Le 25 juin 2024, la Haute Autorité de santé a publié ses recommandations de bonne pratique pour le répit des aidants avec parmi les objectifs, le repérage le plus en amont possible des situations qui nécessitent orientation et soutien. Un impératif pour prévenir la dégradation d’états de santé, souvent déjà alarmants.
« La France compte plus de neuf millions d’aidants, aux profils variés (parent, enfant, conjoint, etc.) qui soutiennent un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie », rappelle la Haute Autorité de santé (HAS) dont les recommandations publiées en juin s’inscrivent dans le cadre de la Stratégie nationale des aidants (SNA). Afin d’identifier les situations à risque pour ces personnes le plus en amont possible, la HAS associe au repérage non seulement les professionnels de santé, du social et médico-social mais aussi les acteurs de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, du monde associatif, de l’environnement professionnel et toute personne en fonction du contexte, de l’entourage au gardien d’immeuble en passant par le pharmacien. Les recommandations de bonnes pratiques mentionnent les signes qui doivent alerter en fonction des profils (jeune, actif, vieillissant…), grille d’évaluation reprenant les thématiques à interroger, détaillent l’accompagnement dans les solutions de répit et encouragent la formation de l’ensemble des professionnels concernés.
66 % des femmes aidantes déclarent un état de santé bon ou très bon, contre 72 % de l’ensemble des femmes
Drees – ministère de la Santé
En outre, comme l’a indiqué la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees – ministère de la Santé) en février 2023, « 0,5 million de mineurs de cinq ans ou plus sont proches aidants, soit un sur vingt-deux » (1). Quel que soit l’âge, cet investissement – qui prend différentes formes : de l’aide pour les actes de la vie quotidienne au soutien moral, voire financier – a un impact négatif sur la santé. « À la question « quel est votre état de santé général », les personnes se déclarant proches aidants répondent nettement moins souvent que la population générale qu’elles sont en bonne ou en très bonne santé, quelle que soit l’aide apportée (…), ajoute la Drees. Par exemple, parmi les femmes aidantes, 66 % déclarent un état de santé bon ou très bon, contre 72 % pour l’ensemble des femmes. De même, parmi les hommes aidants, 67 % déclarent un état de santé bon ou très bon, contre 76 % de l’ensemble des hommes ».
Une stratégie gouvernementale qui avance difficilement
Si la stratégie gouvernementale « Agir pour les aidants 2023-2027 » prévoit un « plan de repérage notamment pour l’accès à la santé dans le cadre des rendez-vous prévention aux différents âges de la vie » et acte le développement de solutions de répit, l’attention portée au sujet semble clairement insuffisante. Pour le Pr Joël Ankri, professeur émérite à l’université de Versailles Saint-Quentin et président du conseil scientifique de l’ANSM, « quarante ans après avoir évoqué la nécessité d’aider les aidants dans le cadre d’un colloque national, le constat est amer ». Trois dimensions - individuelle, populationnelle et politique - doivent selon lui être prises en considération dans le champ de la santé. « Au-delà des conseils à donner lors de chaque consultation se pose un problème de santé publique. Les aidants peuvent souffrir de troubles psychiques mais n’oublions pas qu’ils sont aussi davantage confrontés à certaines pathologies, cardiovasculaires notamment (2) », pointe-t-il.
Joël Ankri, également spécialiste de la maladie d’Alzheimer, déplore un manque d’études sur le sujet : « Je constate que les travaux sur les care givers sont moins nombreux alors qu’il est essentiel de développer nos connaissances épidémiologiques, cliniques mais aussi biologiques. Nous devons par exemple comprendre pourquoi le fait d’aider un proche majore le risque d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque ». Enfin, en matière de politiques publiques, le Pr Ankri qui fut vice-président en charge du comité de suivi du plan maladies neurodégénératives 2014-2019 regrette le manque de progrès. « La santé des aidants devrait être une préoccupation des professionnels de santé. Mais ils ne semblent pas connaître les dispositifs que nous avons mis en place comme les lits de répit ou les accueils de jour. Peut-être faut-il être directement au contact de la population pour l’informer de l’existence de solutions. Nous avons aussi peut-être calqué les structures sur nos représentations et non sur les besoins de la population. Je m’interroge… », exprime-t-il.
