Marc Dixneuf (Aides) : « Face au VIH, le rôle du généraliste est d'ouvrir des portes en se défiant de ses représentations »

Publié le 01/12/2023
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Crédit photo : Christophe Tiphagne/AIDES

Les données publiées à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le VIH par Santé publique France montrent une hausse en 2022 du nombre de dépistages réalisés et une baisse des découvertes de séropositivité pour le VIH par rapport à 2019. Mais les tendances restent contrastées. Entretien avec Marc Dixneuf, directeur général de Aides.

LE QUOTIDIEN : L'épidémie de VIH semble marquer le pas en France. Que vous inspirent les dernières données épidémiologiques ?

MARC DIXNEUF : Entre 4 200 et 5 700 personnes ont découvert leur séropositivité VIH en 2022, en baisse par rapport à 2019. Ce qui est encourageant dans un contexte d’augmentation du volume de dépistage, avec aussi un effet rattrapage depuis 2020. Mais derrière ces chiffres, il y a des contrastes importants.

Si le nombre de découvertes de séropositivité continue à diminuer chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), représentant 27 % des nouveaux cas, elles augmentent chez les personnes nées à l’étranger. Plus de la moitié des découvertes (56 %) concernent des personnes nées à l’étranger, contaminées par rapports hétérosexuels ou par rapports sexuels entre hommes.

Par ailleurs, le nombre de retards au dépistage reste stable autour de 40 %. Là encore avec des disparités : 30 % chez les HSH, mais chez les personnes subsahariennes, on atteint 60 % de dépistages tardifs chez les hommes hétérosexuels et 50 % chez les femmes hétérosexuelles. Par ailleurs, les infections sexuellement transmissibles (IST), en particulier chlamydia, gonorrhée et syphilis, sont en hausse.

Quelles sont les principales avancées de la recherche ?

L’immense avancée, ce sont les traitements long acting, en prise préventive prophylactique (tous les 3 mois) ou en traitement pour les personnes séropositives (tous les 6 mois). Ces molécules permettent à des personnes qui ont des difficultés d’observance ou souhaitant garder le secret, par exemple lors d’un hébergement chez des amis ou de la famille, de ne pas interrompre leur traitement.

Ces thérapies par injection sont initiées à l’hôpital, avec un relais possible en médecine de ville. L’une des difficultés rencontrées par les équipes hospitalières, c’est de trouver en ville les médecins qui pourront assurer ce suivi. Il ne s’agit pas, bien entendu, de former tous les médecins généralistes de France, mais de pouvoir proposer, en particulier dans les zones de forte prévalence - Antilles, Guyane, Mayotte, Île-de-France, Occitanie et Paca – des relais de ville travaillant en collaboration avec les équipes hospitalières. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) doivent avoir un rôle accru dans cet accompagnement des patients sous thérapies injectables notamment.

Comment améliorer en France le dépistage et la prévention ? Quel peut être le rôle des médecins généralistes ?

On fait porter beaucoup aux médecins généralistes, qui seraient la solution universelle à toutes les difficultés et aux insuffisances du système de santé… Le rôle du généraliste, c’est d’ouvrir des portes et de se défier de ses propres représentations. C’est-à-dire proposer des dépistages du VIH et des IST, y compris à des gens dont il n’imagine pas qu’ils puissent avoir une sexualité qui les expose.

Un patient qui semble aller bien et ne pas avoir de difficultés particulières peut tout à fait connaître des problématiques de consommation de produits psychoactifs. Il est important que le généraliste puisse repérer ces situations et orienter le cas échéant vers les associations ou des confrères spécialisés. Ouvrir la porte au cours de la consultation permettra au patient de parler plus facilement de son éventuelle homosexualité, de ses pratiques sexuelles ou de ses addictions.

Il faut notamment pouvoir proposer la prophylaxie pré-exposition (PrEP) aux femmes et aux HSH nés en Afrique subsaharienne. Je pense qu’il est aussi important d’avoir une vigilance particulière avec les plus de 50 ans (20 % des découvertes de séropositivité) et les moins de 25 ans (14 %). Les sondages montrent une persistance chez ces derniers de croyances erronées sur les modes de transmission… Il faut les informer et leur proposer l’accès - qui est gratuit - aux préservatifs, au dépistage, voire à la PrEP.

Comment améliorer aujourd’hui le suivi et les parcours de soins des personnes séropositives ?

L’un des enjeux concerne les personnes vieillissant avec le VIH. Elles cumulent des comorbidités, avec l’apparition de troubles métaboliques, d’hypertension, de diabète, etc., qui nécessitent le recours à des spécialistes différents, n’ayant pas forcément l’habitude de suivre des patients séropositifs. Les associations peuvent jouer un rôle d’accompagnement important.

Avec le départ à la retraite de médecins non remplacés, la difficulté, comme pour tous les Français, est de trouver un médecin traitant. C’est dans ces repérages et mises en lien que les médiateurs de santé jouent un rôle crucial. Ces médiateurs, plus que des « supplétifs » aux médecins, doivent être considérés comme des acteurs et partenaires à part entière à intégrer aux parcours. À l’heure actuelle, ils œuvrent au sein des hôpitaux ou dans les dispositifs pilotes que sont les centres de santé sexuelle, il faut les déployer en ville.

Quant aux perspectives, il faut notamment saluer le travail engagé par le ministère de la Santé et de la Prévention en vue de rendre disponibles les Trod syphilis, qui devraient être en place en début d’année prochaine.

Propos recueillis par Neijma Lechevallier

Source : lequotidiendumedecin.fr