Lancée début février pour faire la lumière sur les pénuries de médicament qui touchent l'Hexagone, la commission d'enquête sénatoriale a auditionné début avril une poignée de médecins pour tenter de comprendre l'impact réel des ruptures sur leur exercice.
Avec près de 3 000 médicaments signalés en rupture ou en tension d’approvisionnement en 2022, un record, « les médecins sont contraints d’adapter leurs prescriptions et leurs stratégies thérapeutiques », constate gravement Sonia de La Provôté. La sénatrice centriste du Calvados, médecin du travail de formation, a pris début février la tête de la commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicament. Après avoir auditionné pharmaciens, industriels ou autorités de santé – et s’être même déplacés en Normandie pour visiter des sites de production – les sénateurs ont entendu début avril les médecins pour appréhender l’impact concret des ruptures.
Médicaments injectables et pédiatriques menacés
Malgré des alertes depuis 15 ans, les pénuries sont « devenues régulières et impactent de façon inacceptable notre quotidien », explique la Dr Claire Siret, présidente de la section santé publique de l’Ordre des médecins. Devant les sénateurs, la généraliste se souvient de la pénurie d’amoxicilline à l’hiver dernier « qui a majoré les difficultés d’accès aux soins de patients subissant de plein fouet des refus de délivrances ».
Désormais, antibiotiques, paracétamol, xylocaïne, 5-fluorouracile et toutes les classes de glucocorticoïdes viennent à manquer ponctuellement en France. « 60 % des ruptures concernent des médicaments injectables », précise le Pr Jean-Paul Tillement, pharmacologue et membre de l’Académie de médecine, ajoutant que l’approvisionnement des spécialités pédiatriques est lui aussi menacé – en témoignent il y a quelques mois les ruptures sur le paracétamol pédiatrique.
Miser sur la substitution
Au fil des pénuries, « les praticiens voient une diminution préoccupante de leur possibilité de traitement », sans compter « le gaspillage du temps médical qui en résulte », déplore le Pr Tillement. « On passe notre temps à gérer les ruptures ! », confirme le Dr Patrick Léglise, délégué général de l’Intersyndicat des praticiens hospitaliers (INPH). Si les hôpitaux ont « la quasi-obligation d’avoir un stock tampon d’un mois minimum dans les pharmacies à usage intérieur », rappelle Patrick Léglise, en cas de rupture, les hospitaliers doivent s’adapter en misant sur l’interchangeabilité…
Sur plus de 6 000 spécialités pharmaceutiques disponibles sur le marché tricolore, « un médecin généraliste n’en prescrit que 200 à 300 sur sa carrière », avance le Dr Léglise. Le praticien hospitalier recommande ainsi à ses confrères de ville d'opter davantage pour la substitution afin de compenser les ruptures, « mais à condition d’avoir des possibilités d’interchangeabilité validées par les sociétés savantes ! », insiste-t-il.
Les baisses de prix en question
À l’instar des industriels – qui pointent inlassablement les baisses de prix comme terreau des pénuries – les médecins ont eux aussi déploré les coups de rabot successifs sur le secteur, opérés depuis une dizaine d’années à hauteur (en moyenne) d’un milliard d’euros par an. « Quand un comprimé de Levothyrox 25 mg est vendu 2 centimes d’euro, vous imaginez bien que l’industriel perd de l’argent en France », martèle Patrick Léglise qui voit dans « l’effet pervers de l’enveloppe fermée de l’Ondam » un vecteur de ruptures.
« Les fabricants sont à flux tendu et ont tendance à faciliter les pays qui ont un prix plus élevé », abonde Jean-Paul Tillement. Le pharmacologue se dit aujourd'hui particulièrement inquiet pour l’approvisionnement en génériques, moins rentables. « 70 % des médicaments utilisés en Europe sont des génériques mais ils ne représentent que 30 % du budget global », souligne-t-il, invitant à « relever les prix trop bas ». Suite aux offensives des laboratoires sur le sujet, début février, le ministre de la Santé avait déjà concédé des hausses ciblées de prix « en contrepartie d'engagements sur une sécurisation de l'approvisionnement du marché français ».
Mais l’argument d'augmenter les prix n'a pas fait mouche chez tous les confrères. « Le prix du médicament, c’est toujours obscur pour nous », constate la Dr Claire Siret. Début avril, France Assos Santé dénonçait de son côté le « chantage au prix » des labos, estimant que ce n'était pas au patient « de supporter de nouvelles augmentations de prix ».
Informer les confrères en temps réel
Face aux sénateurs, la nécessité d’une information claire et pratique sur l’état des stocks a été remontée à plusieurs reprises. « Si les pharmaciens sont légitimement au fait des ruptures, le médecin reste beaucoup trop souvent averti par son patient », déplore la Dr Siret. Avec l’Ordre des médecins, elle plaide pour un outil d’information sur les tensions « en temps réel, avec des alertes sur le logiciel d’aide à la prescription par exemple. »
Pour piloter au plus près les stocks et les approvisionnements, François Braun a déjà promis, d'ici à la fin mai, de dresser une liste de 200 à 250 médicaments « essentiels et critiques ». La commission d’enquête sénatoriale devra rendre ses conclusions mi-juillet.
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