« J'étais sur liste d'attente pour être greffé, je n'avais plus que 15 % de capacité respiratoire. Le corps ne suivait plus l'esprit. Un vrai moment difficile. Ma médecin me tenait informé des dernières évolutions scientifiques ; l'espoir d'un traitement, nourri des premiers retours des patients américains, m'a permis de tenir », raconte David Fiant, président de Vaincre la mucoviscidose. Il est l'un des 50 premiers patients à avoir reçu le Kaftrio, la combinaison d'ivacaftor/tézacaftor/élexacaftor qui transforme la mucoviscidose en une pathologie chronique et stabilisée. « Une renaissance, lorsque la santé est très dégradée. »
Les progrès scientifiques et médicaux ont révolutionné la vie des malades et les trajectoires des maladies ces dernières années. En neuropédiatrie, les nourrissons atteints d'amyotrophie spinale infantile ne sont plus condamnés à décéder par paralysie en quelques mois depuis l'arrivée en 2017 du Zolgensma, du Spinraza et d'Évrysdi. Des patients aveugles ont pu récupérer une vision utile via le développement de thérapies géniques et de prothèses rétiniennes. Des exosquelettes remettent sur pied des handicapés moteurs. Sans oublier les années de vie gagnées dans la lutte contre le cancer, grâce aux nouvelles thérapies.
« L'espoir ne guérit pas, mais il desserre l'horizon », observe le Pr Vincent Laugel, neuropédiatre, responsable du centre de référence des maladies neuromusculaires au CHU de Strasbourg. Avec les avancées scientifiques, les médecins ne sont plus les oiseaux de mauvais augure. Mais l'espoir est un remède à manipuler avec précaution. « Avant, le diagnostic ne laissait guère de place à la discussion. Avec les nouveaux traitements, l'espoir s'accompagne d'incertitudes (peu de recul, effets secondaires…) », poursuit le neuropédiatre.
Laisser le temps de la réflexion
« Honnêteté et transparence », telle est la ligne de conduite que se donnent les spécialistes interrogés par « Le Quotidien ». « J'essaie d'être le plus transparent possible pour expliquer où en est la science, ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. J'explique selon les capacités de compréhension des familles, avec empathie. On ne peut plus être paternaliste et dire qu'on sait mieux que les parents ce qui est bon pour leur enfant dans ces maladies où les inconnues sont immenses », explique le Pr Laugel. Le neuropédiatre expose même aux patients les pistes thérapeutiques préliminaires, encore inaccessibles (selon la mutation, l'âge), en particulier dans la myopathie de Duchenne : « les parents se renseignent sur internet. Si je ne leur en parle pas, ils vont penser que je cache des choses. »
À côté de l'honnêteté, le Pr José-Alain Sahel, fondateur de l'Institut de la vision (Paris), insiste sur la prudence. « Chaque jour, des patients nous contactent avec l'espoir qu'on leur trouvera un traitement, comme si nous pouvions faire un miracle, explique-t-il. Même quand tous les signaux sont au vert, comme ce fut le cas pour une famille dont les deux enfants avaient un très bon profil pour recevoir du Luxturna (thérapie génique d'une dystrophie rétinienne héréditaire, NDLR), on demande aux patients et à leur famille de prendre le temps de la réflexion. »
« La prudence est indispensable pour ne pas donner l'espoir d'un traitement qui n'est pas sur le marché, ou pas pour tel patient. Omettre de dire que le Kaftrio n'est disponible que pour certaines mutations peut être destructeur pour des personnes confrontées à des maladies aux conséquences terribles », assure David Fiant, qui veille à ce que l'association, aussi, respecte ces principes dans sa communication.
Écoute
Les médecins n'hésitent plus à entrer dans des considérations médicales et scientifiques pour éclairer un consentement. Mais jusqu'où aller dans la technicité des explications ? L'écoute joue un rôle clef pour adapter son discours au patient.
« Il me semble nécessaire d'avoir une discussion scientifique et de poser les chiffres, mais cela ne passe pas toujours. Si je me retranche trop derrière la science, cela devient suspect. Parfois, la balance bénéfices/risques est si complexe qu'elle plonge les familles dans de vrais dilemmes. Il m'arrive alors de dire : si c'était mon enfant, je ferai cela », détaille le Pr Laugel.
« J'essaie d'être simple, sans tomber dans la simplification. Je m'appuie sur des supports d'information validés, je demande au patient de ne pas prendre de décision sous le coup de l'émotion et de revenir avec des questions, explicite le Pr Sahel. Je m’efforce de mettre à distance l’excitation du chercheur et me demande constamment : que ferais-je si c'était ma famille. »
Oncologue spécialiste du cancer du sein, le Pr Fabrice André, lui, fait confiance aux chiffres : « les pourcentages sont des données factuelles, 10 ou 20 % de chances de succès, c'est un vrai espoir à ne pas décourager. » Il distingue dans sa patientèle trois profils : « certaines femmes préfèrent s'en remettre totalement à l'expert ; d'autres veulent tout savoir et viennent avec une information déjà comprise ; une minorité arrive avec des avis erronés. » À chaque profil, une réponse individualisée. Dans le dernier cas, « on réexplique tout de A à Z ; on peut même s'appuyer sur des études en vie réelle faites sur des refus de soins, notamment en matière d'hormonothérapie ».
