La prévalence de la goutte en Polynésie française est « monstrueuse », déclare le Pr Tristan Pascart, professeur à l’université catholique de Lille et chef du service de rhumatologie de l’hôpital Saint Philibert (Lomme, 59). Elle atteint en effet 14,5 % dans la population adulte. « C’est la plus forte prévalence mondiale, de loin ! », s’exclame-t-il. Un homme polynésien sur quatre souffre de cette pathologie (et a déjà fait au moins une crise) et 3 % des femmes, ce qui semble peu en comparaison mais reste trois fois supérieur à la prévalence en France métropolitaine (0,9 %). « Le tout sur un fond d’hyperuricémie qui touche les trois quarts de la population, et ce dès 18 ans », continue le Pr Tristan Pascart.
Le rhumatologue, qui a fait un semestre d’internat en Polynésie, est à l’origine d’une vaste enquête épidémiologique sur cet archipel français du Pacifique, menée en 2021 en collaboration avec la start-up américaine Variant Bio spécialisée dans les études génétiques sur des populations « minoritaires ». Cette étude s’est penchée sur 1 000 personnes, dont 95 % se déclaraient au moins en partie d’origine polynésienne. Les résultats seront publiés dans la revue The Lancet Global Health prochainement.
Oublier les a priori
Le Pr Tristan Pascart a noté une forte association entre la goutte et le gène ABCG2, déjà connu pour être à l’origine d’un grand nombre de cas à travers le monde. Cette mutation entraîne une dysfonction du transporteur rénal de l’acide urique, qui ne s’élimine alors plus comme il devrait et s’accumule. « Il y a aussi d’autres gènes qui nous étaient totalement inconnus et qui sont impliqués dans la régulation de l’inflammation, explique-t-il. Ce résultat nous fait penser qu’il y a des modifications génétiques qu’on ne connaissait pas encore dans la goutte et qui provoquent une hyperréactivité du système immunitaire face à la présence de cristaux d’acide urique ».
L’origine génétique représente au moins 90 % du poids de la goutte
Philippe Georgel, professeur d’immunogénétique à Strasbourg
L’équipe du Pr Tristan Pascart a également montré une association entre l’obésité, notamment la graisse viscérale, et la goutte et une association métabolique avec le diabète, essentiellement chez les femmes (« deux tiers des goutteuses sont diabétiques »). Le rhumatologue précise : « Il y a certes une association entre la goutte et les comorbidités en Polynésie mais il y a aussi une explication génétique importante des comorbidités et du syndrome métabolique de l’obésité en général sur le territoire ». Il insiste : « Ce n’est pas parce que les Polynésiens sont plus imposants ou boivent plus d’alcool qu’ils souffrent davantage de goutte. Les goutteux en Polynésie ne boivent pas plus d’alcool que ceux qui ne le sont pas. C’est bien une cause génétique ».
Philippe Georgel, professeur de l’université de Strasbourg spécialiste de l’immunogénétique des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires, enchérit : « La goutte est une maladie où on incrimine beaucoup le patient lui-même. Dans l’imaginaire collectif, elle touche les gens qui mangent mal et boivent de l’alcool. On a longtemps parlé de la maladie des rois. Or, une étude récente a montré que l’origine génétique représente au moins 90 % du poids de la maladie. L’alimentation vient éventuellement en surrisque ». Selon les deux spécialistes, les études génétiques permettent de déculpabiliser les malades et de changer le discours autour de cette pathologie.
Moins d’un quart des patients goutteux sont traités correctement
Pr Tristan Pascart, rhumatologue
Pour une meilleure prise en charge de la maladie
En Polynésie française, la forte prévalence de la goutte est de notoriété publique, mais aucun chiffre n’avait pourtant encore été posé. « Malgré le nombre très important de patients, il n’y a jamais eu de prise en charge réfléchie », précise le Pr Tristan Pascart. Le spécialiste déplore une sous-prescription des traitements hypo-uricémiants, « la seule manière soigner cette maladie », selon lui. Et, lorsque les patients reçoivent ce traitement, « c’est rarement à dose efficace ».
« Moins d’un quart des patients goutteux sont traités correctement », se désole-t-il, pointant une crainte persistante autour de l’utilisation de l’allopurinol. Pourtant ce médicament permet de dissoudre les cristaux et de réduire l’hyperuricémie « et coûte vraiment peu cher ». Certes, certaines réactions allergiques potentiellement mortelles peuvent survenir en début de traitement, « mais elles sont très rares », nuance le Pr Tristan Pascart, qui souhaite rassurer les médecins. « Un marqueur génétique, le HLA-B*5801, augmente fortement le risque de faire ces réactions, avance-t-il. Or, il est totalement absent chez les Polynésiens. Dans notre étude, les seules personnes qui portaient ce variant génétique étaient d’origine déclarée chinoise, une population qu’on sait particulièrement sujette à ce type de réactions allergiques ». Une certitude est que ne pas suivre de traitement peut diminuer l’espérance de vie. « Les malades ayant des crises régulières ont une espérance de vie diminuée de 5 à 8 ans selon les études, indique Philippe Georgel. Il ne faut donc pas attendre et traiter les malades dès la première crise ».
L’étude se décline en Nouvelle-Calédonie
La collaboration du Pr Tristan Pascart avec Variant bio continue en Nouvelle-Calédonie où l’étude a été en partie transposée. Dans cet archipel français du Pacifique, la prévalence de la goutte, qui atteint 3,3 %, avait déjà fait l’objet d’une publication dans la revue Joint Bone Spine en 2021. Trois fois plus élevée que celle de la France métropolitaine (0,9 %), elle reste néanmoins bien plus faible qu’en Polynésie française. L’étude devrait se terminer dans le courant du premier trimestre 2024. Elle vise à étudier les causes de la goutte et de l’insuffisance rénale, particulièrement présente sur le territoire, dans un échantillon de 500 patients goutteux, 500 insuffisants rénaux et 1 000 personnes contrôles.
Quelques années auparavant, Philippe Georgel avait également mené une étude génétique sur la goutte auprès de deux familles de Lifou, une des îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie. « Deux ou trois variants ont été mis en évidence et seront à confirmer avec d’autres études génétiques », précise-t-il. Ses travaux seront prochainement publiés dans Lancet Western Pacific. « Les populations minoritaires, telles que les Mélanésiens, sont très peu étudiées, déplore-t-il. Or il y a un fort polymorphisme à identifier. La plupart des études de génétique concernant cette maladie ont été faites sur des populations eurasiennes ».
Une troisième famille a été étudiée à Lifou par le Pr Thomas Bardin, rhumatologue à l’hôpital Lariboisière, et le Dr Yves-Marie Ducros, médecin sur cette île à l’époque. Deux jeunes filles adolescentes souffraient de crises de goutte particulièrement handicapantes. « Un cas extrêmement rare », note Philippe Georgel, admiratif du travail mené par ces deux médecins. En croisant leurs données avec celles d’une autre famille au Vietnam, ces derniers ont identifié un variant du gène de la Lactate Déshydrogénase-D (LDHD), probablement mis en cause. Leurs résultats ont été publiés dans Rheumatology en avril 2023.
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