En deux ans, la crise a mis en lumière de manière criante le manque de souveraineté sanitaire de la France. C'est dans ce contexte que le Haut Commissariat au plan vient d'établir, pour la première fois, en février, un outil permettant d’établir finement la liste des médicaments les plus à risque. Cela fait pourtant plus de dix ans qu’élus, gouvernement, autorités scientifiques et laboratoires se débattent pour proposer des recommandations afin de lutter contre les pénuries de médicaments. Las, les tensions de stocks s’accroissent d’années en années, jusqu’à la pandémie qui s’est montrée être un révélateur brutal du manque d’indépendance sanitaire de la France.
« Les Français qui voyaient la France comme un pays universellement reconnu en matière de médecine et de pharmacie ont dû affronter le spectre des pénuries de produits essentiels : des anesthésiques, des anti-inflammatoires, des traitements anticancéreux et même le paracétamol », a rappelé François Bayrou, haut commissaire au plan. Et pour cause : seuls 6 % des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur sont produits en France, 40 % des principes actifs proviennent encore d’Asie, Inde et Chine en tête.
Pour mettre en lumière les failles de l’approvisionnement en produits de santé, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été missionnée pour produire un rapport d’expertise, dans le cadre de travaux engagés par le Haut Commissariat au plan. Laboratoires pharmaceutiques, Agence du médicament, associations de patient ou CHU… 150 interlocuteurs ont été auditionnés pour établir un rapport de près de 200 pages. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le Haut Commissariat au plan donne un coup de pied dans la fourmilière, en proposant une méthode totalement inédite d’identification des médicaments à risque.
Six molécules à risque en cardio
Entre l’ANSM, l’Ordre des pharmaciens, les entreprises du médicament ou l'Organisation mondiale de la santé… Tous se sont frottés à l’élaboration de voies de repérage des risques de pénuries, « plus ou moins abouties », tranche l’Igas. Elle propose donc de renverser la table et de mettre en place un système unique d’identification des médicaments critiques. L’outil « simple d’usage » permet « de déterminer si un médicament critique sur le plan thérapeutique représente pour notre pays un point de vulnérabilité industrielle », précise François Bayrou.
Il repose sur deux critères pour chaque molécule. D’une part, sa criticité thérapeutique : sa substitution engage-t-elle une grave perte de chance pour le patient ? Est-il indispensable à la survie ? D’autre part, la criticité industrielle du traitement. Le médicament peut être considéré comme critique si 70 % des sites de production se situent en dehors de l’Europe ou s’il n’y a qu’un seul fournisseur de principe actif. Le tout abouti à un score permettant d’établir le risque de tension pour chaque produit.
Fort de cet outil, l’Igas va plus loin en testant concrètement ce score sur deux aires thérapeutiques : la cardiologie et l’anesthésie-réanimation. En cardiologie par exemple, 23 produits ont été reconnus par des cliniciens comme présentant non seulement un intérêt thérapeutique majeur mais aussi un caractère irremplaçable. C’est le cas de bêtabloquants, de diurétiques comme le furosémide, de sartans ou d’antiarythmiques. Une fois ces données cliniques croisées avec les critères industriels, six molécules sortent dans le rouge dans l’outil du Haut Commissariat au plan, comme l’association valsartan/sacubitril ou l’adrénaline.
« Grâce à cette double approche on peut conclure, qu’en cardiologie, les chaînes de production de six produits jugés d’intérêt thérapeutique majeurs et irremplaçables apparaissent fragiles », résume François Bayrou. En anesthésie-réanimation, même modèle : huit produits ressortent comme particulièrement à risque, dont le fentanyl ou le mivacurium. En conséquence, « c’est sur ces produits que devraient porter, par anticipation de situation de tensions, des mesures de sécurisation des approvisionnements », souligne le Haut Commissariat au plan.
Chaîne de production sous pilotage public
Après avoir testé et approuver ce nouvel outil, l’Igas demande à l’ANSM de généraliser cette approche dès 2022, pour établir – enfin - une liste complète de médicaments critiques. Plus globalement, 22 recommandations ont été proposées par la mission. Entre des conseils plus consensuels sur le pilotage européen ou le prix des médicaments, l’Igas glisse une proposition pour étendre la production de certains médicaments « sous pilotage public ».
Aujourd’hui, une chaîne de production publique existe déjà en France : la pharmacie centrale des armés, l'établissement pharmaceutique des hôpitaux de Paris ayant été fermée en 2018 par l’AP-HP pour des raisons budgétaires. Avec sa douzaine de lignes de production pharmaceutique, la pharmacie des armées pourrait être, selon l’Igas, capable de produire des médicaments « en cas de situation sanitaire exceptionnelle ». Au-delà, le rapport propose de mettre en place des chaînes de fabrication public-privé, comme cela a été fait pendant la crise pour la production de curare par exemple.
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