Les petits Français seraient 13 % à être sujets à des troubles de santé mentale et à avoir besoin de soins psychologiques, mettent en lumière des estimations inédites. Deux travaux sont publiés ce 20 juin, le premier par Santé publique France, l'Étude nationale sur le bien-être des enfants (Enabee) et le second par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), à partir des données d'Epicov.
Lancée au printemps 2022, Enabee est une étude épidémiologique transversale visant à mesurer le bien-être et la qualité de vie en lien avec la santé et la fréquence de certains troubles de santé mentale, chez les enfants, de l'école maternelle au CM2, en croisant leur point de vue (à partir du CP), et ceux de leurs parents et enseignants. Elle a vocation à être répétée pour permettre des comparaisons nationales et internationales.
3,2 % d'enfants concernés par un TDAH
Selon les données recueillies entre mai et juillet 2022 dans près de 400 écoles auprès de 8 172 enfants scolarisés en élémentaire, 13 % des élèves de 6 à 11 ans présentent au moins un trouble probable de santé mentale (il s'agit d'une estimation épidémiologique, non d'un diagnostic). « Nous ne sommes pas surpris mais les chiffres sont suffisamment importants pour conduire à s'interroger sur ce sujet, pour lequel nous ne disposions d'aucune donnée jusqu'à présent », a commenté à l'AFP Stéphanie Monnier-Besnard, épidémiologiste et cheffe de projet de l'étude Enabee.
Dans le détail, 5,6 % des enfants de 6 à 11 ans seraient concernés par un trouble émotionnel probable, c'est-à-dire des troubles anxieux (anxiété de séparation, anxiété généralisée, phobies spécifiques) ou dépressifs ; 6,6 % par un trouble oppositionnel (humeur particulièrement colérique/irritable associée à un comportement querelleur/provocateur et un esprit vindicatif, sur plusieurs mois) et 3,2 % par un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). À noter, l'algorithme prenant en compte le point de vue des enfants retrouve une plus forte prévalence de troubles émotionnels (5,6 % versus 3,8 %).
Ces résultats sont cohérents avec ceux retrouvés dans la littérature. Une enquête européenne de 2010 dans sept pays évalue à 12,8 % la proportion d'enfants de 6 à 11 avec un trouble de la santé mentale, quand une méta-analyse de 2015 l'estime à 12,4 % au niveau mondial dans cette tranche d'âge.
« Souvent, on se dit qu'un enfant de moins de 11 ans ne peut pas être déprimé ou que seule une partie de la population est concernée, c'est faux », souligne à l'AFP le Pr Richard Delorme, chef du service de pédopsychiatrie à l'hôpital Robert-Debré (AP-HP). Et d'espérer que ces données permettent d'initier des politiques de prévention : « un enfant sur dix est concerné, il faut mettre le paquet ».
Des différences filles-garçons
Enabee fait apparaître des différences entre les sexes : la prévalence du trouble émotionnel probable est plus élevée chez les filles (6,6 % versus 4,6 % chez les garçons), tandis que les prévalences des troubles du comportement (TDAH et trouble oppositionnel) sont plus hautes chez les garçons (15,3 % versus 10,6 %).
En outre, les garçons déclarent (via le Kid-KindlR) un bien-être physique, émotionnel, avec les amis et une estime de soi plus élevées que les filles, qui elles déclarent un meilleur bien-être avec leur famille et à l’école. « Ces différences sont statistiquement significatives, mais les écarts sont faibles (moins de 5 points sur l’échelle) ce qui ne présume donc pas de différences notables pour les enfants », est-il précisé. En revanche, aucune différence significative ne ressort entre type d'établissements ou niveau scolaire.
Des différences selon l'attitude des parents
Ces différences entre filles et garçons se retrouvent aussi dans l'enquête EpiCov analysée par la Drees, sur la base d'un questionnaire soumis à plus de 20 100 parents d'enfants de 3 à 17 ans. Ces difficultés concerneraient 10 % des garçons et 7 % des filles. En écho à Enabee, les premiers présentent plus de problématiques de type comportemental (19 % des 3-5 ans) ou attentionnelles et d’hyperactivité (17 % des 6-10 ans). Si elles tendent à décroître avec l'âge, l'adolescence fait naître des difficultés relationnelles chez 18 % des garçons de 11 à 17 ans. Les filles souffrent davantage de problématiques émotionnelles (15 % des 6-10 ans) qui tendent à se maintenir jusqu’à l’adolescence (13 % des 15-17 ans).
EpiCov met en évidence des disparités liées aux caractéristiques des ménages. Les enfants des familles les moins aisées sont plus concernés par les difficultés émotionnelles, comportementales et relationnelles, ainsi que ceux dont le parent souffre de troubles psy (syndromes anxiodépressifs) ou qui ont un faible soutien social. Autre élément associé : un temps d'exposition élevé aux écrans, au détriment de la lecture et des activités physiques.
12 % des enfants et adolescents ont consulté en post-Covid, mais pas des médecins
Particularité d'EpiCov, l'étude a estimé la proportion des 3-17 ans qui ont consulté un professionnel de santé pour motif psychologique, entre mars 2020 et juillet 2021, soit l'année suivant le premier confinement. Le chiffre s'élève à 12 % chez les garçons (dont 7 % consultaient auparavant), et à 13 % chez les filles, en particulier entre 15 -17 ans (6 % étaient déjà suivies auparavant). La proportion des jeunes qui en auraient eu besoin s'élèverait même à 15 %.
Contrairement aux adultes pour lesquels le généraliste est le premier recours (pour 8 % d'entre eux versus 5 % qui se tournent vers les psychologues), les enfants sont plus enclins à voir un psychologue (7 % versus 3 % qui consultent un généraliste ou pédiatre).
Le recours aux psychiatres et pédopsychiatres, qui concerne en moyenne des enfants présentant des difficultés psychosociales plus prononcées, concerne 3 % des 3-17 ans. Dans tous les cas, le recours aux soins est plus fréquent chez les foyers les plus aisés.
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