« Nous sommes arrivés au bout du système », a lancé fin juin Olivier Nataf, alors président par intérim du Leem, lors d’un colloque sur le financement et la régulation du médicament, organisé par le syndicat patronal de l'industrie pharmaceutique, en présence du prix Nobel d’économie Jean Tirole.
Alors que le secteur concentre bon an mal an la moitié des économies réclamées par le budget de la Sécu — notamment via les baisses directes de prix mais aussi par le biais de mesures sur les prescriptions, le bon usage, les protocoles, etc. — « le médicament reste systématiquement la variable d’ajustement », regrette le patron d’AstraZeneca France. Les baisses de prix avaient dépassé 900 millions d'euros en 2020, un record.
Enveloppe quasi close
Ce discours n'est pas nouveau. Depuis une bonne dizaine d’années, les industriels alertent sur cette politique du « rabot » qui, selon eux, entrave l’innovation thérapeutique. Ils font valoir que dans la compétition mondiale, le marché français se distingue par une croissance atone du chiffre d’affaires pharma (autour de 0,5 % dans l'Hexagone sur la période 2019/2023). « En 2021, le marché du médicament a crû de plus de 10 %, on n’avait jamais vu ça depuis 30 ans, relate Éric Baseilhac, directeur accès, économie et export du Leem. Et pourtant, le budget médicament n’a pas bougé depuis dix ans », sous l'effet de la régulation du chiffre d'affaires. Pire : la part de financement du médicament dans les dépenses de l’assurance-maladie (Ondam) est passée de 14 % en 2010 à 11 % en 2020, en dépit du vieillissement de la population et des vagues d’innovations thérapeutiques. Une contraction dont le résultat s’est traduit en perte d’attractivité tricolore et délocalisations, objecte le Leem.
Alors qu’un nouveau traitement met une dizaine d’années pour arriver sur le marché, en France, « l’enveloppe de l’État ne tient pas compte des investissements faits en amont par l’industriel », souligne Corinne Blachier-Poisson, directrice générale d'Amgen France, qui dénonce « un paradoxe ». Avec « 30 à 40 nouvelles substances actives » commercialisées l’an passé, cette pression « crée une tension » permanente.
Logique court-termiste
Président du Haut conseil pour le financement de la protection sociale, Dominique Libault déplore lui aussi cette « logique court-termiste » instaurée pour garantir rapidement des économies après la crise financière de 2008. « Le prix du médicament est un levier facile à mobiliser », témoigne-t-il, alors qu'il faudrait une réflexion profonde sur les besoins de santé et la pertinence des outils budgétaires. Il propose à cet effet que le médicament fasse l'objet d'un débat démocratique, en amont des choix budgétaires. « À chaque budget de la Sécu, on se contente de gérer des arbitrages financiers, mais personne ne réfléchit à des évolutions structurantes », regrette-t-il.
Entre baisses de prix et remises aux labos, Philippe Bouyoux, président du CEPS, « assume » une politique « légitime pour financer l’innovation », même s'il se fait « l’avocat du diable » devant ce parterre d’industriels. « Les négociations sur les prix, globalement ça marche, même si ce n’est pas forcément agréable », poursuit Philippe Bouyoux, qui concède que des négos plus régulières seraient bienvenues.
Délais
Antiviraux d’action directe, anticancéreux ou thérapies géniques : Margaret Kyle, professeure de sciences économiques à Mines Paris Tech, recommande de changer de braquet afin de « payer plus cher les médicaments innovants et beaucoup moins les autres car, en France, il y a encore trop de dépenses pour des médicaments qui ne méritent pas des prix aussi élevés ».
Problème, lorsque les prix français deviennent trop faibles par rapport à nos voisins, « les industriels vont mettre en place des délais stratégiques pour commercialiser d'abord dans les pays les plus lucratifs, du nord de l’Europe », analyse Pierre Dubois, professeur de sciences économiques à la Toulouse School of Economics. Ce qui peut créer des tensions d’approvisionnement en France, y compris sur certaines classes thérapeutiques stratégiques. « Si on ne veut pas dépenser plus, ni payer le prix proposé par l’industriel, il faut accepter ces délais », résume Pierre Dubois.
Payer pour voir ?
Pour sortir de cette ornière, de nouvelles variables pourraient entrer utilement dans l’équation du financement des médicaments comme le temps, les risques, la vie réelle ou l'impact social, ont avancé plusieurs experts de ce colloque.
Pour fixer un juste prix, une piste tend à corréler le tarif à l’efficacité en vie réelle du médicament. Pas si simple : « avec les thérapies géniques par exemple, nous sommes face à des médicaments très onéreux, avec des revendications thérapeutiques très élevées mais très incertaines », analyse Philippe Bouyoux (CEPS). « Il y a deux approches : voir pour payer ou payer pour voir, en somme on paye d’abord sur les revendications de l’entreprise et si les résultats ne sont pas au rendez-vous, nous réclamons des remises », résume le président du CEPS. Mais pour des thérapies onéreuses comme les CAR-T cells, les négociations « restent très compliquées, parfois on finit par baisser les bras », raconte Philippe Bouyoux.
Impact social
Considérer certaines dépenses de médicament comme des investissements durables, et non des coûts, pourrait changer la perspective. À la clé, une vision prospective dès l'évaluation (englobant les effets positifs et les économies attendues comme le fait que le traitement de l’hépatite C guérit à 95 % la maladie), mais aussi la pluri-annualité des budgets ou l’instauration de financements complémentaires. Le Prix Nobel Jean Tirole propose même de sortir la dépense de certains médicaments de l’enveloppe Sécu, à partir du moment où ils sont jugés comme des investissements éligibles aux financements d’État.
Quant à la « valeur sociale » du médicament, elle pourrait être mesurée de plusieurs façons : l’impact sur l’économie du pays (exemple, les vaccins Covid ou, demain, des traitements de la maladie d’Alzheimer) mais aussi les effets sur l’organisation des soins ou même la productivité, en remettant par exemple à l’emploi de jeunes actifs.
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