Sandrine de Montgolfier, maîtresse de conférences en éthique médicale et sociologie de la santé, prend l'image de tiroirs à ouvrir pour décrire les modulations de l'information à livrer au patient. Elle insiste sur la dimension techno-pratique : « les patients souhaitent savoir ce que la maladie ou le traitement va changer dans leur vie de tous les jours ; ce qu'ils peuvent faire ou non. Les schémas sont souvent très appréciés. Les patients partenaires sont d'une grande aide pour évoquer le retentissement de la maladie et des soins sur le quotidien. »
Non-dits des essais cliniques
Avec leurs protocoles ficelés au cordeau et leur consentement fouillé, les essais cliniques semblent multiplier les gages d'un respect maximal de l'éthique. D'autant que les consultations préalables aux inclusions sont longues.
« On prend plusieurs - parfois jusqu’à huit - rendez-vous pour expliquer ce qu'on peut espérer de l'essai, et ce qu'on ne peut pas en attendre - surtout pour les phases 1-2 où l'on teste la sécurité d'une thérapie. Ce temps est incompressible, d'autant que certains de nos patients, par exemple, ceux qui ont le syndrome de Usher, ont des déficits auditifs associés aux troubles de la vision, ce qui implique de créer des conditions adaptées de communication », décrit le Pr Sahel.
Pourtant, les malentendus, et donc les faux espoirs ou déceptions, ne sont pas rares, selon Sandrine de Montgolfier. « Il y a un non-dit qui n'est pas levé : la recherche vise à répondre à une question scientifique et à augmenter la connaissance. Elle n'est pas une solution pour guérir », rappelle-t-elle. « On espère éviter le placebo et recevoir le traitement précocement s'il s'avère efficace », reconnaît David Fiant.
Les déceptions sont d'autant plus douloureuses que la lourdeur des contraintes n'a pas été anticipée. « Certains patients font des kilomètres pour honorer les rendez-vous dans les grands centres de recherche. Le retour dans leur centre d'origine en cas d'absence d'amélioration, parfois en soins palliatifs, est mal vécu », observe la spécialiste d'éthique.
« Il faut entrer dans un essai clinique en connaissance de cause ; cela suppose une information très approfondie des patients par les médecins », insiste Sandrine de Montgolfier, qui préconise de rendre les consentements plus accessibles et de développer les aides à la décision pour choisir entre soins standards et recherche. Un suivi psychologique doit être proposé et les patients, suivis à la sortie de l'essai. Et jusqu'à 5 à 10 ans après. « L'obligation d'informer sur les résultats de l'essai, inscrite dans la loi du 4 mars 2002, n'est pas toujours appliquée », note-t-elle. Enfin, la dimension altruiste de la recherche doit être valorisée. « Les médecins craignent que l'absence de bénéfice individuel détourne un potentiel participant », poursuit Sandrine de Montgolfier. Or, « certains parents trouvent un second souffle en se battant pour la recherche, même s'ils savent que cela ne profitera pas forcément à leur enfant », observe le Pr Laugel.
Des attentes parfois disproportionnées
La considération des attentes des patients fait l'objet d'une attention de plus en plus grande de la part des médecins et chercheurs, ou encore des psychologues de plus en plus présents dans les centres.
« Les attentes à l'égard des thérapies innovantes sont différentes selon que le patient est dans une phase de refus de la maladie, d'abattement, d'acceptation… », décrit le Pr Sahel. Lui s'inquiète surtout des attentes qui seraient disproportionnées, « quand bien même nous sommes très prudents dans nos explications, qui restent en deçà de nos espérances ». Et de se souvenir d'avoir reporté une chirurgie d'implantation d'une rétine artificielle chez un patient qui, malgré les explications, s'attendait à retrouver une vision normale.
Une médiatisation peu rigoureuse des découvertes scientifiques risque aussi de nourir de faux espoirs, regrette le Pr André. « Dès qu'un institut de recherche ou un laboratoire présente une "découverte" lors des grands congrès comme l'Asco ou l'Esmo, nous recevons des dizaines d'appels le lendemain. C'est la douche froide quand il faut expliquer que la recherche n'est que chez l'animal, ou que la thérapie n'est disponible qu'aux États-Unis… », regrette-t-il. Et d'insister sur l'honnêteté qui doit présider à la rédaction des communiqués de presse.
Malgré ces bémols, l'espoir reste une denrée précieuse, notamment pour les patients qui n'ont pas encore accès aux nouvelles thérapies. Il conduit les acteurs de la recherche à redoubler d'efforts : ainsi, Vaincre la mucoviscidose a passé commande pour trouver des solutions pour les 2 000 patients (soit 35 % des malades) non éligibles au Kaftrio et entend financer cette recherche à hauteur d'un million d'euros par an. L'espoir est, enfin, une boussole pour les médecins. « J'ai eu la chance de prendre part à plusieurs succès scientifiques chez l'homme. Il faut garder cet enthousiasme et cette énergie pour les moments plus incertains », confie le Pr Sahel.
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