Au-delà de la crise économique qui ébranle le pays et les manifestations qui mettent en cause le régime du président Maduro, le Venezuela vit une profonde crise sanitaire. Pour preuve, les chiffres dramatiques de la mortalité infantile, qui est passée de 15 à 21,1 morts pour 1 000 naissances vivantes en seulement 7 ans, selon les estimations publiées dans le « Lancet » par la démographe Jenny García de l'Institut national d'études démographiques (INED).
LE QUOTIDIEN : Quelles sont les explications, selon vous, d'une telle augmentation de la mortalité infantile au Venezuela ?
JENNY GARCIA : Nos travaux mettent en évidence un inversement de la courbe de la mortalité infantile à partir de 2009. La crise humanitaire a, depuis, fait revenir la mortalité infantile jusqu'à son niveau des années 1990.
La plupart de ces changements sont liés à des décisions politiques internes au pays. Depuis 2007, le gouvernement a graduellement diminué le financement des services de santé : la densité médicale est ainsi passée de 1,7 à 1,2 médecin pour 1 000 habitants, et la quantité de lits d'hôpitaux disponibles a presque été divisée par 2 !
Pour la mortalité infantile, le changement le plus déterminant a été l'apparition progressive de pénuries de médicaments, et surtout de vaccins. Les campagnes de vaccination ont cessé dans plusieurs régions du pays, et les enfants de moins de 5 ans n'ont pas pu être vaccinés contre le tétanos, la poliomyélite, la diphtérie, l'hépatite B et l'Haemophilus influenzae de type B entre 2007 et 2009.
Par la suite, quand la situation économique s'est encore aggravée, les pénuries alimentaires ont encore accentué la courbe.
Quelles sont vos sources de données ? Comment avez-vous travaillé ?
Il faut savoir que le gouvernement a arrêté de publier des statistiques officielles en 2012. Nous avons donc commencé par reprendre les données gouvernementales jusqu’à cette date, et celles du dernier recensement de 2011. Pour ce qui est de la période entre 2012 et 2016, nous avons aussi pu utiliser les données des bulletins hebdomadaires des maladies à déclaration obligatoire des années 2013 à 2016 que le ministère a brièvement mis en ligne en 2017 avant de les retirer. Ces bulletins fournissent le nombre de décès survenus dans les établissements de santé du pays. Par ailleurs, nous avons exploité l’enquête nationale sur les conditions de vie de la population vénézuélienne menée par les 3 principales universités du pays en 2016.
Cet ensemble de données est à peu près le même que celui normalement exploité par les pouvoirs publics pour estimer la mortalité infantile. Toutes ces études présentent des biais propres. Pour dégager une tendance, il a fallu appliquer un modèle statistique afin d'accorder aux contributions de chaque source de donnée un « poids » en fonction de leurs qualités respectives.
Comment voyez-vous la situation évoluer dans les années à venir ?
Nos estimations ne courent que jusqu'à 2016, mais nous sommes très inquiets concernant les années suivantes. C'est en effet en 2017 et 2018 que les épidémies les plus sévères de paludisme et de diphtérie ont été enregistrées par l'organisation panaméricaine de la santé. Le nombre de cas de rougeole a également triplé entre 2013 et 2017. Ce n'est pas seulement le nombre de cas qui augmente mais aussi leur létalité, à cause des pénuries de médicaments de base.
Il sera intéressant de croiser nos estimations avec l'évolution de la fertilité. Selon nos informations, la fertilité diminue dans tous les groupes d'âge sauf chez les adolescentes où elle augmente. Cette tendance peut expliquer en partie l'augmentation de la mortalité infantile.
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