À partir du 1er septembre, tous les laboratoires pharmaceutiques doivent constituer des stocks d’au moins deux mois pour chaque médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) commercialisé dans l'Hexagone. Anticancéreux, antiépileptiques, anesthésiques… « L'obligation de disposer de stocks de sécurité permet d'anticiper plus efficacement les risques de ruptures de stock des MITM et d'améliorer leur disponibilité pour les patients en France », se félicite l’Agence nationale du médicament (ANSM).
Cette mesure s’inscrit dans la feuille de route ministérielle entamée il y a trois ans pour lutter contre les pénuries de médicaments en France. Elle est l’application du décret publié le 31 mars 2021, contraignant les laboratoires à anticiper les ruptures et les tensions d’approvisionnement.
En pratique, chaque industriel doit désormais disposer de l’équivalent de deux mois de stock de MITM, « calculé sur la base du volume des ventes en France de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants hors situations exceptionnelles », précise le décret. Ce volume peut être réduit à un mois pour certaines spécialités pour lesquelles la durée de conservation est incompatible avec ce délai, et sur dérogation de l’ANSM. Enfin, l’Agence pourra à l'inverse décider d’augmenter le stock de sécurité à 4 mois, « pour certains MITM s'ils ont fait l'objet de ruptures ou de risques de ruptures de stock réguliers dans les deux dernières années », précise-t-elle.
« Avancée majeure »
La constitution obligatoire d'un stock de deux mois est une première européenne.
Lors de la publication du décret, le ministère de la Santé avait d’ailleurs salué la mesure, évoquant une « avancée majeure. Les pénuries de médicaments affectent le quotidien des patients, ainsi que l’exercice des professionnels de santé malgré leurs efforts pour pallier ces difficultés ».
« Avant même le décret, beaucoup d’entreprises constituaient déjà des stocks, pour être en mesure d’assurer les problématiques de tension d'approvisionnement », tempère pour « Le Quotidien » Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques au Leem (Les entreprises du médicament). Si pour certains labos, cette obligation ne changera donc pas vraiment la donne, pour d’autres, la situation risque d’être plus ardue, « par exemple lorsqu’il s’agit de production de vaccins, car – indépendamment du Covid – la chaîne de production vaccinale fonctionne à flux tendu. Et la mise en place de nouvelles chaînes pour ces produits biologiques est longue et coûteuse », illustre Thomas Borel. Selon lui, la constitution de stocks devrait tout de même « améliorer la disponibilité de certains produits ».
Quelles molécules concernées ?
Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs constituent près de 50 % de la pharmacopée française. En juillet 2016, un arrêté a fixé les grandes classes thérapeutiques concernées. S’il y a fort à parier que les médicaments cardiovasculaires, du système nerveux ou anticancéreux – particulièrement exposés aux ruptures – seront concernés par ce stock de sécurité, la liste définitive des spécialités doit encore être établie par l’ANSM. Elle permettra notamment de fixer les molécules qui pourront faire l’objet, ou non, de dérogations. Une publication est attendue pour le mois d’octobre.
Au 1er septembre, certaines immunothérapies, antiépileptiques, curare ou biphosphonate étaient actuellement en rupture de stock. Aussi, les sartans et les antiparkinsoniens sont régulièrement concernés par des tensions d’approvisionnement. En France de manière générale, 21 % des ruptures de stock concernent des anti-infectieux, dont les vaccins, 19 % des médicaments du système nerveux, 14 % des anticancéreux et 9 % des médicaments cardiovasculaires.
2 446 signalements
En 2020, 2 446 signalements de rupture ou risque de rupture de médicament ont été signalés à l'ANSM. Près de deux fois plus qu’en 2019. Une augmentation à relativiser pour Thomas Borel : « On met en comparaison les chiffres de rupture réelle avec les simples signalements. Or, les entreprises signalent de plus en plus ces risques, ce qui ne veut pas dire qu’il y a pour autant plus de pénuries. Nous arrivons d’ailleurs à endiguer plus de 90 % des tensions ». Concernant les MITM, depuis mai 2020, la situation est relativement stable avec 140 molécules en rupture ou en tension. Soit 1 % des médicaments commercialisés, selon le Leem.
Une chose est sûre, la crise sanitaire a mis en lumière de manière criante les fragilités de la chaîne du médicament. Avec l’augmentation inédite des demandes mondiales, les stocks de médicament de réanimation notamment ont frôlé la pénurie, faisant craindre des ruptures sans précédent. Dans les unités de soins critiques pour les patients Covid-19, l’approvisionnement en curares et sédatifs a explosé : + 331 % pour le cisatracurium, un curare, ou encore +125 % pour le midazolam
Ce vendredi 3 septembre, la ministre déléguée chargée de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, a salué l'entrée en vigueur de ces mesures. « Le deuxième étage de la fusée, c'est d'augmenter les productions de médicaments en France », a-t-elle ajouté. « Entre 2005 et 2015, la part de marché des productions de médicaments françaises au plan mondial a été divisée par deux », a admis la ministre. Elle mise désormais sur le plan de relance pour financer la relocalisation de centaines de chaînes de production, comme celle du paracétamol ou de certains vaccins.
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