C’était un vendredi. Cela faisait deux ans que le premier cas de sida avait été décrit aux États-Unis et des heures que Charles Dauguet, microscopiste à l’Institut Pasteur, s’usait les yeux sur un surnageant cellulaire issu de l’échantillon ganglionnaire d’un patient de l’hôpital Bichat, en phase pré-sida. Au terme de quinze jours de tests, Françoise Barré-Sinoussi, jeune rétrovirologiste jusque-là centrée sur la recherche fondamentale, venait d’y détecter une activité enzymatique particulière : la transcriptase inverse, signature incontestable des rétrovirus, qui leur permet de se multiplier et survivre, transformant leur ARN en ADN pour s’intégrer dans le génome de cellules infectées.
Restait alors à visualiser ce nouveau virus, momentanément baptisé LAV (pour virus associé à une lymphadénopathie). À charge pour le microscopiste d’y « chercher des particules virales d’environ 100 nanomètres de diamètre, qui possédaient une enveloppe, et de voir des bourgeonnements à la surface des lymphocytes en culture », se souvient Françoise Barré-Sinoussi. Charles Dauguet en a gardé un souvenir vivace. Le 4 février 1983, « à 17 h 45, alors que je laissais le microscope électronique refroidir avant de l’éteindre, j’ai vu un virus sous l’écran. J’ai couru hors du laboratoire en criant “je l’ai, je l’ai !”. En me croisant dans le couloir, on aurait pu douter de ma santé mentale… » Aujourd’hui, on se souvient surtout qu’on lui doit les premières photos du VIH.
80 millions de personnes infectées dans le monde
Quarante ans après, plus de 80 millions de personnes infectées et 40 millions de décès plus tard, les chercheurs peuvent se féliciter de nombreuses avancées. « En quatre décennies, on a assisté à une accélération majeure des progrès technologiques », souligne Olivier Schwartz, responsable de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur. « Entre la découverte du virus et le séquençage complet de son génome en 1985, il a encore fallu deux ans. Pour le SARS-CoV-2, compare-t-il, il n’a fallu qu’une journée à partir du moment où l’on avait un échantillon. »
Les progrès enregistrés lors de la pandémie du Covid-19 avec en particulier la mise au point de vaccins à ARN messager pourraient aujourd’hui à leur tour bénéficier au VIH : alors qu’aucune tentative de vaccin depuis 1987 n’a porté ses fruits, plusieurs essais de ce type de vaccin sont désormais en cours.
En attendant, les trithérapies antirétrovirales, devenues traitement de référence depuis leur première commercialisation en 1996, ont permis un ralentissement mondial de l’épidémie. Selon les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé en 2021, sur 38 millions de personnes infectées dans le monde, 75 % ont accès au traitement et 68 % sont viro-supprimées.
« En France, le nombre de tests de dépistage (6 millions en 2021) augmente et le nombre de nouveaux cas (5 000) diminue légèrement grâce à la prophylaxie pré-exposition (PrEP), qui commence à porter ses fruits », se réjouit Olivier Schwartz.
Anticorps neutralisants à large spectre
En quatre décennies, les connaissances se sont accumulées sur le mode d’action du VIH. Mais les chercheurs n’ont pas fini de traquer la pathogenèse de ce virus, cent fois plus petit qu’une cellule, si retors qu’il est capable de donner naissance à des milliers de variants chez un seul individu. Les anticorps neutralisants à large spectre (bNabs) sont aujourd’hui la star des laboratoires de recherche. Depuis dix ans, plus de 3 000 publications ont déjà été consacrées à ces super-anticorps découverts dans les années 1990 chez des personnes vivant avec le VIH et que l’on appelle « patients élites neutralisants ».
Ils ont confirmé leur intérêt in vitro et vont être utilisés pour explorer de nouvelles approches thérapeutiques : un essai clinique (ANRS-Rhiviera) doit débuter cette année en collaboration avec Pasteur et l’AP-HP pour tester l’effet d’une trithérapie associée à un cocktail de deux bNabs, sur 70 patients en phase précoce de la maladie.
Alors que 29 % des nouveaux cas en France sont encore diagnostiqués à un stade tardif, les étapes précoces de l’infection apparaissent en effet fondamentales, notamment dans l’établissement de réservoirs du virus, dont la persistance est un obstacle à la guérison. Car si les antirétroviraux peuvent stopper la multiplication des cellules infectées, ils n’éliminent pas le virus. Identifier dans quelles cellules il peut rester endormi et indétectable, réussir à localiser ces réservoirs persistants est aujourd’hui l’un des gros enjeux de la recherche mondiale pour espérer éradiquer le VIH.
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