LE QUOTIDIEN : Quelles sont vos ambitions à la tête de Médecins du monde ?
Dr JEAN-FRANÇOIS CORTY : Ce mandat démarre dans un contexte national instable et dans un contexte international de conflits toujours aussi violents et impactant les civils, voire les humanitaires. Je m’inscris dans la continuité des actions de l’association qui travaille en France et à l’international, essentiellement sur la lutte contre les inégalités sanitaires, sociales et environnementales, en respectant les principes de solidarité, d’impartialité et d’indépendance.
En France, nous continuerons à nous impliquer pour assurer l’accès aux soins des plus précaires, alors que l’Aide médicale d’État (AME) est régulièrement remise en question, malgré les données scientifiques sur la nécessité de ce dispositif. Nous continuerons à porter nos valeurs, celles de la science et de la santé publique humaniste. Il est nécessaire de rappeler que plus les inégalités de santé sont importantes au sein d’une société, plus la santé globale est dégradée.
Nous continuerons à nous mobiliser sur les questions de migration, d’accès aux droits, de logements précaires, de santé sexuelle et reproductive, de santé environnementale… À l’international, nous poursuivrons nos programmes en défendant l’espace humanitaire et la sécurisation des droits.
Quelle position portez-vous dans le contexte politique actuel en France ?
Nous sommes extrêmement mobilisés, dans toutes les régions, salariés comme bénévoles. Nous nous associerons à toute mobilisation citoyenne de lutte contre l’extrême droite et ses idées. Nous appelons à ne pas voter pour l’extrême droite. Nous assumons de faire barrage aux idées d’extrême droite et aux partis politiques qui les portent, dont le Rassemblement national (RN). Nous assumons cette opposition sans appeler à voter pour d’autres formations, ce n’est pas notre rôle. Nous nous inquiétons de la casse sociale et du désintérêt manifeste pour les questions d’inégalités sanitaires, sociales et environnementales qu’impliquent les idées d’extrême droite.
Cette opposition est aussi une question existentielle pour les ONG dans la mesure où certaines de leurs activités sont criminalisées. Les partis d’extrême droite nous accusent par exemple d’être complices des passeurs quand il s’agit de sauver des vies en Méditerranée. Les ONG sont des émanations de la société civile et un contre-pouvoir en démocratie. En les attaquant, ces principes sont mis à mal.
Notre démarche consiste aussi à nous saisir de cette fenêtre politique et médiatique pour faire connaître nos combats, nos idées programmatiques et nos préoccupations. Nous travaillons à la rédaction de synthèses sur l’AME, la santé sexuelle et reproductive, la santé environnementale, la défense du droit humanitaire international…
La santé environnementale tient une place de plus en plus importante dans les discours et actions de MDM. Comment ces enjeux sont-ils abordés ?
Nous sommes de plus en plus impliqués parce qu’il y a urgence. La question environnementale, souvent liée aux enjeux de pauvreté, de justice et même de racisme (quand sont vendus sur d’autres continents des produits interdits en Europe), s’impose à nous, soignants.
Nous nous inscrivons dans le paradigme One Health en intégrant le lien entre tous les vivants : végétal, animal, environnemental, humain. Nous pratiquons une médecine qui intègre tous ces déterminants. Nous sommes sensibilisés au péril écologique, qui se traduit via la question de la crise climatique et celle des environnements toxiques.
Sur le premier volet, nous agissons à deux niveaux. D’abord en s’engageant à réduire de moitié notre impact carbone d’ici à 2030. Ensuite, par nos projets, en nous attaquant aux conséquences de la crise climatique, et notamment les migrations accentuées par les phénomènes extrêmes. Nous formons des équipes locales pour une plus grande réactivité face aux catastrophes naturelles. Une réflexion approfondie reste à mener sur la manière d’être plus impactant dans les zones où les phénomènes climatiques ont des conséquences sur la santé des populations.
Nous travaillons également sur les expositions à des environnements toxiques, en particulier dans le cadre professionnel. Des projets sur la protection face aux risques liés aux pesticides sont en cours avec le monde agricole, en zone viticole près de Bordeaux mais aussi au Népal ou en RDC. L’idée est de développer une approche fédératrice avec le souci de la santé des acteurs du monde agricole et des consommateurs et d’effectuer un travail d’information et de prévention.
Quelles menaces pèsent actuellement sur le droit humanitaire international ?
Ce droit est censé humaniser la guerre, il a d’ailleurs été écrit par des militaires. Il a vocation à protéger les civils et ceux qui les aident : les soignants, les humanitaires, les professeurs, etc. Que ce soit en Afghanistan, en Syrie, en Ukraine ou de manière très prononcée à Gaza, le droit humanitaire international n’est pas respecté. C’est le fait de régimes autoritaires, mais aussi de régimes démocratiques. Parce que les humanitaires doivent pouvoir partout travailler sans mourir sous les bombes, nous plaidons pour la défense d’un espace humanitaire.
Des politiques anti-terroristes restreignent actuellement la possibilité pour des humanitaires de dialoguer avec certains groupes en les suspectant d’être leurs complices. Mais le rôle d’un humanitaire est de soigner les populations dans les territoires administrés par ces groupes terroristes. Parler avec ces acteurs ne fait pas de nous des complices. Nous sommes obligés de passer par eux pour accéder aux populations civiles. Des exceptions doivent être apportées au cadre de la lutte contre le terrorisme pour permettre l’action des humanitaires.
Invitez-vous aujourd’hui les médecins à s’investir davantage dans le débat public ?
Nous encourageons tous les acteurs de la société civile qui ont à cœur de lutter contre les inégalités à s’engager et se mobiliser. En tant que soignants, l’éthique médicale, la rationalité scientifique et les valeurs de santé publique nous obligent. Je le répète, plus les inégalités de santé sont importantes dans une société, plus la santé globale est détériorée. Si on est attaché à l’intérêt général, à la démocratie, à la rationalité, il faut se battre pour que les décisions politiques ne soient pas prises sous le coup de l’émotion ni de l’idéologie, mais sous l’angle de ce que la science apporte.
Sur l’AME, nous disposons de suffisamment d’éléments scientifiques pour établir qu’il n’y a pas d’abus, qu’il n’y a pas d’appel d’air, que c’est bon pour tout le monde d’un point de vue de la santé publique. Soignants, nous devons nous battre contre les fausses idées et rappeler clairement que certaines positions politiques sont très éloignées des enjeux de santé.
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie