LE QUOTIDIEN : En 20 ans, la France est passée de la première à la 4e place européenne en termes de production de médicament. Comment expliquer une telle bascule ?
Nous subissons aujourd’hui les conséquences de dizaines d’années de gestion comptable du médicament des précédents gouvernements. En termes de production de médicaments, la France est désormais passée derrière l’Italie, la Suisse et l’Allemagne, après plusieurs décennies de sous-investissements dans ce secteur.
Néanmoins, d’autres facteurs ont accéléré ces délocalisations, comme l’arrivée à maturité de certains brevets, qui ont permis aux génériques de se développer dans des pays avec des réglementations environnementales ou des normes pharmaceutiques moins exigeantes que les nôtres. Les pays asiatiques notamment, qui proposent des offres à bas coût et où la croissance démographique entraîne une demande accrue de médicament. La production s’y est donc naturellement installée : 80 % des principes actifs des médicaments commercialisés en Europe sont produits en Asie.
Quelles sont les aires thérapeutiques qui ont particulièrement déserté la France ?
En termes de production de principes actifs, ce sont surtout les antalgiques, les antibiotiques et les produits de cancérologie qui ont été délocalisés. Par ailleurs, nous remarquons qu’il est nécessaire, sur certains médicaments produits à l'étranger, de sécuriser davantage la production et le façonnage. Ces questions de qualité se posent notamment sur les médicaments liquides, les anticancéreux, mais aussi certains consommables.
Au-delà du coût de la main-d’œuvre asiatique, comment expliquer qu’à normes environnementales et sociales équivalentes, les industriels préfèrent s’implanter en Allemagne ou en Italie, plutôt qu'en France ?
Effectivement, la France est déclassée à l’intérieur même de l’Europe. Au sein de l'Union Européenne, le coût et les réglementations de bonnes pratiques de fabrication sont globalement similaires. Rien ne devrait donc justifier que les parts de marché de la France aient été divisées par deux entre 2008 et 2018 sur le médicament.
C’est pourquoi le président de la République a fait de l’attractivité de notre pays, et de la réindustrialisation, des priorités économiques. Le premier levier a été de rapprocher notre fiscalité, qui était bien plus élevée, de celle de nos voisins européens de l’ouest. Pour faire revenir ces industriels, nous avons ajusté l’impôt sur les sociétés, la fiscalité du capital ou encore les impôts de production.
Depuis plusieurs années, les laboratoires justifient leur départ par des baisses de prix successives du médicament en France. De nouvelles baisses seront-elles prévues dans le PLFSS 2022 ?
Malheureusement, le médicament a systématiquement été la variable d’ajustement des comptes sociaux durant les dernières décennies. Nous souhaitons renverser la vapeur, et c’est pour cela que nous augmenterons de 2,4 % en moyenne le budget alloué aux produits de santé, sur les trois prochaines années. C’est une progression absolument exceptionnelle, qui rompt avec des années de pénurie budgétaire. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de baisse de prix dans le prochain PLFSS. Car, si on veut pouvoir payer des innovations en santé, il faut être capable de faire des gains de productivité sur des médicaments plus matures. Il faut considérer l’enveloppe globale.
Le plan de relance prévoit des aides en faveur de la relocalisation de certaines chaînes de médicament en France. Concrètement, où en êtes-vous ?
À date, 146 projets de relocalisation dans la santé ont été soutenus dans le cadre du plan France Relance. Il s’agit notamment de projets de production de principe actif, de façonnage ou d’approvisionnement par exemple. C’est le cas de la société Seqens pour la production de paracétamol, de Fareva ou Recipharm pour les vaccins.
Les soutiens de l’État vont aussi cibler la production de médicaments injectables, de diagnostic in vitro, de dispositifs médicaux ou de produits pour la réanimation. Cela va passer, par exemple, par la relocalisation d’ampoules et de produits injectables : curares, opiacés, anesthésiants ou corticoïdes. Il ne faut pas oublier que, pendant la pandémie, la consommation de certains de ces produits a augmenté de 2 000 %! Structurellement, les chaînes de production ne suffisaient pas.
Nous allons, enfin, financer des projets de biotech sur des aires thérapeutiques prometteuses comme les biothérapies, l’antibiorésistance ou encore la santé digitale.
