Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu public ce 5 juin son rapport de synthèse sur la consultation publique des États généraux de la bioéthique, après l'avoir remis aux ministères de la Santé, de l'Enseignement supérieur, et de la Justice, ainsi qu'à l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPESCT). Il est assorti des trois avis du comité citoyen, un panel indépendant de 22 citoyens représentatifs de la société française, formés au cours de 4 week-ends.
Que ressort-il de ces 4 mois de consultation citoyenne ? « Il existe un socle de grandes valeurs éthiques partagées, qui définissent une éthique à la Française » souligne le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE, citant la non-marchandisation du corps, la gratuité du don, l'affirmation de l'autonomie, le souci de l'autre et la place des plus vulnérables.
L'expression d'un grand besoin d'information des citoyens a éclaté au grand jour, ainsi que leurs préoccupations concernant leur place dans le système de santé et la médecine du futur.
Commence également à émerger une certaine méfiance des Français à l'égard des scientifiques et des médecins, s'est désolé le Pr Delfraissy.
Cette consultation fut-elle un succès ? Le CCNE se félicite de la mobilisation des citoyens (271 débats en région, 154 auditions d'associations, sociétés savantes et courants de pensée, 65 000 contributions sur le site internet). « Ce n'est pas une vision de l'opinion française que nous transmettons ; c'est une vision des gens qui ont participé à ces États généraux », a clarifié le Pr Delfraissy. Et de reconnaître des limites : la difficulté de toucher « la France profonde et la banlieue », et « la présence d'un certain nombre de militants qui ont pu monopoliser la parole sur certains sujets » comme la procréation. Le comité citoyen se montre plus critique : « Si la mobilisation des citoyens a été réelle, elle nous a semblé insuffisante au regard des enjeux » écrit-il dans un avis, déplorant un manque de médiatisation lié à la faiblesse du budget alloué à la communication et une répartition inégale des débats sur le territoire.
Vers des évolutions sur la génomique et la recherche sur l'embryon
Des modifications sont à attendre sur les sujets relatifs à la recherche sur l'embryon et sur la génomique, qui occupent une grande place dans les lois de bioéthique depuis respectivement 2004 et 1994, et qui ont connu des bouleversements technologiques ces dernières années. Pour ces deux sujets, l'équilibre est délicat entre les bénéfices de la recherche, et les risques de dérives éthiques ; un encadrement apparaît comme une nécessité (sauf pour certains opposants a priori aux recherches sur l'embryon, qu'ils considèrent comme un être humain dès la fécondation).
Le CCNE relaie les demandes d'éclaircissements des termes de la loi ou l'adaptation de celle-ci au contexte scientifique des chercheurs auditionnés sur la recherche sur l'embryon. Ils demandent notamment de lever les incertitudes qui existent sur certaines approches expérimentales comme la création d'embryons chimériques (contenant des cellules humaines et animales), la possibilité de modification du génome, et la durée de culture des embryons in vitro ; et de distinguer les régimes juridiques des recherches sur l'embryon d'une part, et de l'autre, celles qui portent sur les cellules-souches embryonnaires (CSEh) (dont le régime devrait être assoupli).
De même, les sociétés savantes suggèrent des évolutions en termes de génomique : élargissement de certains diagnostics génétiques, tels que le DPI-A (diagnostic pré-implantatoire des aneuploïdies), l'accès aux caractéristiques génétiques en post mortem, le dépistage élargi en pré-conceptionnel ou/et en période néonatale (mais il n'y a pas de consensus), l'adaptation du consentement à des situations d'incertitude, la réorganisation des pratiques et métiers liés à la génétique, la sécurisation des données. Certaines pistes sont partagées par le comité citoyen (voir ci-dessous).
Les possibilités de modification du génome (via CRISPR Cas 9) ont en revanche été rarement abordées.
Divergences sur l'AMP et la fin de vie... sur fond de constats partagés
Sans surprise, le CCNE fait état des divergences qui traversent le pays sur l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et femmes seules en exposant les arguments des uns et des autres : principe d'égalité pour les tenants de l'extension de la technique, droits de l'enfant, pour les opposants. Mais le comité tient à noter des préoccupations communes aux deux parties : l'importance d'une structure familiale, la réalité du désir d'enfant, la conscience de la responsabilité des parents, la réaffirmation de la gratuité du don de gamète et le refus de la marchandisation du corps.
La demande des citoyen(ne)s en faveur de l'autoconservation ovocytaire par prévention, partagée par les sociétés savantes, a été entendue par le CCNE ; ainsi que la nécessité d'un dialogue autour de l'accès aux origines, entre respect du principe de l'anonymat, et réalités technologiques.
Sur la fin de vie, les Français se rejoignent sur le constat d'un mal-mourrir en France, d'une méconnaissance de la loi Leonetti-Claeys, et d'une insuffisance des moyens pour les soins palliatifs. Puis se divisent entre les tenants d'un statu quo et les défenseurs de l'autonomie du patient - ce dont témoigne encore le comité citoyen.
Enfin, faute d'informations, les thématiques comme l'environnement, le don d'organes ou les neurosciences, « n'ont pas mobilisé les foules », résume Pierre-Henri Duée, président de la commission technique du CCNE.
Le CCNE rendra un avis plus engagé en septembre 2018, où il émettra plusieurs propositions pour la nouvelle loi de bioéthique et l'organisation du débat éthique en France.
encadré : les propositions du comité citoyen
Pour améliorer le débat bioéthique le comité propose qu'une sensibilisation aux enjeux de la bioéthique soit introduite dans les programmes scolaires dès la troisième, que le CCNE intègre en son sein un comité citoyen permanent, ou encore que la révision de la loi de bioéthique ait lieu tous les 5 ans.
Les citoyens se divisent sur la question des tests génomiques en pré-conceptionnel. S'ils estiment qu'il faut se concentrer sur les pathologies qui font l’objet d'une quasi-certitude dans leur identification génétique, les deux tiers prônent un accès universel, sur la base du volontariat, tandis qu'un tiers souhaiterait ne cibler que les populations dites à risques. Ils se divisent également sur le sort des données secondaires, mais se rejoignent sur une prise en charge par la sécurité sociale et l'importance d'une consultation avec un généticien pour l'interprétation des tests.
Enfin, le comité souligne que la fin de vie s'est révélée un champ beaucoup plus sensible qu'attendu et insiste sur l'urgence d'une sensibilisation de la population. Une majorité (2/3) juge la législation actuelle hypocrite et inadaptée et plaide pour l'ouverture du suicide assisté et de l'euthanasie pour les patients atteints d'une maladie incurable, avec une espérance de vie inférieure à six mois, tandis qu'un tiers préfère attendre que la France s'approprie la loi Leonetti-Claeys et développe les soins palliatifs.
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