PLUS D’UN MOIS après, la colère n’est toujours pas retombée. « Nous avons été confrontés à une situation proprement ubuesque de la part d’une agence sanitaire qui cherche avant tout à se protéger », affirme le Pr Jean-Paul Stahl, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Grenoble. Celui-ci fait partie de la quarantaine d’experts du groupe de travail sur les anti-infectieux qui, début décembre, ont décidé de démissionner collectivement de leurs fonctions auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). « Nous avons voulu exprimer notre sentiment de ras-le-bol face à une nouvelle marque de défiance de l’agence vis-à-vis de ses propres experts », indique le Pr Stahl.
Cette démission de la quasi-totalité des experts de ce groupe de travail fait suite à la décision de l’AFSSAPS de ne pas reprendre à son compte les recommandations de bonnes pratiques relatives à « L’antibiothérapie par voie générale en pratique courante dans les voies respiratoires hautes de l’adulte et de l’enfant ». Ces recommandations avaient été élaborées par un groupe d’experts mandatés par l’agence. « Ces collègues avaient fourni un très gros travail, pendant une année entière et de manière évidemment bénévole, et ils ont été légitimement ulcérés par la décision de l’Afssaps de ne pas mettre en ligne leurs recommandations sur son site », explique le Pr Stahl.
Pour justifier sa décision, le Pr Dominique Maraninchi, le directeur général de l’Agence a mis en avant le fait que plusieurs experts ayant participé à la conception de ces recommandations ont des liens d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques concernées. « Il ne s’agit pas d’une question de morale mais d’engagement dans l’indépendance et la responsabilité que doit garantir l’Agence dans ses décisions », écrit le Pr Dominique Maraninchi, dans un courrier adressé le 7 décembre aux experts démissionnaires.
Des règles qui ont changé en cours de route.
Dans une lettre datée du même jour au numéro 1 de l’Afssaps, ces experts soulignent que tous les membres de ce groupe de travail avaient déclaré à l’époque leurs liens d’intérêt suivant les règles alors en vigueur à l’Agence. « Nous ne pouvons accepter que les règles appliquées pour évaluer les conflits d’intérêts aient été changées entre le début de l’élaboration de ces recommandations et la fin (quelques mois). Cette décision repose sur la base d’une anticipation d’une loi non encore votée, non publiée dans sa forme définitive et de décrets d’application qui le sont encore moins », indiquent ces experts, en faisant bien sûr référence à la loi sur le médicament finalement adoptée fin décembre.
Pour le Pr Stahl, ce refus de l’Afssaps « est d’autant plus incompréhensible que le texte de ces experts vise à recommander l’utilisation d’antibiotiques simples, anciens et tous génériqués. On se demande donc où peuvent se nicher les liens d’intérêts dans cette histoire ». Dans leur courrier du 7 décembre, les experts démissionnaires mettent aussi cet argument en avant en relevant que « les messages de la recommandation sont de réduire la consommation d’antibiotiques, de donner quelques clés pour y parvenir, de recommander pour la quasi-totalité des patients justifiant une antibiothérapie de l’amoxicilline ou de l’amoxicilline-acide clavulanique, molécules génériquées depuis plus de 10 ans aux dépens de céphalosporines (en grande partie responsables de l’émergence d’entérobactéries BLSE) ».
Pour le Pr Stahl, l’Afssaps fait fausse route. « Il est normal que des experts aient des contacts avec les firmes qui fabriquent les médicaments. Le fait d’être invité à un congrès ne fait pas d’un médecin un « pourri ». Je peux vous dire que cette suspicion qui plane aujourd’hui sur l’expertise est très difficile à vivre et nous mène dans l’impasse. Les États-Unis ont connu le même mouvement il y a quelques années. Ils sont allés au bout du balancier et ils en sont revenus car ils ne trouvaient plus d’experts pour faire des recommandations ».
De son côté, le Pr Maraninchi reconnaît que ces recommandations « correspondent sans conteste à un besoin de santé publique », mais évoque la décision du Conseil d’État qui a annulé en avril une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) du fait de liens d’intérêt des experts. « L’analyse des services juridiques de l’Agence a considéré que l’existence de liens d’intérêts de certains experts risquerait d’entacher ces recommandations de nullité », écrit le DG de l’Afssaps dans son courrier du 7 décembre.
En attendant, les sociétés savantes – Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), Société française de pédiatrie (SFP), Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société Française de Pédiatrie – ont décidé de publier sur leurs sites les recommandations au cœur de cette controverse.
D’après un entretien avec le Pr Jean-Paul Stahl, service des maladies infectieuses, CHU de Grenoble.
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