Connu seulement des initiés il y a encore trois ans le virus Zika a acquis une triste célébrité avec l’épidémie qui a sévi récemment en Amérique et aux Antilles. Alors que la crise semble pour le moment circonscrite, l’heure est au bilan. Et aux regrets de ne pas avoir accordé davantage d’attention à ce virus découvert dès 1947...
Une pathologie pas si bénigne
« Quoi qu’il en soit, cette épidémie nous a appris plusieurs choses sur ce virus » reconnait le Pr Eric Caumes (Président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation, HCSP).
Premier enseignement, alors « qu’on a d’abord cru que cette pathologie était toujours bénigne, avec 80 % de formes asymptomatiques, les équipes qui travaillent sur les épidémies en Guadeloupe ont revu à la baisse le taux de formes asymptomatiques désormais estimé à 50 % environ », indique le Pr Christian Chidiac (Président de la Commission spécialisée Maladies transmissibles, HCSP). On a aussi découvert que l’infection à Zika pouvait entraîner des complications neurologiques, de mécanisme inflammatoire notamment : syndrome de Guillain-Barré, encéphalites, neuro-encéphalites et myélites.
« Nous avons ensuite constaté qu’en se transmettant de la femme à l’enfant, le virus pouvait donner des malformations congénitales dont les microcéphalies ne sont que la partie émergée de l’iceberg », poursuit le Pr Caumes. Ces malformations comprennent beaucoup de complications du développement neurologique du fœtus, comme l’atrophie ventriculaire. Et « pour l’instant, on n’a pas fait le tour de toutes les complications neurologiques néonatales dues au Zika ». D’autre part, des anomalies du développement neurologique de l’enfant (non détectées par les échographie anténatales de surveillance) pourraient survenir après la naissance.
On sait aussi désormais que plus la transmission du virus survient tôt chez la femme enceinte, plus le risque de malformations neurologiques fœtales est important. à l’inverse, plus cette transmission survient tard, plus le risque est faible et de moindre conséquence.
Transmission sexuelle avérée
Côté transmission, l'épidémie nous a appris que le virus pouvait se transmettre par voie sexuelle. « Le cas s’était pourtant déjà produit en 2011, note Eric Caumes, mais il était passé inaperçu. » Il s’agissait d’un homme voyageant au Sénégal qui avait contracté le virus et avait contaminé sa femme après être rentré aux Etats-Unis. Jusqu’à cette épidémie, on ne se basait donc que sur un cas clinique, évoqué dans le journal « Emerging infection disease », pour supposer l’existence de ce mode de transmission alors que maintenant le doute n’existe plus. « Aujourd’hui, on sait que cette transmission sexuelle peut se produire jusqu’à un mois après la guérison voire deux. D’où la nécessité de rester prudent pour les conjoints de sujets infectés qui ont des projets de grossesse », relève le Pr Caumes.
Autre constat concernant la transmission en France, il n’y a pas eu de transmissions vectorielle locale par les moustiques, les très rares cas hexagonaux autochtones ayant été transmis par voie sexuelle par l’un des partenaires ayant été infecté en zone d’endémie. « Ceci semble dû au fait que le moustique ædes albopictus n’est pas très performant en France pour la transmission du virus Zika », précise Christian Chidiac.
Une progression fulgurante
► Le virus Zika a été isolé pour la première fois en 1947 en Ouganda dans la forêt éponyme.
► Il a ensuite été détecté de façon sporadique pendant 60 ans en Afrique subsaharienne et en Asie, avant de diffuser à la fin des années 2000 et au début des années 2010 dans le Pacifique puis en Amérique sous forme d’épidémie :
- En 2013-2014, une épidémie est signalée en Polynésie française avec plus de 32 000 personnes touchées
- En 2014, la Nouvelle-Calédonie est touchée suivies d’autres îles du Pacifique.
- En mai 2015, le virus est détecté dans le Nord-Ouest du Brésil, point de départ d’une épidémie qui fera plus de 1,5 millions de cas avec 26 pays d’Amérique latine et des Caraïbes concernés.
- En janvier 2016, l’OMS fait une déclaration d’urgence et place le virus sous surveillance élevée. En février 2016, elle déclare la microcéphalie associée au virus Zika au Brésil « urgence de santé publique », mesure levée en novembre 2016.
