Certains glissements sémantiques sont plus périlleux pour les médecins qu’un dérapage mal contrôlé à ski ne l’est pour des ligaments croisés.
Longtemps on a pensé, à juste titre, que le corps médical de proximité agissait à la manière d’un amortisseur social : écoute empathique de la souffrance, arrêt maladie en situation de crise, accompagnement des malades chroniques etc.
Cette fonction reconnue de tous, les médecins s’en sont toujours acquitté avec les outils dont ils disposent : le temps passé, les prescriptions médicamenteuses, de kinésithérapie, de transports et d’arrêts de travail quand la situation l’impose…
D’aucuns pensent, et disent très fort que les malades abusent, accompagnés dans cette dérive consumériste par leurs médecins complaisants qui rechignent à frustrer une clientèle que solvabilise l’Assurance-maladie. Une autre approche pourrait faire dire que la pression exercée sur les prescripteurs est la résultante multifactorielle d’un vieillissement de la population et des maladies qui s’attachent à cet état, d’une souffrance sociale visible de tous, et d’une légitime volonté à bénéficier de droits acquis par de longues années de cotisations…
Quelle que soit l’option choisie, il n’en reste pas moins que la résultante de l’une ou de l’autre constitue une véritable pression sur le prescripteur, dont l’intensité varie en fonction de l’éducation de la patientèle, de son âge, de la structure sociologique du bassin de population et certainement d’autres paramètres qu’il serait utile d’étudier.
Face à cette pression, dont l’unité de mesure est le million d’euros en prestations diverses, l’Assurance-maladie, inventive et pragmatique, s’est dotée d’un merveilleux outil ; contre-feu imparable, bélier redoutable, presse hydraulique puissante et aveugle, dont le réglage et l’intensité dépendent du seul directeur de CPAM : l’article L 162-1-15, encadré par le décret N° 2011-551 du 19 avril 2011, qui permet à la caisse de récupérer sur le compte bancaire du médecin ce qu’elle nomme des « indus ». Ce dernier peut donc être amené à rembourser des prestations dont il n’a pas lui-même bénéficié !
Sauf que voilà : entre la pression des assurés et la contre-pression stabilisatrice des caisses, il y des femmes et des hommes dont le point commun (et la faute ?) est d’être médecins.
D’amortisseurs dont on peut concevoir qu’ils se fatiguent et s’usent avec le temps, nous sommes passés subrepticement au statut de fusibles, pris entre deux feux, deux flux intenses et puissants capables de nous consumer (burn out…) ou de nous détruire… au nom de l’inextinguible déficit des finances publiques.
Le déficit de l’hôpital, cette maladie chronique
Les déficits hospitaliers, avec celui des comptes sociaux, sont devenus une maladie chronique. Ils étaient à l’hôpital pour la seule année 2013 de 400 millions d’euros.
L’hôpital est plongé dans une culture du déficit, financé par la dette. Le déficit cumulé atteindrait 30 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB (Cour des Comptes).
En 2012, le déficit avait artificiellement reculé grâce à des reports passant de 455 millions à 150 millions. Il y a à l’hôpital 9 strates administratives, conséquence de la Loi HSPT et l’on veut créer un Conseil des Blocs.
Les comptes de nombreux CHU sont repassés dans le rouge. À l’AP-HP de Paris le dérapage est reparti, il serait de 100 millions. De plus, conséquence des 35 heures, l’AP-HP doit à ses agents l’équivalent de 2 500 postes en jours de récupération et les soignants sont épuisés.
Les hôpitaux de Poissy et Saint-Germain-en-Laye, malgré leur fusion, présentaient un déficit cumulé de 140 millions en 2011.
Le déficit a atteint, comme à Marseille plus de 26 millions d’euros l’année dernière. Ils devaient être reconstruits à Chambourcy, mais Claude Evin, échaudé par l’HSF déjà en déficit, a annulé ce projet. Le CHU d’Amiens a reçu 40 millions d’aides en deux ans. Nancy, Toulouse, Bordeaux, Clermont-Ferrand sont dans la même situation… On pourrait les citer tous !
Caen rongé par l’amiante doit être détruit et reconstruit : coût estimé, comme à Nantes, à 1 milliard d’euros. L’hôpital reste extrêmement dépensier et peu efficace. En 2008, le budget hospitalier représentait 36 % du budget soins, il serait maintenant de 45 % (Cour des Comptes).
Trop de personnels administratifs, trop de lits aigus, pas d’efficience, trop de tâches en dehors des soins, mauvaise organisation des blocs, balkanisation des services, retard dans la formation des internes, emprunts toxiques, tels sont les maux de l’hôpital malade de son organisation.
Un devoir de mémoire
Le récent courrier du confrère Yves Pirame (« le Quotidien » du 31 mars) me remet en mémoire que le nom de Jamot était connu et admiré des infirmiers qui m’aidaient à la recherche des trypanosomes au microscope, étant en poste au fin fond de la forêt gabonaise dans les années 66/67. Les french doctors civils étaient à l’époque en bien petit nombre, participaient à la Coopération dans des pays fraîchement indépendants, ceci à l’occasion de leur service militaire. À l’époque actuelle où il de « grand bon ton » de tout dénigrer et en particulier de fustiger ces pratiques dites colonialistes, je saute sur l’occasion pour dire toute l’admiration que j’éprouve encore pour ces médecins militaires de Marseille, Lyon, Bordeaux et de leurs infirmiers qui tenaient à bout de bras avec un immense talent la santé de territoires démesurés. Nommé interne parisien avant d’y partir, j’ai bien vite enfoui mon orgueil au fond de mes poches pour apprendre sur le tas ce travail extraordinaire qu’ils pratiquaient à la suite de leurs aînés et malheureusement au péril de leur vie pour un certain nombre d’entre eux.
Alors qu’on dresse encore des monuments inodores et sans saveur, il serait peut-être temps que notre pays honore dignement et de manière nationale leur abnégation et leur dévouement et puis aussi qu’on cesse de nous dire qu’il faut avoir honte de ce passé, alors que nos jeunes ont pris la relève dans le monde entier lors d’événements catastrophiques en faisant jaillir le nom de « French Doctor ». Merci, cher confrère, d’avoir remis certaines pendules à l’heure.
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