Le besoin de répit
De fait, le droit au répit pour les proches aidants, reconnu par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, offre des réponses - accueil de jour ou de nuit de la personne aidée, hébergement temporaire, relais à la maison… - afin de permettre à l’aidant de prendre soin de lui. C’est le cas par exemple du baluchonnage, un dispositif expérimenté depuis 2019 qui prévoit la mise à disposition d’un salarié de l’aide à domicile 24 heures sur 24, pendant une période de deux à six jours. Au 31 mars 2024, 541 baluchonnages ont été réalisés. « 5 % d’entre eux sont mis en place pour permettre à l’aidant d’accéder à des soins de santé dont il se prive souvent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Certains profitent de ce temps pour être hospitalisés et bénéficier d’une convalescence sereine tout en sachant que tout se passe pour le mieux chez eux », explique Rachel Petiprez, directrice de Baluchon France.
Ce temps de respiration bénéficie aussi à l’aidé, qui ressent la fatigue ou le stress de son proche, et à la qualité future de l’accompagnement. « Le baluchonneur prête attention à ce qui est difficile pour l’aidant et il peut apporter des solutions, comme intégrer l’effet-dose des médicaments antiparkinsoniens et décaler la toilette d’une personne malade afin que celle-ci soit moins douloureuse et moins raide. Nous veillons à outiller l’aidant pour le maintien à domicile de son proche dans le plus grand confort possible grâce à l’expertise de nos professionnels », témoigne Rachel Petiprez. Malheureusement, le dispositif est toujours expérimental et la pérennisation amorcée début 2024 dans la proposition de loi, dite TND (3), est au point mort. « Nous attendons la reprise des travaux parlementaires en espérant que ce sujet fera l’objet d’un consensus. Il y a urgence car l’expérimentation s’arrête au 31 décembre. Si la continuité n’est pas garantie, nous n’échapperons pas aux interruptions de service », déplore la directrice de Baluchon France.
Des aides, notamment financières, se sont également mises progressivement en place comme le Congé de proche aidant (CPA) pour les salariés des secteurs privé et public, l’allocation journalière du proche aidant (AJPA) qui représente un revenu de remplacement en cas d’interruption ou de cessation d’activité de l’aidant ou encore l’aide au répit dans le cadre du plan d’aide de l’allocation personnalisée d’autonomie. Mais des conditions d’accès strictes (la durée maximale du CPA est de trois mois et ne peut dépasser un an pour l’ensemble de la carrière), des montants insuffisants (64,54 euros par jour au 1er janvier 2024 pour l’AJPA et un montant maximal de 548, 54 euros pour l’aide au répit) ou encore une méconnaissance de ces dispositifs ne facilitent pas le quotidien des proches aidants.
Les pathologies organiques des aidants sont souvent mal connues des médecins
Joël Ankri, professeur émérite à l’université de Versailles Saint-Quentin
Des messages destinés aux professionnels de santé
En termes d’accompagnement, un message revient comme un leitmotiv : rappeler aux professionnels de santé que les aidants sont plus fragiles et qu’ils doivent à ce titre être davantage surveillés et bénéficier des conseils de prévention. « Les pathologies organiques des aidants sont souvent mal connues des médecins, observe le Pr Joël Ankri. J’encourage ces derniers à élargir la surveillance à la thymie mais aussi au système cardio-vasculaire et au métabolisme. Nous ne pouvons plus nous limiter à des conseils de lâcher-prise. Un autre phénomène doit être pris en considération : au départ, l’aidance est valorisable et donc valorisée ; elle met en lumière, par exemple, le sens du devoir. Mais compte tenu de la chronicité des pathologies des personnes aidées, il arrive un moment où le côté positif devient négatif. C’est ce moment de bascule qu’il faut identifier car c’est là que le risque de retentissement sur la santé est important. N’attendons pas que les personnes craquent complètement ».
(1) Études et résultats, n° 1255, février 2023
(2) La santé des aidants, Pr Joël Ankri, adsp n° 109 décembre 2019
(3) Proposition de loi visant à améliorer le dépistage des troubles du neuro-développement, l'accompagnement des personnes qui en sont atteintes et le répit de leurs proches aidants.