► En Europe, le virus est repéré en janvier 2016 au Royaume-Uni, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal, en Suisse et au Danemark. En France métropolitaine, entre le 1er janvier 2016 et le 30 janvier 2017, une infection à virus Zika a été confirmée biologiquement chez 1 120 personnes revenant de zones de circulation du virus Zika (territoires français d’Amérique majoritairement), dont 62 femmes enceintes. Douze cas d’infections autochtones par transmission sexuelle ont également été confirmés en métropole.
Pièges diagnostiques
En dehors des formes compliquées, la maladie se manifeste par de la fièvre (56 % des cas*), des arthralgies (67 %), des myalgies (58 %), un rash cutané (82 %), une conjonctivite (49 %). « En raison des délais de consultation, les gens ont souvent des diagnostics rétrospectifs », souligne le Pr Chidiac. Si le diagnostic est clinique dans les formes typiques, il doit être confirmé biologiquement lors de formes atypiques ou chez les femmes en désir de grossesse présentant des symptômes. Cette confirmation se fait par PCR dans le sang ou les urines pour retrouver le génome viral et par sérologie pour retrouver les anticorps anti-Zika, « sachant que la phase virémique est très courte ce qui rend difficile le diagnostic de la maladie », indique le Pr Chidiac.
« La PCR doit donc être pratiquée dans l’urine dans les 7 jours suivant l’apparition des symptômes (test de référence) et dans le sang dans les 5 jours ainsi que dans le sperme, en cas de projet de grossesse », précise le Pr éric Caumes. Le contrôle des anticorps, d’apparition plus tardive, doit se faire dans le premier mois suivant les symptômes. De plus, il existe un croisement avec d’autres arboviroses, comme la dengue, ce qui rend difficile l’interprétation de la sérologie. « Du fait de ce croisement, on est obligé de faire des sérologies de confirmation. Le test de dépistage se fait par Elisa. Puis vient une technique de confirmation de séroneutralisation, uniquement pratiquée au Centre national de référence », détaille le Pr Caumes.
Improbable vaccin ?
Quant au traitement, il est symptomatique pour les formes non-compliquées : paracétamol, désinfection oculaire avec un collyre antiseptique. Sinon, c’est celui des complications neurologiques quand elles existent. à côté du traitement proprement dit, « la lutte anti-vectorielle constitue une partie importante du contrôle de la maladie » ajoute le praticien.
Le virus n’étant pas éradiqué et le réservoir viral (grands singes d’Afri‑ que) existant toujours, il est important qu’on puisse disposer d’un vaccin. Le Pr Eric Caumes indique cependant que si un éventuel vaccin fait toujours l’objet de travaux, il est loin d’être trouvé :
« Contrairement au vaccin contre Ebola qui bénéficiait de recherches antérieures des laboratoires, ce qui a accéléré son développement, ce n’est pas le cas ici ».
En matière de prévention, si une séroprophylaxie anti-Zika relève du domaine de l’hypothèse, il est possible d’agir dès maintenant sur la transmission sexuelle du virus. Il existe, en effet, des recommandations précises pour la prévention de ce type de contamination virale s’adressant aux femmes résidant en zone endémique, en âge de procréer ou désireuses de grossesse, ou qui veulent voyager en zone épidémique.
Une bombe a retardement
Dans ce contexte, le Zika reste-t-il une menace ? « L’épidémie paraît actuellement circonscrite, note le Pr Caumes. On savait qu’elle serait de courte durée. Il s’agit d’un virus qui circule en Afrique depuis les années 1950, qui a circulé en Asie, dans le Pacifique, puis en Amérique. L’extinction de l’épidémie est due au fait qu’un certain pourcentage critique de personnes ont été immunisées. Le virus a explosé en Amérique du Sud, n’étant jamais apparu sur ce continent au sein d’une population non immune. Maist une fois que 60 à 70 % de la population est immunisée, elle l’est à vie. » Cependant, il s’agit là de considérations théoriques car on ne dispose d’aucune technique de routine permettant d’estimer la séroprévalence de cette pathologie.
Dans les années à venir, un effet bombe à retardement induit par le Zika proviendra, selon éric Caumes, des malformations des enfants de mères contaminées par le virus, notamment dans les pays où l’avortement est interdit. « Les enfants contaminés au 2e ou au 3e trimestre de grossesse présenteront des complications neurologiques qui ne seront pas tout de suite repérées, mais qui poseront des problèmes tout au long de leur vie », s'inquiète le spécialiste.
*Données Antilles-Guyane, déc. 2015-Juin 2016
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