour qu’ils préviennent leurs patients des risques auxquels ils s’exposent.
Elle veut également que les plateformes numériques prennent leur part pour que « les praticiens dangereux n’aient plus pignon sur rue ».
L’objectif est aussi de concevoir un cadre technique et juridique pour permettre d’organiser un système d’évaluation, de surveillance et de contrôle des PNCS, « en vue de sécuriser l’accès à ces pratiques ». Cela conduira à la mise en place d’un dispositif pour l’enregistrement de ces professionnels.
Agnès Firmin le Bodo souhaite aussi inscrire la sensibilisation aux risques de dérives sectaires dans la formation initiale de tous les professionnels de santé, ce « qui permettra la diffusion d’une culture de la précaution vis-à-vis des PNCS ».
« Nous n’organisons pas une chasse aux sorcières. Poser un cadre aux PNCS, c’est aussi sécuriser des pratiques reconnues qui répondent à un besoin de nos concitoyens », a conclu la ministre.
Au-delà de ces premières annonces d’Agnès Firmin le Bodo sur le secteur de la santé, les deux jours des Assises doivent aussi permettre de construire une feuille de route pour les dix prochaines années. Les groupes de travail rendront leurs conclusions vendredi après-midi.
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