L’une des relocalisations emblématiques est celle du paracétamol, prévue pour 2023. Quel est le soutien de l'État ?
Nous allons rapatrier une chaîne de production de paracétamol en France, en créant une nouvelle ligne de fabrication. L’État finance à hauteur de 30 à 40 % cette nouvelle installation de production du principe actif à Roussillon, estimée à 100 millions d’euros. En parallèle, nous nous sommes engagés à ne pas baisser le prix du paracétamol pendant quelques années.
Cette relocalisation a plusieurs avantages : créer 80 emplois, diminuer notre empreinte environnementale de l’ordre de 5 à 10 par rapport à la production asiatique, mais aussi améliorer notre balance commerciale. Le paracétamol est un cas emblématique car tout le monde connaît ce médicament, mais nous travaillons sur un portefeuille beaucoup plus large, d’une centaine de molécules d’intérêt thérapeutique majeur à relocaliser, sur la base des recommandations du ministère de la Santé.
La fabrication de médicament made in France ne risque-t-elle pas de faire augmenter les prix ?
D’abord, il faut savoir raison garder, on ne veut pas tout relocaliser à tout prix. Ensuite, il y a certes le léger supplément de prix pour le budget de la Sécurité sociale, mais n’oublions pas les emplois directs induits du site de production, le potentiel fiscal que cela représente et la moindre empreinte carbone… C’est gagnant-gagnant !
Le vaccin anti-Covid Valneva, issue d’une entreprise de biotechnologie nantaise, pourrait-il être produit en France ?
Non, Valneva est produit en Écosse, tout simplement car il utilise un virus inactivé et qu’en France il n’existe aucun site capable de produire ce type de vaccin. Ce sont des laboratoires de virologie très spécifiques – BSL-3 – qui n’existent plus dans notre pays. C’est encore un bon exemple du déclassement français... Que dans le pays de Pasteur, on ne soit pas capable de faire des vaccins à virus inactivé, car nous n’avons pas de site industriel susceptible de le faire, et qu’il est impossible d’en sortir un de terre en moins de trois ans, est assez emblématique de tout ce que nous avons à reconstruire. La production de virus inactivé pourrait également être relocalisée en France.
Les alertes sur les pénuries de médicaments essentiels se multiplient. Le 20 septembre, la Ligue contre le cancer a tiré la sonnette d’alarme alors que 75 % des patients atteints de cancer disent avoir été confrontés à une pénurie. Faut-il être plus contraignant envers les industriels ?
Le décret "stock", publié il y a quelques semaines, permet justement de protéger de manière plus contraignante les patients contre les risques de pénurie de médicament. Les industriels doivent constituer des stocks d’au moins deux mois de médicament d’intérêt thérapeutique majeur, mais c’est un minimum, car l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) peut augmenter ce stock à quatre mois si elle estime qu’il y a un risque de rupture.
Il faut par ailleurs un pilotage qui nous permette à tout moment d’avoir une vision d’ensemble sur les tensions d’approvisionnement. Et une vision européenne sur les pénuries. Car, nous avons pu constater ponctuellement des stratégies de négociations commerciales agressives de la part de certains laboratoires, qui opposaient par exemple les pays européens entre eux. Un labo ne peut pas utiliser une position dominante sur le marché européen pour essayer de faire grimper les prix et de rendre plus difficilement accessibles ses molécules. Il faut faire respecter la loi.
Les aides accordées aux laboratoires pharmaceutiques pour rapatrier leur production dans l’Hexagone entraineront-elles des contreparties comme une part obligatoire du stock réservée au marché français ?
Lorsque l’on parle de production de principe actif, ce n’est qu’un composant du médicament final, donc il n’y aura pas de contreparties directes à fournir le marché français. Néanmoins, nous souhaitons que le fabricant du principe actif, par exemple du paracétamol, conclue des contrats avec les laboratoires distributeurs français (Sanofi et Upsa, Ndlr). Ne perdons pas de vue enfin une chose toute simple : à tout moment, l’État est en capacité, en cas de crise, de réquisitionner la production. Mais on ne peut réquisitionner que ce qui est fait sur notre territoire. D’où l’intérêt de relocaliser le médicament !
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