En France, après avoir significativement baissé, le nombre d’infections VIH s’est stabilisé depuis trois ans. Divers facteurs sont en cause et pour essayer de faire mieux, l’ensemble des recommandations sur la prise en charge du VIH ont été mises à jour en 2024 par le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), l’Agence nationale de recherche sur le VIH/sida, les hépatites virales, la tuberculose, les infections sexuellement transmissibles et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) et la Haute Autorité de santé (HAS).
Au nombre de 15, les fiches recommandations et argumentaires scientifiques associés couvrent les traitements préventifs, le dépistage, le traitement des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) mais aussi d’autres éléments de suivi au long terme tels que la grossesse, les cancers, les comorbidités ou encore les complications infectieuses.
Prévention : ne négliger personne
L’axe le plus important dans la lutte contre le VIH est la prévention de l’infection. L’une des grandes nouveautés est la préconisation d’élargir l’accès à la prophylaxie pré-exposition (Prep) et au traitement post-exposition (TPE) aux personnes en situation de grande précarité, moins éduquées ou nées à l’étranger car elles sont loin des circuits de prévention. « Il faut que toute personne qui en a besoin à un moment de sa vie sexuelle puisse s’approprier la Prep », explique le Dr Cédric Arvieux, infectiologue au CHU de Rennes. Et de rappeler que tout médecin peut prescrire cette prophylaxie. Les membres des groupes de travail recommandent d’expérimenter de nouveaux modes de délivrance du TPE en pharmacie d’officine ou par des associations déjà habilitées au dépistage.
« Le lien entre les déterminants sociaux et l’accès à la prévention, au dépistage et aux soins est fort », indique Karen Champenois, épidémiologiste à l’Inserm, qui a codirigé le groupe de travail sur le sujet. La production d’indicateurs de qualité de l’échelle nationale à territoriale fine est essentielle : « Si l’on méconnaît la population à qui l’on s’adresse et les principaux freins à la prévention, nous n’aurons pas de succès quel que soit le temps passé », souligne-t-elle.
Indétectable = intransmissible : le personnel soignant doit connaître et être convaincu de ce message
Karen Champenois
Épidémiologiste à l’Inserm
Les soignants sont pleinement acteurs de la diffusion des discours de prévention auprès de leurs patients. « Le message I = I (indétectable = intransmissible dans le cadre des relations sexuelles, NDLR) est un facteur majeur de la diminution du nombre de nouveaux diagnostics et doit être connu même en dehors du cercle des PVVIH. L’ensemble du personnel soignant doit connaître et être convaincu de ce message », martèle Karen Champenois, rappelant que la charge virale est indétectable à partir de six mois sous antirétroviraux.
Dépister avec une approche populationnelle
La prévention va de concert avec le dépistage. En France en 2023, plus de 10 000 personnes ignoraient leur séropositivité. Le diagnostic tardif constitue une perte de chance individuelle et collective. Afin de raccourcir le délai d’entrée dans les soins, l’algorithme diagnostique a été révisé : dès le premier test sérologique Elisa positif, le deuxième prélèvement est réalisé et analysé, sans attendre les résultats du Western Blot. Cela permet de valider le diagnostic sous sept jours et améliore l’efficacité de la première consultation.
L’état des lieux des offres de dépistage a démontré leur complémentarité au sein du système de soins mais aussi en dehors, ce qui justifie d’augmenter les occasions de proposer un test et de s’adapter aux populations cibles. « Il faut favoriser la répétition du dépistage des populations exposées. Pour cela, il faut promouvoir le dépistage en autonomie : autotest et prélèvement à domicile », explique Karen Champenois.
La Dr Catherine Dollfus, pédiatre à l’hôpital Trousseau (AP-HP) et co-autrice du rapport sur la grossesse, rappelle l’importance du dépistage des futurs pères au cours du projet de grossesse, un acte inscrit dans les recommandations nationales depuis quinze ans. « Nous avions travaillé pour obtenir un bilan totalement pris en charge par la sécurité sociale, mais cela ne s’est jamais réellement diffusé, très peu de généralistes et sages-femmes le prescrivent », se désole-t-elle. Et d’ajouter : « dès lors que la mère est dépistée négative le corps soignant ne considère plus le père, alors que des femmes sont contaminées par leur partenaire au cours de la grossesse ou de l’allaitement ».
