« La création d’un entrepôt de données en médecine générale ressemble à s’y méprendre à un vieux serpent de mer ! », avait lancé avec humour mi-décembre le Pr Olivier Saint-Lary, réélu président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), devant 2 000 confrères à Lille. Cette arlésienne pourrait cette fois devenir réalité, grâce au lancement du projet P4DP (Plateform for Data in Primary Care), qui veut faire de l'activité en médecine de ville la prochaine manne des données de santé.
Depuis 30 ans, chercheurs et praticiens espéraient constituer un recueil national des données issues des consultations de ville. Une agrégation des informations « non structurées » contenues dans les logiciels métiers des généralistes – des motifs de consultation jusqu'aux effets indésirables des médicaments en passant par les actes de prévention. « En chaînant ces données avec celles de la base médico-administrative de l’Assurance-maladie, ces entrepôts pourraient permettre de faire de la recherche en soins primaires et donc améliorer la qualité des soins », explique le Pr Saint-Lary.
En 1994, une première tentative a été lancée avec l’Observatoire de la médecine générale, portée par le Collège de la médecine générale (CMG). Une centaine de généralistes ont participé à la première expérimentation de recueil de data, mais quinze ans plus tard, en 2009, l’observatoire prenait fin, « faute de financement », regrette le président du CNGE. Pourtant, ajoute le professeur de médecine générale à l’Université de Versailles Saint-Quentin, le projet « intéresse toujours au plus haut point les généralistes ». « On parlait déjà de ces recueils quand j’étais interne ! », sourit le quadragénaire. Même si les généralistes se sont montrés « de plus en plus motivés », le projet a continué à patauger, les financements publics peinant à se dessiner.
Plus de 14 millions d'euros de budget
Il y a cinq ans, Nicolas Revel, alors patron de la Cnam, annonçait publiquement son soutien à un réseau de recueil en médecine générale. En 2021, le ministre Olivier Véran enfonçait le clou, évoquant « la priorité » d'une telle plateforme, notamment pour repérer les signaux précurseurs épidémiques en ville. Dans la foulée, la Banque publique d'investissement (BPI) lance un appel à manifestation d’intérêt ; un consortium se crée pour y répondre, alliant le CNGE, le Health Data Hub, le CHU de Rouen, les Universités de Normandie et de Côte d’Azur et la société Loamics.
Le coup d’envoi du P4DP est lancé en septembre dernier. « Nous avons désespéré d'y parvenir ! », sourit le Pr Olivier Saint-Lary. « Vous avez sorti ce projet des limbes, je dis bravo ! », salue la Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS). Ce réseau national de collecte de données en ville est financé pour trois ans, via France 2030, pour un budget total de 14,38 millions d’euros.
Surveillance épidémiologique renforcée
« Je voudrais inciter tous les généralistes à participer à ce réseau », encourage aujourd'hui la Pr Dominique Le Guludec. Concrètement, les données des consultations collectées « s’appuient sur les fiches électroniques patients et les informations contenues dans nos logiciels », résume le Pr David Darmon. Le vice-président santé de l’université Côte d’Azur a lancé un projet pilote du P4DP à Nice qui a permis de mettre en évidence la possibilité de récupérer ces informations de manière quasi automatique.
« Nous, généralistes, sommes assis sur une réelle mine d’or ! », s’enthousiasme le professeur de médecine générale, qui rappelle « qu’avec une vingtaine de consultations par jour, nous possédons des données longitudinales sur nos patients, de la naissance à la mort ». Une ressource précieuse pour la recherche et « pour améliorer nos recommandations », insiste la présidente de la HAS. Car, bien que « très attachée aux essais cliniques », la Pr Le Guludec assure que « les données en vie réelle apportent des éléments complémentaires pour adapter les bonnes pratiques ».
En 2022, une thèse de pharmacie menée à Tours a ainsi comparé les caractéristiques des patients inclus dans les essais cliniques, qui ont abouti à des recommandations sur le diabète de type 2, et ceux suivis en cabinet de médecine générale. « Le résultat est édifiant, résume le Pr Olivier Saint-Lary. Les patients différaient sur de nombreux points des patients à l’origine des recommandations de bonnes pratiques ». Pour le président du CNGE, ces travaux soulignent « l’impérieuse nécessité » de travailler aussi avec des informations émanant des soins primaires.
Pas de flicage
La HAS est partante pour inclure la cohorte du P4DP dans ses futures recos, et plus globalement faire des généralistes des acteurs de l’amélioration continue de la qualité des soins, grâce à des données fiables. « Grâce à la plateforme, vous pourrez identifier des signaux faibles d’une pandémie, des signes cliniques inhabituels… », imagine Dominique Le Guludec.
En retour, le généraliste obtiendra un tableau de bord dynamique de son activité et de l’état de santé de sa patientèle. Une source précieuse, estime le Pr David Darmon. « Par exemple, si vous recevez une alerte sur un médicament – comme cela a été le cas pour le Mediator – vous pourrez directement réidentifier vos patients, les appeler, sans passer par l’Assurance-maladie », illustre-t-il. Autre possibilité offerte par le projet P4DP : « identifier tous vos patients avec un INR anormal et les recontacter pour ajuster le traitement », évoque le généraliste. Chaque participant pourra comparer sa pratique avec celle de ses confrères mais, pour le CNGE, pas question de flicage ! « La Cnam nous a assuré qu’elle ne souhaitait pas se servir des données individuelles du P4DP pour ses contrôles », tient à rassurer le Pr Olivier Saint-Lary.
Déployé dès cette année dans 15 villes de France, le P4DP espère fédérer 2 000 généralistes.
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