« C’est ma septième présidentielle et c’est la première fois que la santé prend une telle importance ! », s'est réjoui Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, invité par Les entreprises du médicament (Leem) à analyser les attentes des Français, en particulier sur les sujets de souveraineté et d'accès à l'innovation thérapeutique.
La crise sanitaire a laissé des traces. Quand il s'agit de se projeter, « un mur d’inquiétude apparaît », souffle Brice Teinturier. Une préoccupation qui concerne notamment le rayonnement biomédical de la France alors que la pandémie a révélé notre dépendance (masques, respirateurs, curare, etc.), les risques avérés de pénurie et l'incapacité à produire un vaccin rapidement dans la course mondiale. « La France a été un grand lieu d’innovation thérapeutique, nos hôpitaux ont réalisé de grandes premières en termes de thérapie génique ou cellulaire mais désormais nous avons du retard », résume froidement Florence Allouche, pharmacienne et consultante en innovation. Un décrochage qui a conduit les candidats à l'Élysée à s'emparer in fine de ce sujet à la fois technique et politique.
Moins d'impôts, plus de recherche
À droite, on mise sur le soutien direct à l'industrie, en renforçant le crédit impôt recherche, pour Valérie Pécresse, ou en « diminuant massivement l’impôt de production » pour Marine Le Pen et Éric Zemmour. Emmanuel Macron souhaite accélérer sa feuille de route Innovation santé 2030 : financement public/privé pour les secteurs stratégiques, aides aux start-up et multiplication des appels à projet. L'objectif est de hisser la France au rang de première nation européenne innovante et souveraine en santé. Le candidat Macron vise au moins « 20 biomédicaments » contre les cancers et les maladies chroniques dont celles liées à l’âge.
À gauche, on propose plus volontiers d’augmenter le financement public de la recherche et développement – qui plafonne à 2,2 % du PIB – à hauteur de 3 % de la richesse nationale pour Anne Hidalgo, ou en octroyant un milliard supplémentaire par an pour Yannick Jadot. Toutefois, les programmes en restent souvent aux têtes de chapitre. « J’ai cherché la recherche médicale mais je n’ai pas trouvé grand-chose », constate, déçu, le Pr Alexandre Loupy, néphrologue à Necker (AP-HP).
Simplifier les procédures
Pour accroître la force de frappe tricolore sur le médicament avec des financements croisés (publics et privés), une requête du lobby pharmaceutique, la candidate LR propose de « rassembler l’Industrie et la Recherche dans un même ministère ». Une idée qui ne va pas de soi, analyse Brice Teinturier : « Pour les Français, la voie royale reste la recherche publique, insiste l'expert. Privée, la recherche devient suspecte, soumise à des liens d’intérêt et orientée vers le profit ». Plus consensuel est l'objectif de Valérie Pécresse de réduire les délais d’évaluation des produits de santé, en positionnant la France dans la moyenne européenne de 180 jours. Autre élément de son programme : intégrer, dans la fixation des prix des médicaments, les investissements consentis et la présence d’une chaîne de production indépendante en France ou en Europe, ou encore le bilan carbone.
Éric Zemmour s'engage plus généralement à simplifier les démarches administratives des entreprises du médicament et à « détaxer les industries de santé » de façon à inciter les dirigeants à rapatrier la fabrication en France.
Relocaliser à tout prix
Car s’il y a un sujet sur lequel les candidats s’accordent, c’est la nécessité de relocaliser la production de molécules stratégiques. « Avec la pandémie, la prise de conscience a été brutale, 80 à 85 % des Français approuvent la relocalisation du médicament », indique Brice Teinturier. Dès 2020, le premier objectif symbolique que s'est fixé Emmanuel Macron est de contrôler sur son sol l'ensemble de la chaîne de production du paracétamol d'ici à trois ans.
Pour circonscrire les risques de pénurie, les propositions fleurissent – des plus incitatives aux plus dirigistes. Jean-Luc Mélenchon (LFI) propose de « créer un pôle public du médicament » chargé de planifier la relocalisation, garantir l’approvisionnement de molécules stratégiques, contrôler le prix des produits et « communiquer sur leurs coûts réels ». Yannick Jadot souhaite lever les monopoles des productions essentielles lorsque la situation le nécessite. Pour Fabien Roussel, il est temps de « mettre l'industrie pharmaceutique sous tutelle », avec, là encore, un pôle public qui gérerait la production et la distribution des médicaments, « financé par la taxation de 1% sur le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques ».
À l'autre bout de l'échiquier, Marine Le Pen entend « libérer les PME des concurrences déloyales et des normes abusives » pour assurer leur implantation en France. Nicolas Dupont-Aignan pousse loin la contrainte en imposant aux labos de fabriquer « au moins 50 % du volume de leurs médicaments en France » sur une liste de principes actifs entrant dans la fabrication de médicaments stratégiques.
Relocaliser et réindustrialiser, mais comment ? « Cette discussion concrète n’a pas lieu chez les candidats », regrette la politologue Chloé Morin. Avec 270 sites pharmaceutiques de production dans l’Hexagone, « il est évident que les entreprises ne pourront pas tout produire en France », recadre l'économiste Nicolas Bouzou. Même prudence du côté de Florence Allouche : « Ce qu’on a délocalisé en Asie, c’est ce qu’on n’avait pas envie de produire en France, car c'est trop polluant ».
Liberté de prescription, nouveau slogan
Au-delà des enjeux de souveraineté, la question de l'accès financier aux médicaments est souvent abordée par le prisme de mesures radicales. Pour rendre toutes les thérapies accessibles, Jean-Luc Mélenchon recommande de « lever les brevets sur les médicaments et vaccins nécessaires à une réponse sanitaire urgente ». Nicolas Dupont-Aignan promet de relancer massivement la recherche publique « afin de soigner les maladies jugées financièrement non rentables par les laboratoires ». Enfin, plusieurs candidats se proposent de « rétablir » ou de « garantir » la liberté de prescription des médecins, qui serait aujourd'hui entravée.
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