Des pénuries en médicaments de réanimation très utilisés au cours de cette épidémie menacent les hôpitaux. Quelle est la situation réelle dans les établissements ?
La pénurie ne touche pas tous les hôpitaux. Les collègues de l'Est et de la région parisienne sont très exposés, car il y a une concentration de patients atteints du Covid-19 dans leurs services. Or la difficulté actuellement est de mobiliser les stocks. C'est pourquoi la DGOS a envoyé vendredi dernier une enquête à toutes les PUI de France afin qu'elles renseignent leurs stocks de certains médicaments de réanimation. Avec ces informations, les autorités sanitaires seraient à même de prendre des décisions pour que certaines PUI se délestent de certains produits. Pour mieux utiliser les stocks disponibles, il est recommandé d'utiliser de façon optimale leurs posologies. En outre, des médicaments en seconde intention pourront être utilisés (NDLR : la ketamine peut par exemple être associée au propofol, ce qui permet de diminuer les doses.). Dans la période actuelle de réorganisation des unités des services hospitaliers pour prendre en charge des patients atteints de Covid, les pharmaciens hospitaliers sont extrêmement sollicités pour assurer l’approvisionnement en produits de santé auprès de l’industrie, mais aussi pour adapter les dotations des services en médicaments et DMS spécifiques et pour fournir tous les conseils de bon usage concernant ces produits de santé. De nombreuses PUI ont aussi mis en place des fabrications de SHA pour lesquelles il y avait de grandes tensions de fourniture.
S'agit-il ici d'une reprise en mains des autorités sanitaires pour recenser les médicaments de réa, comme la mission Jacques Biot est censée le faire depuis décembre dernier ?
Cette enquête est à la fois un cadre et une contrainte nécessaires dans une période de crise. Il faut bien comprendre qu’un hôpital qui n'est pas très impacté mais peut l'être demain peut difficilement donner une partie de ses stocks au risque d'être démuni pour la prise en charge de ses propres patients dans quelques semaines en cas d'impact plus sévère. L'important est que cette contrainte vienne du ministère et pas des hôpitaux en tant que tels. Il faut reconnaître que cela est compliqué car nous ne disposons pas de visibilité nationale sur tous les stocks dans toutes les PUI.
Il ne faut pas être surpris dès lors que nous ayons des problèmes de pénurie comme nous l‘avons signalé dans une note* aux pouvoirs publics début avril. Il existe depuis des années des tensions et ruptures d’approvisionnement sur de nombreux médicaments dans quasiment toutes les classes de médicaments ; et c’est aussi le cas pour les dispositifs médicaux même si on en parle moins. Ces ruptures sont des sources d’iatrogénie dans l’utilisation des médicaments et la gestion de ces phénomènes de ruptures sont très consommatrices de ressources humaines dans nos PUI. En fait, lorsque nous étions "en régime de croisière", nous nous trouvions déjà en rupture sur des centaines de références de médicaments et dispositifs médicaux. Ainsi, le jour où la crise arrive, nous nous retrouvons forcément très vite dans le rouge.
Quelles solutions préconisez-vous ?
De nombreux rapports ont récemment proposé des solutions potentielles (cf. notre enquête parue fin mars). D'abord il va falloir très certainement envisager la relocalisation partielle de certains médicaments tout au long de leur chaîne de fabrication en France, de la matière première au stade final du processus. Mais qui dit usine de fabrication de produits de synthèse dit réimportation de sites de fabrication de produits chimiques (risque Seveso...) Ce n'est donc pas qu'une question de coût, mais aussi d'environnement et donc d'acceptabilité de la population environnante du site.
Quid des appels d’offres à l'hôpital ?
Une autre réflexion est à entamer au niveau sociétal. En effet, on souhaite actuellement payer les médicaments de moins en moins cher. Avec les appels d'offres nationaux qui attribuent le marché national à un seul fournisseur, les fournisseurs les plus petits tendent à disparaître parce qu’ils ne sont pas en mesure d'assurer un marché national, trop important pour eux. Et si le génériqueur fait défaut, il doit se fournir auprès de celui qui possède le princeps pour un montant très élevé (achat pour copte) et donc cette situation peut le mettre dans une situation financière très difficile. En conséquence, il nous faut aller vers des marchés territoriaux (GHT ou région selon les produits), avec un livret thérapeutique de territoire. Ainsi, les plus petits laboratoires pourraient ne couvrir que quelques régions et continuer de vivre sur le marché.
Comment jugez-vous la réaction des pouvoirs publics pour lutter contre cette épidémie ?
A la décharge du gouvernement, l'épidémie est arrivée très vite et ce n’est pas l’heure des bilans. Toutefois, concernant les masques nous avons dû constater qu’il y avait peu de stock et le gouvernement actuel subit la politique de santé des gouvernements précédents. Pour autant, nos décideurs actuels l'ont conservée telle quelle.
* "Si l'épidémie de Covid-19 constitue un drame pour notre pays [...], elle constitue le révélateur d'un échec cuisant des choix politiques effectués depuis 40 ans qui pourra alimenter les réflexions sur l'organisation de notre système de santé après que nous aurons passé le cap très difficile actuel. [...] Comment a-t-on pu passer d'une situation où l'on demandait en 1970 au pharmacien des hôpitaux de détenir au minimum un mois de stock de médicaments à la situation actuelle où pour obtenir les médicaments qu'attend un service de réanimation, il doit fournir une attestation sur l'honneur de leur usage et qu'ils seront bien utilisés pour les patients infectés par le Covid-19."
"Harcelés de toute part par un système administratif tentaculaire, les pharmaciens des hôpitaux doivent retrouver pleinement la place qui est la leur dans l'approvisionnement en produits de santé. C'est bien parce que ce sont des acteurs de proximité qu'ils connaissent les besoins spécifiques de leurs établissements de santé et qu'ils sont réactifs."
"Le SNPHPU en appelle au président de la République et au gouvernement "pour qu'une politique nationale de gestion des produits de santé soit mise en place et que soit rendue aux pharmaciens des hôpitaux la pleine compétence dans l'exercice de leurs missions sans entrave d'aucune sorte."
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