Visiteurs médicaux, invitations au restaurant, contacts « informationnels » mais aussi réunions collectives plus ou moins affichées comme promotionnelles, conférences parrainées, cadeaux de valeur variable, avantages financiers lors de formation ou de congrès ou encore remise d’échantillons gratuits… : même si elle s'est transformée, la promotion par « démarchage » ou « prospection » ne s'essouffle pas. Elle reste même « omniprésente », en France comme à l’étranger, synthétise la Haute Autorité de santé (HAS), qui a procédé à une revue systématique de la littérature biomédicale.
Début février, la HAS a publié une analyse détaillée des interactions des professionnels de santé avec les représentants de l’industrie, sur la base de plus de 200 publications (199 études et 12 revues de la littérature publiées entre janvier 2004 et décembre 2018 dans une trentaine de pays). Un panorama qui documente une pratique « courante », « diversement régulée dans le monde » et qui conserve un impact mesurable sur les choix thérapeutiques. Une influence « sous-estimée depuis plus de vingt ans par les professionnels et les étudiants, alors même qu’ils la reconnaissent chez leurs pairs », explique la HAS.
Les hospitaliers, cible privilégiée
En 20 ans, même si la stratégie marketing des laboratoires a « considérablement évolué », « le démarchage est encore aujourd’hui l’un des outils de promotion privilégié », constate la HAS. Repas et collations sont les prises de contact les plus fréquents, la formation continue et les voyages constituant les plus gros postes de dépenses. À noter que les professionnels qui bénéficient le plus d’avantages sont précisément les médecins, « avec des différences selon les spécialités et des écarts très importants entre les leaders d’opinion et les autres praticiens », glisse la HAS.
Les laboratoires se sont en revanche progressivement détournés des praticiens libéraux « au profit de ceux qui exercent à l’hôpital », souligne la HAS. Une des raisons avancée est que de nombreuses prescriptions de ville « sont souvent initiées à l’hôpital », analyse-t-elle. De surcroît, au gré des lois anti-cadeaux, le niveau de motivation et d'acceptation des libéraux pour la visite médicale a faibli.
Échantillons gratuits
La HAS souligne ensuite que, dans les pays où cette pratique n’est pas interdite, « la majorité des professionnels de santé reçoit des échantillons gratuits de médicaments de la part des représentants de l’industrie ». Les étudiants sont aussi concernés. En France, cette pratique des échantillons gratuits est interdite depuis 2004 dans le cadre de la visite médicale mais persistante « au moins jusqu’en 2016 » – un des motifs souvent évoqués par les confrères libéraux pour recevoir les labos.
En France comme ailleurs, le marketing pharmaceutique se déploie dès les bancs de la faculté « et cela va croissant au cours du cursus ». Au stade clinique de la formation, la quasi-totalité́ des carabins a reçu un cadeau ou perçu un avantage. La HAS précise par exemple que « les étudiants français sont souvent invités à des repas gratuits ». Durant l’internat, ces contacts s’intensifient, joignant aux cadeaux des invitations à des soirées de formation ou à des congrès. En s'intéressant au contenu de la blouse des internes de cardiologie tricolores, une étude de 2009 montrait que 97 % des carabins possédaient au moins un objet offert par l’industrie. Ces dernières années, les syndicats de juniors se mobilisent pour sensibiliser leurs pairs au marketing avec des campagnes reconduites comme le #NoFreeLunch, qui invite les internes à refuser les repas sponsorisés par l'industrie.
Sentiment d’invulnérabilité
Mais tous pays confondus, la HAS pointe « le sentiment d’invulnérabilité » dont font preuve la majorité des soignants face à la promotion pharmaceutique. « La dissonance cognitive observée chez les professionnels, qui consiste à̀ croire que l’on est soi-même immunisé contre les effets de la promotion, tout en étant convaincu que nos pairs sont influencés, est retrouvée partout dans le monde », relève la HAS.
Par exemple, seulement 25 % des soignants pensent que ces cadeaux ont une influence sur eux-mêmes, selon la HAS. Un taux qui grimpe à 39 % lorsqu’ils parlent de leurs pairs… Ce sentiment d'immunité est présent dès le début des études et se « consolide au cours de la formation ». Et selon la HAS, la fréquence des interactions (rencontres, cadeaux et avantages, échantillons) renforce le sentiment d’immunité et « plus ce sentiment est fort, plus l’influence des techniques de promotion est sous-estimée par les professionnels ».
Les « oublis » des visiteurs médicaux
La HAS rappelle que la promotion par démarchage ou prospection est corrélée partout dans le monde à une « augmentation des volumes de prescription, l’orientation vers des nouveautés et les produits les plus coûteux ». Dans la littérature internationale, l’influence des visites médicales et des symposiums financés par l’industrie a été associée à une hausse de prescriptions de statines, de médicaments de la coagulation ou de la fonction érectile et de certains antidépresseurs.
Qu'en est-il de la qualité mesurée des informations promotionnelles ? Toujours selon la revue de littérature de la HAS, les supports marketing « mettent essentiellement en avant l’efficacité des médicaments promus » alors que « les données de sécurité sont peu évoquées ». En France, même si les indications sont conformes dans 60 à̀ 80 % des visites, la HAS pointe un « oubli » de présentation des contre-indications et des effets indésirables (39 à 80 % des visites), notamment des plus graves omis dans 74 à 94 % des situations, selon plusieurs études réalisées entre 1991 et 2016.
Esprit critique
Dans ce contexte, la HAS propose « des pistes d'évolution » pour réduire cette influence. Réglementation de la publicité, loi anti-cadeaux, interdiction des échantillons : malgré la régulation depuis une vingtaine d’années, les mesures n’ont pas eu tout l’effet attendu. De même, malgré la publication en 2017 par les doyens de médecine et d’odontologie d’une charte éthique concernant les relations avec l’industrie, « peu d’universités la mettent véritablement en œuvre ». Pourtant, insiste la HAS, les actions les plus efficaces sont les lois de restrictions des avantages et les politiques hospitalières et universitaires de gestion des relations avec l’industrie (organisation des contacts par exemple), à la condition qu’elles soient « exigeantes, complètes et assorties d’un suivi et de sanctions ».
Pour la Haute Autorité, la sensibilisation doit se concentrer sur les professionnels de santé eux-mêmes car « ce sont avant tout eux qui peuvent limiter l’influence du démarchage sur leurs pratiques ». Elle recommande de cibler les hospitaliers en définissant des règles « uniformes » de gestion des visiteurs médicaux. En effet, selon une enquête menée par les industriels du médicament (Leem) en 2022, « seuls 1 % des hôpitaux » ont établi leurs règles propres et 12 % appliquent celles définies dans la charte des pratiques de promotion par démarchage des entreprises du médicament.
Enfin, il est « indispensable » de sensibiliser les plus jeunes au marketing des labos. Selon la HAS, les formations « même courtes, ont une efficacité sur les attitudes des étudiants, leur esprit critique vis-à-vis de la promotion et la conscience de son influence ».
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