Le traitement antirétroviral doit aboutir à un contrôle maintenu de la réplication virale
Pr André Cabié
Infectiologue au CHU de Martinique
Traiter au plus vite
Le délai d’initiation d’un traitement antirétroviral (ARV) a été reprécisé : la mise sous ARV doit se faire dans les deux semaines (14 jours) suivant le diagnostic, pour obtenir le contrôle virologique au plus vite. Ainsi, il n’est pas indispensable d’attendre l’ensemble des résultats du bilan initial : dès la certitude du diagnostic, le traitement doit commencer. Ce délai peut néanmoins être ajusté dans certains cas : par exemple pour une grossesse au 3e trimestre, une primo-infection ou pour une personne demandeuse et multipartenaire, le traitement doit être initié dès la première consultation. À l’inverse, il est parfois possible de retarder le traitement (VIH-2, charge virale faible ou encore personnes qui ne sont pas prêtes). En cas d’infection opportuniste, un délai est nécessaire dans deux cas spécifiques : la tuberculose neuro-méningée et l’infection neuro-méningée à cryptococcus.
Les directives pour les molécules en première intention ont été simplifiées : une bi- ou une trithérapie quotidienne pour le VIH-1 (trithérapie pour le VIH-2), en comprimé oral unique, est préconisé afin d’améliorer l’observance. Plusieurs options sont proposées : tri- ou bithérapie avec un inhibiteur de l’intégrase ou trithérapie avec un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. En cas de succès virologique, il sera possible de passer d’une tri- à une bithérapie orale quotidienne ou à une bithérapie injectable bimestrielle. Le lénacapavir pourrait permettre des injections tous les six mois. Autre option, soutenue par l’étude Quatuor de l’ANRS-MIE : la trithérapie intermittente, prise quatre jours par semaine.
Même si de moins en moins de personnes sont en échec virologique, la situation peut encore se présenter. Il est recommandé d’analyser la cause de l’échec (observance, interactions médicamenteuses, résistances) avant de changer d’ARV, pour des molécules courantes ou nouvelles. « Quel que soit le contexte, en 2024, le traitement antirétroviral doit aboutir à un contrôle maintenu de la réplication virale. C’est au cœur de la stratégie nationale visant l’élimination de la transmission d’ici à 2030 », insiste le Pr André Cabié, infectiologue au CHU de Martinique.
Les recommandations entrouvrent la porte à l’allaitement maternel
Dr Catherine Dollfus
Pédiatre à l’hôpital Trousseau (AP-HP)
Un accompagnement toute la vie
Une fois le traitement instauré, les projets de vie sont à accompagner. Dans un chapitre sur le projet de grossesse, le groupe de travail a souhaité « entrouvrir la porte à l’allaitement maternel », se réjouit la Dr Dollfus. Si l’allaitement est la cause principale de transmission du VIH dans le monde, le risque diminue nettement lorsque la charge virale est indétectable. Sous certaines conditions (charge virale indétectable au plus tard avant le 1er trimestre puis maintenue, engagement de la mère au suivi renforcé postnatal, bonne observance), l’allaitement peut s’envisager. Il doit alors être si possible exclusif et durer six mois au maximum.
Les PVVIH, grâce à l’efficacité des traitements récents, voient leur espérance de vie s’aligner sur la population générale. Les institutions ont ainsi émis des recommandations sur le suivi spécifique du VIH en contexte de vieillissement : dépistage de cancers mais aussi de diverses comorbidités (risque cardiovasculaire, dyslipidémies, maladies endocriniennes et métaboliques, etc.). Des recommandations concernant la vaccination, en cours de validation, sont attendues prochainement.
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