« C’est une situation sans précédent. On voit les conséquences délétères de la logique comptable du médicament depuis dix ans ». Lors de ces vœux à la presse ce mardi, Thierry Hulot, président des Entreprises du médicament (Leem, syndicat patronal de l'industrie pharmaceutique) n'a pas mâché ses mots sur les pénuries qui frappent la France depuis des mois.
Sur les dix premiers mois de 2022, quelque 1 000 médicaments étaient en rupture de stock, contre 900 sur l’ensemble de l’année 2021. « Et les Français sont les premières victimes de ces pénuries », rappelle le PDG de Merck France. Une situation « aux multiples facettes » mais qui pâtit surtout « d’une spécificité française : nous avons les prix les plus bas d’Europe », affirme Thierry Hulot.
Des génériques 50 % plus chers en Italie, 30 % en Allemagne
« Les prix bas encouragent les exportations vers l’étranger », indique le patron du Leem. En traversant la frontière, grossistes-répartiteurs et labos peuvent espérer vendre leurs génériques deux fois plus cher en Italie, 30 % de plus en Allemagne.
« Comment s’étonner des problèmes d’approvisionnement d’amoxicilline, alors que le prix fabricant hors taxe de la boîte est de 0,76 euro ? », illustre Thierry Hulot. « C’est pareil à l’hôpital », poursuit-il, citant l’exemple du prix du flacon d’un demi-litre de bicarbonate de sodium, vendu 1,40 euro. « Il y a 15 ans, le fabricant français gagnait 14 centimes par flacon, désormais il perd 17 centimes… Quand il aura disparu, où nous approvisionnerons-nous ? », s’interroge le patron du Leem.
Ces politiques budgétaires jugées « confiscatoires » ont été amplifiées par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale qui prévoit 800 millions d’euros supplémentaires de baisses de prix pour 2023. Le tout dans un contexte d’inflation, alerte encore le Leem, alors que les coûts de production ont bondi de 15 % avec l’augmentation des matières premières et de l’énergie. En avril dernier, le syndicat des labos avait mis en garde le gouvernement sur l'urgence de la situation. « On attend toujours leur réponse », se désespère Thierry Hulot.
Plan d'action
D’ici à trois mois, le Leem dévoilera ses recommandations pour éviter les ruptures. Il réclamera aux tutelles la mise en place d'un « pilotage en temps réel » de la production, pour anticiper les pénuries. Aussi – alors que « 200 à 300 médicaments en France sont indispensables pour la vie des patients », selon Thierry Hulot – Le Leem souhaite qu’une liste de ces molécules soit dressée « avec un plan d’action pour chacune d’entre elles ».
Le patron du syndicat espère que ces propositions seront au cœur du plan urgence pénurie, promis par le gouvernement pour 2023. En Allemagne, face aux ruptures, l’exécutif a déjà décidé d’augmenter de 50 % le prix de 200 médicaments « matures ».
D’ici à la fin du mois de mars, le Leem lancera également un baromètre en ligne de l’accès aux médicaments pour « permettre aux Français de voir l'état des ruptures en France et en Europe, mais aussi les délais de mise à disposition des thérapies innovantes », détaille le PDG de Merck France.
Frein à l'innovation ?
Plus globalement, les laboratoires craignent que ces restrictions budgétaires n’entraînent « un coup d’arrêt brutal » à la politique d’innovation, mettant en péril le plan de relocalisation du médicament annoncé par Emmanuel Macron. « Le constat n’est pas brillant, résume Philippe de Pougnadoresse, administrateur du Leem et directeur général d’Ipsen France. Entre 2016 et 2021, sur les 488 autorisations de mise sur le marché délivrées en Europe, seules 42 étaient françaises ».
Là encore, Thierry Hulot pointe du doigt la politique des prix dans l’Hexagone, frein selon lui à l’innovation. « Par exemple, dans la migraine, les anti-CGRP sont disponibles presque partout en Europe, sauf en France, car le Comité économique des produits de santé (CEPS) propose un prix très éloigné du raisonnable », regrette-t-il.
Le syndicat patronal, qui défend depuis des années une refonte du système de régulation du médicament tricolore, s'en remet aussi à la Première ministre. En décembre, Élisabeth Borne a écrit au Leem pour lui annoncer son intention de lancer une mission interministérielle sur le sujet.
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